Le plan de bataille des marchés

C’est une note de neuf pages, en anglais, rédigée par le « premier broker indépendant en actions européennes ». Dans ce document, que l’on retrouve dans l’intégralité sur le site de Reporterre, on découvre « le plan de bataille des marchés » si François Hollande l’emportait.

C’est une note de neuf pages, en anglais, rédi­gée par le « pre­mier bro­ker indé­pen­dant en actions euro­péennes ». Dans ce docu­ment, que l’on retrouve dans l’intégralité sur le site de Repor­terre, on découvre « le plan de bataille des mar­chés » si Fran­çois Hol­lande l’emportait. En voi­ci une traduction…

Cheu­vreux, c’est le « pre­mier bro­ker indé­pen­dant en actions européennes ». 
Avec des bureaux dans qua­torze pays, à Tokyo, San Fran­cis­co, Amster­dam, Bos­ton, cette filiale du Cré­dit Agri­cole conseille 1200 inves­tis­seurs ins­ti­tu­tion­nels, notam­ment anglo-saxons – notam­ment des fonds de pen­sion et des banques.
À ces 1200 clients « cor­po­rate », cette socié­té a adres­sé une note brève, en anglais, de seule­ment neuf pages. Qui n’était pas des­ti­née au grand public, donc – seule­ment aux opé­ra­teurs de mar­ché. Mais quand on est tom­bés sur ce docu­ment, grâce au site www.reporterre.net, on a eu l’impression de décou­vrir le plan de bataille des financiers.

Car eux pré­parent déjà l’après élec­tion.
 Et ils comptent bien en tirer une vic­toire, quel que soit le vain­queur : la fin du CDI.

Un peuple aver­ti en vaut deux.

Ci-des­sous, notre repor­ter Adrien pro­pose une tra­duc­tion de cette note rédi­gée par le « chief eco­no­mist » de Cheu­vreux, Nico­las Doisy.

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Le choix

S’il est élu le 6 mai pro­chain, comme c’est le plus pro­bable, le socia­liste Fran­çois Hol­lande devra cla­ri­fier sa posi­tion sur deux ques­tions pres­santes : l’austérité bud­gé­taire et la réforme du mar­ché du travail…

Nico­las Sar­ko­zy est somme toute plus cou­ra­geux et plus trans­pa­rent sur ces deux points – mais il est aus­si regar­dé comme le futur per­dant du scru­tin. Tout comme Fran­çois Mit­ter­rand en 1981 – 1983, Fran­çois Hol­lande va devoir déplaire soit aux mar­chés finan­ciers, soit à ses élec­teurs, puisqu’il est cer­tain de ne pas par­ve­nir à conci­lier les deux. Pré­ve­nu des risques d’exaspérer à la fois les mar­chés finan­ciers et l’Allemagne, Hol­lande sait qu’il cède­ra fina­le­ment à leurs demandes…

[…] L’objectif pri­mor­dial de la France sera de res­ter dans l’Eurozone mais éga­le­ment, et c’est aus­si impor­tant, de conti­nuer à jouer le rôle de co-lea­der avec l’Allemagne même au prix d’un chô­mage élevé… 

Le mar­ché du travail

C’est regret­table pour Fran­çois Hol­lande, mais la néces­si­té d’une libé­ra­li­sa­tion du mar­ché du tra­vail est le résul­tat direct d’une appar­te­nance de la France à la Zone euro, aus­si ne peut-on avoir l’une sans avoir l’autre…

La seule ques­tion est,donc de savoir si Fran­çois Hol­lande va ne serait-ce qu’essayer de res­pec­ter ses pro­messes ou s’il va de lui-même reve­nir des­sus aus­si­tôt élu. Le bon sens lui conseille­rait de mener cette libé­ra­li­sa­tion du mar­ché du tra­vail tout de suite. Mais la pru­dence innée de Hol­lande et l’orientation de son par­ti vont impo­ser des freins : dès lors, seule une contrainte externe remet­tra la poli­tique fran­çaise dans la bonne direction.

Avec l’Allemagne qui a libé­ra­li­sé son mar­ché du tra­vail récem­ment (et l’Espagne et l’Italie qui suivent main­te­nant), Fran­çois Hol­lande n’aura guère de choix. Sans quoi la France devrait affron­ter la colère de ses par­te­naires de l’Eurozone (et la colère du mar­ché) en refu­sant de mettre en œuvre la même réforme qu’eux.

Trom­per le peuple

Ne serait-ce qu’à cause de l’échec du réfé­ren­dum sur la consti­tu­tion de l’UE en 2005, Fran­çois Hol­lande va devoir navi­guer à tra­vers des forces contraires dans la gauche.

Le trai­té avait été reje­té parce qu’il devait consa­crer le mar­ché libre comme prin­cipe fon­da­teur de l’Union Euro­péenne, au tra­vers l’insertion de la direc­tive Ser­vices dans la Consti­tu­tion. Ce rejet était une mani­fes­ta­tion typique du pré­ju­gé fran­çais (de gauche comme de droite) contre le marché.

Dans cette pers­pec­tive, il serait poli­ti­que­ment intel­li­gent que ses par­te­naires de l’Eurozone per­mettent à Fran­çois Hol­lande de pré­tendre qu’il leur a arra­ché quelques conces­sions, même si c’est faux en réa­li­té. La demande de rené­go­cia­tion du trai­té serait alors uti­li­sée pour trom­per le public fran­çais en lui fai­sant accep­ter des réformes conve­nables, dont celle du mar­ché du travail.

