BERLIN (ALLEMAGNE) [27.04.12]
La Biennale de Berlin n’avait pas encore commencé qu’elle suscitait déjà des polémiques. Les commissaires associés de la Biennale, le collectif Voina, a été arrêté par la police russe, et n’ayant pas l’autorisation de quitter Saint-Pétersbourg, a dû annuler sa participation. L’action d’un artiste tchèque, Martin Zet, appelant au recyclage, donc à la destruction d’un livre anti-immigration du député social-démocrate Thilo Sarrazin, avait été dénoncée comme une atteinte à la liberté d’expression, rappelant les autodafés nazis. Des opposants à ce projet avaient manifesté en janvier dernier place Bebel à Berlin, à l’endroit même où les nazis avaient brûlé plus de 20 000 livres proscrits par le régime en 1933.
Le ton était ainsi donné pour cette 7e Biennale, au nom évocateur « Forget Fear », « Oubliez la peur », consacrée à l’action politique des artistes, et placée sous le signe de la controverse.
Le commissaire principal de l’exposition, Artur Zmijewski, a confié les clés de la conférence de presse au mouvement des Indignés. En lieu et place des questions-réponses aux organisateurs et commissaires de l’exposition, les journalistes se sont donc fait interpeler par les Indignés. Les Indignés disposent également de la salle principale de la Biennale, où ils « font ce qu’ils veulent », selon mijewski, dans la limite du respect des lois, puisque la Biennale est financée par l’Etat fédéral allemand. Un autre projet intitulé Breaking The News, à la frontière entre art et journalisme, documente les appels à la désobéissance civile à travers le monde, sur une série d’écrans géants.
Autre signe de la primauté de la politique sur l’art dans cette Biennale, le catalogue ne comporte pratiquement que des textes politiques, ainsi que des entretiens avec les artistes, illustrés par de très rares photos. L’artiste Pawel Althamer y déclare ainsi qu’il serait nécessaire d’envoyer des artistes à la place de l’armée dans les zones de conflit. Ceux-ci pourraient permettre de renouer le dialogue grâce à la création artistique et éviter des conflits armés. Les soldats ne devraient être envoyés qu’en cas d’échec, voire de décès des artistes. Pour illustrer ce que pourrait être cette action artistique, il a mis en place un « congrès des dessinateurs », où tout visiteur de la Biennale peut venir s’exprimer à travers le dessin, sans aucune censure. Les murs d’une église désaffectée ont été recouverts de papier blanc, et Pawel Althamer, dont on a récemment pu voir les œuvres au Deutsche Guggenheim, donne l’exemple en dessinant sa carte d’identité au fusain. L’œuvre collective sera donnée au public à la fin de la Biennale.
Le conflit est un thème majeur de cette Biennale, à l’instar du projet de l’artiste Khaled Jarrar, qui, en réponse à l’absence d’un Etat palestinien a décidé de prendre les choses en main en créant un tampon fictif de cet état. Il tamponne les passeports des visiteurs de la Biennale qui le souhaitent. Il a également créé une série de timbres de l’Etat palestinien, en utilisant les programmes des postes qui permettent de réaliser les timbres à la demande. Les timbres ont été issus par les postes allemandes et néerlandaises. « La Poste française a refusé ce projet, sans nous donner de raison valable », déclare Khaled Jarrar. Ces timbres peuvent être achetés à la boutique souvenir de la Biennale.
L’Allemagne est renvoyée à son histoire par l’artiste polonais Lukasz Surowiec, dans le projet Berlin-Birkenau. Celui-ci a essaimé dans tout Berlin et sur le lieu principal de la Berlinale de jeunes pousses de boulots, issus de la région de Birkenau à proximité du camp d’extermination d’Auschwitz. Ces arbres deviendront des « archives vivantes ». A l’initiative de Maciej Mielecki, une reconstitution de la prise de Berlin en 1945 est prévue le 29 avril 2012. Nul doute que les Allemands, dont la confrontation à cette période de l’histoire est constante et toujours délicate, apprécieront. La Pologne doit également faire face à son histoire avec le projet de l’artiste Yael Bartana et du « Mouvement pour la renaissance juive en Pologne », qui proposent le retour de 3 300 000 juifs en Pologne, afin d’y reconstituer une communauté.
La Biennale est financée à hauteur de 2,5 millions d’euros par la Fondation pour la Culture fédérale. Selon Gabriele Horn, directrice de la Biennale, cette somme a permis une prise de risque dans l’élaboration du contenu de l’exposition. Prônant l’action démocratique, les organisateurs sont cohérents avec leur objectifs en ouvrant le vernissage au public et en instituant la gratuité totale de la Biennale, jusqu’au 1e juillet 2012.
Isabelle Spicer
Source : journal des arts