Ils la traitent de mocheté, de pute, d’alcoolique, d’ignorante, et veulent la brûler comme une sorcière. La jeune artiste bolivienne Rilda Paco est menacée d’un procès pour avoir publié le dessin d’une vierge en string.
“On utilise un miroir pour regarder son visage, mais on utilise les œuvres d’art pour contempler sa propre âme”
Georges Bernard Shaw
La Vierge du Socavón, est une invocation à la Vierge Marie vénérée dans la ville d’Oruro, en Bolivie. Célébrée le samedi du carnaval, elle est la patronne des mineurs, déclarée “Patronne du Folklore National” par loi du 12 février 1994. Particulièrement vénérée par les mineurs, ils lui demandent que les richesses minérales ne viennent pas à manquer dans les mines. Chaque année elle est visitée, par plus de quarante mille danseurs qui après avoir parcouru plus de cinq kilomètres en dansant avec foi et dévotion, finissent par s’agenouiller devant son image.
Ils la traitent de mocheté, de pute, d’alcoolique, d’ignorante, et veulent la brûler comme une sorcière. La jeune artiste bolivienne Rilda Paco est menacée d’un procès pour avoir publié le dessin d’une vierge en string.
Le procès est mené par :
— Le Secrétaire Municipal de Culture, German Navía
— Le président de l’Association des fanfares, Jacinto Quispaya
— Le président du Comité d’Ethnographie et du Folklore, Oscar Elías
— Un Secrétaire Départamental de Culture, Marcelo Lara
— et le représentant de l’Évêché, Rene Cueto.
Cinq hommes.
Cinq hommes qui font le procès à une femme qui a commis comme délit : dessiner le corps d’une autre femme. Dans un pays possédant de hauts taux de femicide, dans un pays avec des constantes dénonciations sur le commerce des femmes, et où circulent des milliers de photos de filles mineurs portée disparues.
Rilda Paco:“ Le dessin que j’ai fait a été ma forme de protester”
Rilda Paco était une illustre inconnue jusqu’à il y a quelques jours, lorsque le programme Al rojo vivo (à rouge vif) du réseau international Telemundo a diffusé un de ses dessins, celui qui montre la Vierge du Socavón en sous-vêtement, face à un groupe de danseurs. L’émission provoqua une vive indignation de beaucoup d’habitants d’Oruro, des institutions et les autorités ont annoncé qu’elle sera jugée pour ‘sacrilège’ et pour “offenser la femme bolivienne”, comme l’a annoncée le gouverneur d’Oruro, Víctor Hugo Vásquez.
L’artiste de 31 ans, qui vit à La Paz et étudie actuellement la Communication Sociale, a voulu donner sa propre version.
Quelles ont été tes motivations pour faire le dessin ?
Je l’ai réalisé un jour après le Carnaval. C’était surtout en réaction à tout ce qui s’était passé à Oruro. Il y a eu des morts et beaucoup de blessés à cause des explosions et ce qui m’a gêné c’est l’insensibilité d’une grande partie de la population envers ces morts, d’autant plus qu’il y a avait beaucoup d’enfants parmi les victimes et c’est ce qui aurait du nous faire mal. De plus, ce n’est un secret pour personne que durant les fêtes du Carnaval, il y a des problèmes de harcèlement et de fémicide. Le dessin que j’ai fait a été ma forme de protester parce que, en soi, la Vierge Marie est celle qui nous représente, nous, toutes les femmes.
Beaucoup me critiquent la manière dont je l’ai représentée. Je crois qu’il n’est pas tout à fait mauvais d’utiliser de la lingerie fine, cela ne fait pas de nous des prostituées ou des bimbos, des termes utilisés par quelques-uns pour m’insulter dans les réseaux sociaux. Cela ne signifie pas non plus que, le fait d’utiliser un string, ils faille violer et frapper une femme. J’ai mis aussi des danseurs, ils représentent ceux qui utilisent la religion, la foi, comme une excuse pour boire et faire la fête. Je crois qu’il y a un malentendu dans tout cela, car ils pensent que j’attaque Oruro et à aucun moment je l’ai fait, parce que j’en suis originaire, et cela me gêne qu’ils pensent qu’Oruro c’est juste le Carnaval, Oruro est bien plus que cela. Oruro possède une histoire, une mythologie, des légendes, une lutte ouvrière, syndicale, une lutte minière et bien d’autres choses.
Comment ton oeuvre a‑t-elle commencé à circuler ?
J’ai publié le dessin sur les réseaux sociaux et quelques amis l’ont partagé, et il n’y a pas eu de scandale jusqu’à ce qu’un mardi Telemundo me contacte pour faire une émission, qui a duré plus d’une demi-heure. J’y ai expliqué quelques points, mais ils n’ont montré qu’une partie et l’ont fait d’une manière sensationnaliste, en disant que je suis allé placarder mon dessin à l’église de San Francisco, mais à aucun moment j’ai fait cela. Ils ont menti, et ce qui me gêne c’est que cela m’apporte des problèmes, de menaces et des insultes.
Certains pensent qu’à travers du scandale tu essaies d’avoir tes cinq minutes de gloire…
Dans aucun moment je n’ai cherché une renommée et les personnes qui me connaissent savent comment je suis. J’ai simplement publié un dessin en signe de protestation. Ce n’est pas la première fois que je critique le carnaval, je l’ai déjà fait avec d’autres dessins. Certains me disent régionaliste, que je m’occupe que du Carnaval d’Oruro, mais ce n’est pas ainsi.
Le Gouverneur d’Oruro et d’autres institutions ont annoncé qu’ils te feront un procès : qu’en penses-tu ?
J’ai le soutien de ma famille, de mes amis, d’artistes, de femmes et même de quelques voix catholiques. Maintenant, je constate que je ne suis pas seule, de plus que nous sommes dans un État laïque. Nous avons notre Constitution qui dit qu’il y a une liberté d’expression et je m’appuie là-dessus. Je sais aussi que les dévots qui vont à Oruro, non-uniquement pour s’enivrer, m’appuieront.
Ne penses-tu pas réaliser une défense légale ?
Non, pas encore. J’essaye qu’ils puissent réfléchir en écoutant mon point de vue, parce qu’ils n’ont écouté que Telemundo ; alors, j’éspère qu’ils puissent revenir à la raison parce que nous ne sommes plus à l’époque de l’Inquisition ou de la dictature et de me punir de cette façon.
Quelle est ta formation artistique ?
J’ai commencé dans l’art il y a presque dix ans en l’étudiant à l’Académie de Beaux-Arts. J’ai réalisé quelques expositions collectives. Je n’ai jamais réalisé d’exposition individuelle parce que je ne me sent pas préparée, parce que je crois qu’un artiste ne termine jamais d’apprendre et je considère que je continue d’apprendre. Je ne me considère pas comme une grande artiste, pour rien au monde. Certains qui m’ont insulté me disent que cela n’est pas art, mais bon, chacun a sa différente vision de l’art.