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La confiance

Entre 1981 et 1983, Fran­çois Hol­lande a été très fami­lier du « tour­nant de la rigueur » effec­tué par Fran­çois Mit­ter­rand, tout par­ti­cu­liè­re­ment en mars 1983 puisqu’il était le conseiller éco­no­mique du pré­sident quand celui-ci a déci­dé que la France res­te­rait dans la Com­mu­nau­té éco­no­mique européenne.

Alors que la France sera sans doute confron­tée au même besoin d’une poli­tique éco­no­mique rai­son­nable à par­tir de juillet 2012 – tout comme en 1981 – 1983 – il est assez peu pro­bable que Fran­çois Hol­lande ait oublié les leçons de ses années de for­ma­tion. Et notam­ment la leçon qu’hésiter trop long­temps entre deux options poli­tiques a un coût très éle­vé lorsqu’on subit la pres­sion des mar­chés et donc que, dans de telles cir­cons­tances, la meilleure poli­tique est d’être clair, et de faire un choix pro-européen.

[…] Fran­çois Hol­lande a le cœur d’un Euro­péen convain­cu. Entre 93 – 97, il a pré­si­dé le think tank de Jacques Delors, le « Club témoin ». Cela devrait l’aider à opter pour une poli­tique effi­cace de réforme favo­rable à la crois­sance telles que cou­per dans les dépenses public et libé­ra­li­ser le mar­ché du tra­vail (et les ser­vices) d’une manière ou d’une autre. Le vrai défi pour lui sera de trou­ver une for­mule poli­tique pour vendre ces réformes à la popu­la­tion française.

Son pro­gramme

Fran­çois Hol­lande a déjà signa­lé aux élec­teurs du centre qu’il ne revien­drait pas sur cer­taines des mesures les plus emblé­ma­tiques et les plus utiles de son adver­saire, s’il était élu. Il a en par­ti­cu­lier fait savoir qu’il ne réta­bli­rait pas l’infâme sys­tème des 35 heures sur lequel Nico­las Sar­ko­zy est déjà revenu.

Il a éga­le­ment publi­que­ment sous­crit au pro­gramme de réduc­tion des défi­cits accep­té par Nico­las Sar­ko­zy avec ses par­te­naires de la zone Euro.
Jusqu’ici, il a évi­té de pro­mettre quoi que ce soit de concret qui satis­fe­rait l’appétit sup­po­sé de son élec­to­rat popu­laire pour l’interventionnisme éta­tique. Il a uni­que­ment pro­po­sé quelques modi­fi­ca­tions mineures à la réforme des retraites de son oppo­sant, ou encore à sa poli­tique d’emploi public sans tou­te­fois aug­men­ter le nombre de fonctionnaires.

Somme toute, la seule ambi­guï­té de Fran­çois Hol­lande, jusqu’ici, est de ne pas avoir fait une seule pro­po­si­tion de réformes favo­rables aux entre­prises, en par­ti­cu­lier du point de vue de la rigi­di­té du mar­ché du tra­vail. Bien qu’on ne puisse lui repro­cher d’avoir une approche stra­té­gique, cer­taines cla­ri­fi­ca­tions devien­dront rapi­de­ment néces­saires après les élections.
La menace d’attaques des mar­chés contre la dette sou­ve­raine de la France, due à la colère des par­te­naires de la zone Euro pro­vo­quée par l’inaction, devrait suf­fire à contraindre l’europhile prag­ma­tique en lui.

Le pire

Dans le pire des cas (mais qui n’est pas le plus pro­bable) la pres­sion de ses par­te­naires de l’Eurozone et des mar­chés le for­ce­ra à faire demi-tour.

Le pire des scé­na­rios est que la France doive se rési­gner à la libé­ra­li­sa­tion du mar­ché du tra­vail, seule­ment une fois l’inefficacité de ces poli­tiques de relance avé­rée. On peut espé­rer que le pro­ces­sus ne pren­drait que quelques mois (et non pas quelques années comme dans les années 80) sans trop de troubles sociaux.
Un cata­ly­seur pos­sible (et hélas, sou­hai­table) de ce virage à 180 degrés pour­rait être une hausse du chô­mage sub­stan­tielle et inexo­rable, en par­ti­cu­lier chez les jeunes.

Un autre déclen­cheur effi­cace, dans ce contexte, serait la pres­sion des mar­chés qui sui­vra pro­ba­ble­ment si Hol­lande se mon­trait trop hési­tant pour des réformes cou­ra­geuses. Cette pers­pec­tive, déplai­sante pour un Pré­sident nou­vel­le­ment élu, devrait l’inciter for­te­ment à ne pas jouer à des jeux stu­pides avec les marchés.

Adrien Levrat, 12/04/2012

Source : http://www.fakirpresse.info/Le-plan-de-bataille-des-marches.html

Sur le même sujet :

Écou­ter l’émission de radio « Là-bas si j’y suis »

Une autre tra­duc­tion à lire sur le site Can­tos numé­riques de Chris­tophe Masut­ti, qui en a réa­li­sé une ver­sion avec la maquette ori­gi­nale de la note

Notre entre­tien avec Nico­las Doisy

Ici en vidéo : http://vimeo.com/40577072