Une conversation avec Noam Chomsky

Ce qui est arrivé cette dernière décennie en Amérique du sud est assez spectaculaire. Je veux dire : cela revêt une grande importance historique.

chomsky.jpgDada Mahe­sh­va­ra­nan­da : La crois­sance du Mou­ve­ment Occu­py, per­çu plu­tôt posi­ti­ve­ment, est un signe de la ter­rible insa­tis­fac­tion face aux inéga­li­tés et aux abus des grandes entre­prises capi­ta­listes. Le slo­gan « Nous sommes 99% » a beau­coup plu. Quelle pour­rait être la force de ces mobi­li­sa­tions de masse, selon vous ? Quelles sont leurs chances d’obtenir des chan­ge­ments sociaux ?

Noam Chom­sky : Le Mou­ve­ment Occu­py a déjà rem­por­té cer­tains suc­cès. Le pre­mier, comme vous le dites, c’est d’avoir modi­fié le dis­cours domi­nant. Ces inquié­tudes et ces peurs étaient très for­te­ment pré­sentes depuis long­temps pour des rai­sons tout à fait claires, dues aux chan­ge­ments dans le sys­tème socio-éco­no­mique ces trente ou qua­rante der­nières années. Mais cela n’avait pas cris­tal­li­sé net­te­ment avant que le Mou­ve­ment Occu­py ne les assume. Et main­te­nant ces idées sont assez répan­dues. Donc 99% et 1%, l’inégalité radi­cale, le carac­tère comique des élec­tions ven­dues, les folies des grandes entre­prises qui ont pro­vo­qué la crise actuelle et qui ont lami­né les gens pen­dant si long­temps, les guerres menées dans le monde, et ce genre ce choses. C’est une contri­bu­tion majeure.

L’autre suc­cès est peu men­tion­né, mais je pense qu’il est assez impor­tant. Il s’agit d’une socié­té très ato­mi­sée. Les gens sont seuls. C’est une socié­té com­plè­te­ment diri­gée par le busi­ness. Le but décla­ré du monde du busi­ness c’est de créer un ordre social où l’unité sociale de base c’est vous et votre télé, où vous regar­dez des publi­ci­tés, puis vous sor­tez faire des achats. Beau­coup d’efforts sont faits dans ce sens, cela dure depuis un siècle et demi, pour essayer de faire pré­va­loir ce genre de culture et ce genre d’ordre social.

En fait si vous remon­tez met­tons 150 ans en arrière, au début de la révo­lu­tion indus­trielle, ici même dans le Mas­sa­chu­setts, où elle a com­men­cé, il y avait une presse très dyna­mique à l’époque, pro­ba­ble­ment la plus belle période pour la liber­té de la presse aux États-Unis. Des jour­naux de toutes sortes, des jour­naux eth­niques, de jour­naux ouvriers, etc., qui étaient très inté­res­sants, très dyna­miques, par­ti­ci­pa­tifs, ils cri­ti­quaient beau­coup le sys­tème indus­triel qui était impo­sé et qui aspi­rait les gens. L’une des prin­ci­pales cri­tiques c’est ce qu’il y a 150 ils appe­laient le « Nou­vel esprit du temps » : « Deve­nir riche, ne pen­ser qu’à soi-même », ce qui était consi­dé­ré comme bar­bare et inhu­main mais qu’on cher­chait à leur incul­quer. 150 ans plus tard ils essaient encore de faire pas­ser cette même idée : « Deve­nir riche, ne pen­ser qu’à soi-même ». C’est main­te­nant consi­dé­ré comme un idéal, mais c’est tou­jours aus­si into­lé­rable pour les êtres humains.

L’un des effets du Mou­ve­ment Occu­py a été la créa­tion spon­ta­née de sys­tèmes locaux de soli­da­ri­té, de sou­tien mutuel, de coopé­ra­tion, de can­tines coopé­ra­tives, de biblio­thèques, de ser­vices de san­té, d’assemblées géné­rales où les gens agissent en com­mun. Lorsque nous par­lons de poten­tiel, une par­tie du poten­tiel ce serait tout d’abord de main­te­nir ces liens et ces asso­cia­tions puisque l’expérience a mon­tré leur uti­li­té. Et les tac­tiques qui montrent leur uti­li­té ne doivent pas être aban­don­nées. Un fois cela obte­nu, si ce qui a été appris et inté­gré pou­vait se main­te­nir et se géné­ra­li­ser ce serait déjà très important.

