Avec la crise sanitaire qui bat son plein, la souveraineté alimentaire devient un remède qui se popularise.Mais de quelle souveraineté parle-t-on ?
Le 17 avril dernier marquait la journée internationale des paysans et des paysannes. Si chaque année l’Union paysanne souligne cette journée symbolique en mémoire des 21 paysans sans terre qui ont été tués, le 17 avril 1996 au Brésil, événement tristement connu depuis lors sous le nom de massacre d’Eldorado de Carajás, c’est pour rendre hommage aux personnes qui nourrissent leurs communautés et qui luttent pour leur droit à le faire. En ces temps de pandémie, le 17 avril résonne toutefois un peu différemment.
Avec la crise sanitaire qui bat son plein, la souveraineté alimentaire devient un remède qui se popularise. L’autonomie alimentaire est maintenant sur toute les lèvres et est présente dans tous les médias. Développer la capacité de nous nourrir comme peuple, comme nation tissée serrée semble être une idée novatrice, une sortie de crise annoncée aux pénuries de farine, d’huile végétale et de levure sur les tablettes de nos épiceries. Alors qu’on ignore encore dans quel état l’économie mondial s’en sortira et quelle sera la situation du pétrole, politiciens et grandes entreprises proposent de miser sur “les agriculteurs bien de chez nous”. À priori, nous devrions nous en réjouir. N’est-ce pas là l’essence même de la souveraineté alimentaire, une nation capable de subvenir aux besoins alimentaires de sa population et de ne dépendre d’aucune autre entité ? Oui, peut-être. Mais il y a plus.
Trop souvent, on oublie les gens qui sont au coeur de nos systèmes alimentaires. Ou plutôt, on n’en tient pas compte.
La souveraineté alimentaire pour tous les peuples de tous les pays est le principe fondamental de La Via Campesina et est également l’adage de nombreux producteurs, paysannes, artisans, cultivatrices, apiculteurs, maraîchères, acériculteurs, cueilleuses, chasseurs et pêcheuses. Il y a, derrière la souveraineté alimentaire, cette idée de produire de la nourriture pour et par les gens, mais également de le faire dans le respect des droits des personnes qui nous nourrissent et dans celui des écosystèmes. Or, trop souvent, on oublie les gens qui sont au coeur de nos systèmes alimentaires. Ou plutôt, on n’en tient pas compte. Et pourtant, il aura fallu une pandémie pour que l’on réalise que le travail de ces personnes est essentiel…
Nous, paysans et paysannes de La Via Campesina , réitérons que c’est la paysannerie qui produit 70% de la nourriture globale que nous consommons sur 25% des superficies totales. Une production qui nourrit non pas les stocks boursiers et les grands investisseurs, mais plutôt celle qui nourrit les communautés et les familles. Une agriculture à visage humain. C’est pourquoi il est impératif de non seulement reconnaître la souveraineté alimentaire dès maintenant, mais qu’il faut également réaffirmer et protéger, aujourd’hui plus que jamais, le respect des droits des paysans et des paysannes.
Il est important de saisir l’opportunité que nous présentent ces temps incertains pour nous poser des questions au sein de nos communautés locales. Alors que d’importantes décisions sont prises et que les barrières économiques semblent prendre une place moins grande dans l’équation, nous avons le pouvoir, et le devoir d’aller au-delà de l’action immédiate. N’oublions pas que la crise écologique est la trame de fond de cette pandémie. Nous devons nous positionner de sorte à ne pas seulement éteindre les feux qui sont présentement sous nos yeux. Nous devons réfléchir sur l’ensemble du fonctionnement de nos systèmes alimentaires afin de les rendre plus justes et équitables.
Nous devons réfléchir sur l’ensemble du fonctionnement de nos systèmes alimentaires afin de les rendre plus justes et équitables.
Osons aller plus loin et ne pas seulement revendiquer une “agriculture de chez nous”, mais parlons de notre dépendance à la main d’oeuvre agricole étrangère. Parlons des enjeux pour ces personnes qui, année après année, viennent récolter les fruits et légumes dans “nos champs bien de chez nous” afin de faire vivre leur famille “dans leur pays bien à eux”. Nommons le statut précaire – et précarisé – de ces personnes sans qui manger local ne serait pas possible. Essayons de comprendre les ramifications coloniales de nos systèmes alimentaires. Ayons le courage de dire que nos champs se trouvent sur des territoires qui n’ont jamais été cédés. Écoutons les paysans et paysannes de tout âge qui aspirent à un système alimentaire meilleur mais qui se butent constamment aux multiples barrières légales et administratives. Discutons avec les travailleurs et travailleuses agricoles, d’ici et d’ailleurs, dont les conditions de travail mettent en danger leur vie, leur sécurité et leur santé. Soutenons-les alors qu’ils et elles dénoncent les cancers et autres problèmes de santé causés par les pesticides et autres agents chimiques. Au niveau mondial, rappelons-nous les noms et les visages des activistes paysans et paysannes qui sont disparus ou qui ont été tués parce que leur voix dérangeaient.
Parce qu’en des temps aussi incertains, rappelons-nous que, peu importe où nous vivons, nous sommes tous et toutes uniEs. Martelons que l’union fait la force et scandons que ce que nous voulons c’est un véritable changement. Une fois la crise terminée, souvenons-nous – ce dont notre peuple se vante tellement – que ce sont ces vagues de solidarité qui nous auront permis de passer au travers. Et surtout, n’oublions pas que nous sommes tous et toutes dans le même bateau. Serrons-nous les coudes et osons faire de nos systèmes alimentaires des systèmes justes et solidaires afin que les gens qui nous nourrissent n’aient plus ce goût amer en bouche…