Les poupées sexuelles nous montrent…

par Megan Walker
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femi­nist cur­rent / Tra­duit par Faus­to Giudice

Peu importe la façon dont vous l’emballez, l’embellissez ou le ren­dez inof­fen­sif, l’ob­jet inani­mé qu’est une “pou­pée sexuelle” n’est que le reflet de ce que les hommes pensent avoir le droit de faire aux femmes.

Peu importe la façon dont vous l’emballez, l’embellissez ou le ren­dez inof­fen­sif, l’ob­jet inani­mé qu’est une “pou­pée sexuelle” n’est que le reflet de ce que les hommes pensent avoir le droit de faire aux femmes.

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Une femme réelle assemble une pou­pée sexuelle à l’u­sine WMDOLL de Zhong­shan, pro­vince du Guang­dong, en Chine. Pho­to REUTERS

Les pou­pées sexuelles nous montrent ce que les hommes attendent des vraies femmes : nous devrions faire attention

La semaine der­nière (fin août 2018), on a appris l’ou­ver­ture d’un “bor­del de pou­pées sexuelles” à Toron­to. Bien que les ques­tions rela­tives aux règle­ments aient empê­ché l’ou­ver­ture d’Aura Dolls à l’en­droit pro­po­sé, ce contre­temps est pro­ba­ble­ment tem­po­raire. Les pou­pées sexuelles en sili­cone sont le pro­duit le plus récent à entrer sur le mar­ché pour que les hommes puissent réa­li­ser leurs fan­tasmes por­no­gra­phiques. Comme le dit la pub d’Aura Dolls, “chaque trou pré­sente des tex­tures, des ner­vures et des ten­sions dif­fé­rentes mais uniques pour vous don­ner des sen­sa­tions intenses qu’il est impos­sible d’ob­te­nir même avec une péné­tra­tion réelle”.

Comme c’est beau, n’est-ce pas ? Une autre étape déshu­ma­ni­sante pour les femmes qui sont déjà consi­dé­rées comme de simples récep­tacles pour satis­faire les dési­rs et les fan­tasmes de chaque homme. Nul doute qu’elles seront bien­tôt pro­gram­més pour dire “oui mon­sieur”, faire le café et balayer le plancher.

Soyons claires. Il n’y a rien d’i­nof­fen­sif dans les “pou­pées sexuelles”. Elles repré­sentent le comble du rabais­se­ment des femmes. Elles repré­sentent un autre niveau de déta­che­ment de la socié­té par rap­port à sa res­pon­sa­bi­li­té de valo­ri­ser, de res­pec­ter et de pro­té­ger les femmes. Les “pou­pées sexuelles” sont une mani­fes­ta­tion de la culture por­no­gra­phique et de la croyance de la socié­té domi­nante mas­cu­line qu’elle doit faire tout ce qu’elle peut pour s’as­su­rer que les hommes puissent avoir des rap­ports sexuels quand et comme ils le veulent, peu importe à quel prix.

Ce n’est pas une pou­pée en plas­tique qui est cou­chée sous eux. C’est chaque femme qui les a reje­tés, chaque femme qu’ils ne peuvent pas avoir, chaque femme qui a eu plus de suc­cès, plus de louanges et a été plus dési­rée que ce que l’homme peut rêver… et main­te­nant cet homme peut faire à cette femme ce qu’il veut. Ne vous y trom­pez pas, ce n’est pas une pou­pée qu’il en train de se faire, ou peut-être de vio­ler, étran­gler ou frap­per, ce sont toutes ces femmes aux­quelles il ne peut pas mesurer.

Peut-être qu’un jour, ce sera une vraie femme.

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Les hommes n’ont pas un droit au sexe. Les fémi­nistes ont tra­vaillé pen­dant des siècles pour libé­rer les femmes de la cho­si­fi­ca­tion qui découle de l’op­pres­sion. C’est une pente raide ren­due encore plus dif­fi­cile par les obs­tacles dres­sés sur notre che­min. Les femmes et les petites filles en sou­tien-gorge et chaus­settes sont uti­li­sées pour rendre « sexy » la publi­ci­té de presque tous les pro­duits : voi­tures, bière, ciga­rettes, vête­ments, chaus­sures et lin­ge­rie. Plus la femme est cho­si­fiée, meilleure est la publi­ci­té et plus les reve­nus sont élevés.

