Les Indignés s’emparent de la Biennale de Berlin

Le mouvement des Indignés s’est emparé de la 7e édition de la Biennale de Berlin, à la demande de son Commissaire, l’artiste polonais Artur Żmijewski. Le ton est donné pour cet événement où le politique prend le pas sur l’art, du 27 avril au 1e juillet.

269861_181012711963257_159648430766352_494491_8146184_n.jpgBERLIN (ALLEMAGNE) [27.04.12]

La Bien­nale de Ber­lin n’avait pas encore com­men­cé qu’elle sus­ci­tait déjà des polé­miques. Les com­mis­saires asso­ciés de la Bien­nale, le col­lec­tif Voi­na, a été arrê­té par la police russe, et n’ayant pas l’autorisation de quit­ter Saint-Péters­bourg, a dû annu­ler sa par­ti­ci­pa­tion. L’action d’un artiste tchèque, Mar­tin Zet, appe­lant au recy­clage, donc à la des­truc­tion d’un livre anti-immi­gra­tion du dépu­té social-démo­crate Thi­lo Sar­ra­zin, avait été dénon­cée comme une atteinte à la liber­té d’expression, rap­pe­lant les auto­da­fés nazis. Des oppo­sants à ce pro­jet avaient mani­fes­té en jan­vier der­nier place Bebel à Ber­lin, à l’endroit même où les nazis avaient brû­lé plus de 20 000 livres pros­crits par le régime en 1933.

Le ton était ain­si don­né pour cette 7e Bien­nale, au nom évo­ca­teur « For­get Fear », « Oubliez la peur », consa­crée à l’action poli­tique des artistes, et pla­cée sous le signe de la controverse.
Le com­mis­saire prin­ci­pal de l’exposition, Artur Zmi­jews­ki, a confié les clés de la confé­rence de presse au mou­ve­ment des Indi­gnés. En lieu et place des ques­tions-réponses aux orga­ni­sa­teurs et com­mis­saires de l’exposition, les jour­na­listes se sont donc fait inter­pe­ler par les Indi­gnés. Les Indi­gnés dis­posent éga­le­ment de la salle prin­ci­pale de la Bien­nale, où ils « font ce qu’ils veulent », selon mijews­ki, dans la limite du res­pect des lois, puisque la Bien­nale est finan­cée par l’Etat fédé­ral alle­mand. Un autre pro­jet inti­tu­lé Brea­king The News, à la fron­tière entre art et jour­na­lisme, docu­mente les appels à la déso­béis­sance civile à tra­vers le monde, sur une série d’écrans géants.

Autre signe de la pri­mau­té de la poli­tique sur l’art dans cette Bien­nale, le cata­logue ne com­porte pra­ti­que­ment que des textes poli­tiques, ain­si que des entre­tiens avec les artistes, illus­trés par de très rares pho­tos. L’artiste Pawel Altha­mer y déclare ain­si qu’il serait néces­saire d’envoyer des artistes à la place de l’armée dans les zones de conflit. Ceux-ci pour­raient per­mettre de renouer le dia­logue grâce à la créa­tion artis­tique et évi­ter des conflits armés. Les sol­dats ne devraient être envoyés qu’en cas d’échec, voire de décès des artistes. Pour illus­trer ce que pour­rait être cette action artis­tique, il a mis en place un « congrès des des­si­na­teurs », où tout visi­teur de la Bien­nale peut venir s’exprimer à tra­vers le des­sin, sans aucune cen­sure. Les murs d’une église désaf­fec­tée ont été recou­verts de papier blanc, et Pawel Altha­mer, dont on a récem­ment pu voir les œuvres au Deutsche Gug­gen­heim, donne l’exemple en des­si­nant sa carte d’identité au fusain. L’œuvre col­lec­tive sera don­née au public à la fin de la Biennale.

Le conflit est un thème majeur de cette Bien­nale, à l’instar du pro­jet de l’artiste Kha­led Jar­rar, qui, en réponse à l’absence d’un Etat pales­ti­nien a déci­dé de prendre les choses en main en créant un tam­pon fic­tif de cet état. Il tam­ponne les pas­se­ports des visi­teurs de la Bien­nale qui le sou­haitent. Il a éga­le­ment créé une série de timbres de l’Etat pales­ti­nien, en uti­li­sant les pro­grammes des postes qui per­mettent de réa­li­ser les timbres à la demande. Les timbres ont été issus par les postes alle­mandes et néer­lan­daises. « La Poste fran­çaise a refu­sé ce pro­jet, sans nous don­ner de rai­son valable », déclare Kha­led Jar­rar. Ces timbres peuvent être ache­tés à la bou­tique sou­ve­nir de la Biennale.

Palstine.jpgL’Allemagne est ren­voyée à son his­toire par l’artiste polo­nais Lukasz Suro­wiec, dans le pro­jet Ber­lin-Bir­ke­nau. Celui-ci a essai­mé dans tout Ber­lin et sur le lieu prin­ci­pal de la Ber­li­nale de jeunes pousses de bou­lots, issus de la région de Bir­ke­nau à proxi­mi­té du camp d’extermination d’Auschwitz. Ces arbres devien­dront des « archives vivantes ». A l’initiative de Maciej Mie­le­cki, une recons­ti­tu­tion de la prise de Ber­lin en 1945 est pré­vue le 29 avril 2012. Nul doute que les Alle­mands, dont la confron­ta­tion à cette période de l’histoire est constante et tou­jours déli­cate, appré­cie­ront. La Pologne doit éga­le­ment faire face à son his­toire avec le pro­jet de l’artiste Yael Bar­ta­na et du « Mou­ve­ment pour la renais­sance juive en Pologne », qui pro­posent le retour de 3 300 000 juifs en Pologne, afin d’y recons­ti­tuer une communauté.

La Bien­nale est finan­cée à hau­teur de 2,5 mil­lions d’euros par la Fon­da­tion pour la Culture fédé­rale. Selon Gabriele Horn, direc­trice de la Bien­nale, cette somme a per­mis une prise de risque dans l’élaboration du conte­nu de l’exposition. Prô­nant l’action démo­cra­tique, les orga­ni­sa­teurs sont cohé­rents avec leur objec­tifs en ouvrant le ver­nis­sage au public et en ins­ti­tuant la gra­tui­té totale de la Bien­nale, jusqu’au 1e juillet 2012. 

Isa­belle Spicer

Source : jour­nal des arts