Ne nourrissez pas les robots…

On l’a­vait ima­gi­né plein de fois dans les mikro­dys­to­pies, mais la mar­chan­di­sa­tion de la vie pri­vée est bel et bien là : ache­tez le livre ! 

« Les robots colo­nisent notre quo­ti­dien. Les voi­tures sont déjà auto­nomes et les grille-pains ne vont pas tar­der. Les implants céré­braux trans­hu­ma­ni­se­ront cha­cun et cha­cune en indi­vi­du aug­men­té. À moins qu’un grain de sable… Les Mikro­dys­to­pies, avec leur regard acide, sont comme des bugs, des glitchs, des zébrures sur l’écran des futurs par­faits et lisses pro­mus par les techno-prophètes.

Ouli­po numé­rique ? Haï­kus tech­niques ? Apho­rismes cyber­né­tiques ? Les Mikro­dys­to­pies sont le pro­duit de l’exercice de style auquel s’est livré Fran­çois Houste : écrire et dif­fu­ser sur Twit­ter des his­toires com­plètes en 280 carac­tères maximum.

Ce recueil de plus de trois cents nou­velles nous invite à par­ti­ci­per, en inter­agis­sant direc­te­ment avec les his­toires ou en écri­vant les nôtres avec les mêmes contraintes. »

Des textes très courts, plein d’humour plus ou moins gri­ma­çant, des moments de ten­dresse aus­si. Les angoisses et les espoirs dévi­ta­li­sés pro­je­tés vers un ave­nir som­bre­ment colo­ré par la pan­dé­mie de covid-19. L’affluence tech­no­lo­gique contre les contro­verses démo­cra­tiques, l’isolement connec­té contre la sin­gu­la­ri­té humaine, le non-sens de la mar­chan­di­sa­tion des êtres humains. Et le fil ten­du d’espoir des résistances…

Fran­çois Houste : Mikro­dys­to­pies Fic­tion C&F édi­tions, Caen 2020, 136 pages, 15 euros

Le monde des cal­culs et des algo­rithmes, les voi­tures auto­nomes, les implants céré­braux, « C’était l’un des incon­vé­nients des implants céré­braux gra­tuits : ils obli­geaient par­fois leur hôte à pro­non­cer un script publi­ci­taire », les objets connec­tés, les réa­li­tés vir­tuelles, les robots, « Com­pre­nez bien que pour votre nou­veau robot par défaut rien n’est faux. Si vous le nour­ris­sez avec des contes de fées, il cher­che­ra des dra­gons pour vous », les puces de géo­lo­ca­li­sa­tion, la recon­nais­sance faciale, la Socié­té Pro­tec­trice des Robots, l’incapacité des robots de « voir les formes d’animaux dans les nuages », les androïdes, les don­nées per­son­nelles et leur mar­chan­di­sa­tion à très grandes échelle, les nano­ro­bots, les assis­tants vocaux, le télé­tra­vail, les pro­thèses, le tra­çage numé­rique, l’effacement ou la créa­tion de sou­ve­nirs, les cyborgs, l’énergie, « il pas­sait le plus clair de son temps à sur­veiller son niveau de bat­te­rie et à cher­cher une prise de cou­rant », les ser­vices de résur­rec­tion numé­rique, les bugs, « son assis­tant lui pro­po­sait désor­mais quelques-uns des plus beaux poèmes qu’il n’ait jamais enten­dus », la repro­duc­tion des habi­tudes, le clo­nage, les assis­tants d’intérieur, les fol­lo­wers, l’Intelligence Arti­fi­cielle Cen­trale, les puces d’audition aug­men­tée, l’immobilité et l’inertie contre les cap­teurs, la mutua­li­sa­tion des appli­ca­tions de shop­ping, l’effacement et l’oubli, le rever­se­ment de droit d’auteur/autrice au logi­ciel cor­rec­teur d’orthographe, la cen­sure, « L’algorithme de modé­ra­tion des conte­nus sup­pri­mait auto­ma­ti­que­ment les conte­nus qui laissent croire qu’il cen­su­rait les conte­nus », l’ennui, les holo­grammes, l’individu « sta­tis­ti­que­ment par­fait », les col­liers de dis­tan­cia­tion phy­sique, les pro­thèses et les voix syn­thé­tiques, la pla­ni­fi­ca­tion des jours fériés en fonc­tion des mises à jour des grands sys­tèmes infor­ma­tiques, la ségré­ga­tion spa­tiale, les impacts sur le cli­mat des nou­velles tech­no­lo­gies, l’absurde, « Les inven­teurs avaient dres­sé une très longue liste de ce que leur robot était capable de faire. Mais il leur était impos­sible de défi­nir clai­re­ment à quoi il ser­vait »…

Quelques élé­ments choi­sis sub­jec­ti­ve­ment dans ce monde des mikro­dys­to­pies, du coté de la ten­dresse, « On avait seule­ment conser­vés les abri­bus pour per­mettre aux amou­reux de s’embrasser à l’abri de la pluie », de l’ironie, « Le robot de la biblio­thèque muni­ci­pale aurait été l’assistant idéal s’il n’avait pas pris l’initiative de cen­su­rer cer­tains ouvrages de science-fic­tion qu’il jugeait offen­sants »…

La construc­tion de irra­tio­na­li­té : « Depuis la pan­dé­mie, on avait pris l’habitude d’accrocher un masque au-des­sus du ber­ceau des nou­veau-nés, comme un talis­man ou comme on le fai­sait autre­fois avec les attrape-rêves. On se disait que cela les pro­té­ge­rait contre les futures épi­dé­mies »…

Et les réac­tua­li­sa­tions de résistance :

« L’ensemble des membres de la famille avaient appris le lan­gage des signes afin que toutes leurs conver­sa­tions ne soient pas com­prises par leur assis­tant vocal ».

« Quand une his­toire devait res­ter secrète, on l’écrivait sur une boite d’allumettes, une ser­viette en papier, un paquet de gâteau… tout ce qui n’était pas un livre et que les robots ne liraient pas. Des biblio­thèques entières virent le jour dans les cel­liers ou des épi­ce­ries ».

« Un peu par­tout, de nou­velles langues appa­rais­saient. Et quand ces langues deve­naient popu­laires, de nou­veaux types d’échanges étaient inven­tés. L’objectif était simple : échap­per aux micros pré­sents par­tout et à la recon­nais­sance vocale de l’Intelligence Arti­fi­cielle Cen­trale ».

Un livre et des his­toires à partager