La por­no­gra­phie est acces­sible gra­tui­te­ment à tous, y com­pris aux enfants, par une simple recherche sur un télé­phone. C’est violent, déshu­ma­ni­sant et relève de la tor­ture. Ses vic­times sont des femmes et des filles. Grâce à la culture por­no­gra­phique, le mot “consen­te­ment” a per­du tout sens. Dans la por­no­gra­phie, les femmes disent “non” tan­dis que les larmes coulent sur leur visage. Leur dou­leur et leur peur sont réelles. Le mes­sage reçu par les hommes est : “Fais-le plus fort, fais-le plus long­temps et fais-la souf­frir davan­tage.” Les enfants se blot­tissent en petits groupes dans les cours d’é­cole pen­dant la récréa­tion ou le déjeu­ner, regar­dant du por­no dégra­dant sur l’é­cran de l’en­fant qui a le droit d’ap­por­ter un télé­phone à l’école.

Alors que les jeunes enfants reçoivent une édu­ca­tion sur le consen­te­ment à l’é­cole, ils reçoivent simul­ta­né­ment des mes­sages contra­dic­toires de la por­no­gra­phie et apprennent que les femmes sont des objets jetables.

La culture du por­no enseigne aux filles que leur valeur vient de l’at­ten­tion que les hommes et les gar­çons leur accordent. Pour rece­voir cette atten­tion, elles doivent se trans­for­mer en un objet de plai­sir mas­cu­lin. Les gar­çons ont appris de la por­no­gra­phie qu’ils ont le droit d’u­ti­li­ser et d’a­bu­ser des femmes et des filles. Cer­tains gar­çons et cer­tains hommes en sont tel­le­ment convain­cus que lorsque les femmes leur disent “non”, ils deviennent furieux et rem­plis de haine.

Les ado­les­centes et les jeunes femmes sont aujourd’­hui plus cho­si­fiées qu’à tout autre moment de l’his­toire. Les jouets avec les­quels elles jouent, les vête­ments qu’elles portent, les films et les émis­sions de télé­vi­sion qu’elles regardent, les jeux en ligne et les jeux vidéo aux­quels elles jouent pré­sentent les femmes et les filles comme des objets sexuels jetables.

Les ” bor­dels de pou­pées sexuelles ” sont un symp­tôme du pro­blème plus vaste de la miso­gy­nie : les droits des hommes conti­nuent de l’emporter sur ceux des femmes. Tant que les droits fon­da­men­taux des femmes ne seront pas res­pec­tés, les femmes conti­nue­ront à n’être que des objets jetables.

Et après tout, quoi de plus jetable qu’une pou­pée en sili­cone ? Quand elle a fini d’être uti­li­sée par un homme, elle est net­toyée et louée à un autre uti­li­sa­teur. Lors­qu’elle est décom­po­sée, déchi­rée, abî­mée et qu’elle n’est plus uti­li­sable, elle est jetée à la pou­belle. Ça res­semble à la vie de beau­coup de vraies femmes, non ?

Ne venez pas me dire que les pou­pées sexuelles en sili­cone sont d’ inof­fen­sifs fan­tasmes masculins.

Il ne faut pas s’é­ton­ner que nous en soyons là en 2018. Ce qui est sur­pre­nant et qui devrait sus­ci­ter l’in­di­gna­tion, c’est que tant de gens nous aient per­mis d’en arri­ver là.

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Une femme réelle éli­mine les “imper­fec­tions” d’une pou­pée sexuelle à l’u­sine EXDOLL de Dalian, dans le Nord-Est de la Chine.

Megan Wal­ker
Source : femi­nist cur­rent / Tra­duit par Faus­to Giu­dice — Tlax­ca­la