Une autre ques­tion serait de savoir dans quelle mesure tu peux impli­quer le reste des 99% dans ces acti­vi­tés, ces réflexions, dans l’action, etc. C’est le pas suivant.

Dada Mahe­sh­va­ra­nan­da : Beau­coup dans le Mou­ve­ment Occu­py ont pris conscience du fait que la démo­cra­tie est contrô­lée par les per­sonnes qui ont beau­coup d’argent. Rares sont ceux qui ont expri­mé l’idée selon laquelle la démo­cra­tie éco­no­mique est essen­tielle pour une socié­té démo­cra­tique. La théo­rie de l’utilisation pro­gres­sive (PROUT, « Pro­gress­sive Uti­li­za­tion Theo­ry » en anglais) explique que la démo­cra­tie éco­no­mique donne plus de pou­voir au peuple et aux com­mu­nau­tés en recou­rant à la ges­tion coopé­ra­tive des entre­prises. La démo­cra­tie éco­no­mique signi­fie que les besoins élé­men­taires sont garan­tis à tous et que la prise de déci­sion est décen­tra­li­sée, de façon à ce que les gens aient le droit de choi­sir le mode de ges­tion de leur éco­no­mie à l’échelle locale. À tous les niveaux de gou­ver­ne­ment les choix poli­tiques doivent favo­ri­ser le plein emploi. Pen­sez-vous que la démo­cra­tie éco­no­mique et que les éco­no­mies locales pour­raient être améliorées ?

Noam Chom­sky : Notons d’abord que c’est une demande tra­di­tion­nelle de la gauche. Si vous reve­nez 150 ans en arrière, ces mêmes jour­naux dont je par­lais tout à l’heure, l’une de leurs exi­gences c’était que ceux qui tra­vaillent à l’usine devraient en être pro­prié­taires, et la gérer bien enten­du. C’était le slo­gan des Che­va­liers du tra­vail (« Knights of Labor »), la grande orga­ni­sa­tion ouvrière du XIXème siècle. Le socia­lisme euro­péen a eu des ori­gines dif­fé­rentes, mais la branche la plus à gauche, si vous vou­lez, était à peu près iden­tique, ils défen­daient l’idée des conseils ouvriers, l’organisation de la com­mu­nau­té ; le socia­lisme des guildes en Angle­terre était équi­valent. C’est l’évolution tra­di­tion­nelle du mou­ve­ment socia­liste. On ne com­prend pas cela ici, parce que, comme je l’ai dit, c’est une socié­té com­plè­te­ment orien­tée par le busi­ness. On ne vous per­met pas de connaître toutes ces choses. Le socia­lisme est un peu comme un gros mot.

Enfin, c’est ce qui arrive dans une socié­té hau­te­ment contrô­lée, une socié­té for­te­ment endoc­tri­née. Mais ce sont des aspi­ra­tions très fami­lières. D’ailleurs pour le plus impor­tant phi­lo­sophe qui réflé­chis­sait à la ques­tion sociale aux États-Unis, John Dewey, pour lui c’était des choses évi­dentes. Comme il l’a dit, si toutes les ins­ti­tu­tions de la socié­té – l’industrie, l’agriculture, la com­mu­ni­ca­tion, les médias, tout cela – , ne sont pas sous contrôle démo­cra­tique et popu­laire, avec une large par­ti­ci­pa­tion des tra­vailleurs et de la com­mu­nau­té, les déci­sions revien­dront au big busi­ness. C’est l’alternative.

Vous ne pou­vez pas avoir une réelle démo­cra­tie poli­tique sans une vraie démo­cra­tie éco­no­mique. Je pense que d’une cer­taine façon les tra­vailleurs le com­prennent bien. Il faut que cela se trans­forme en conscience, mais c’est pré­sent de façon sous-jacente.

En fait cer­taines choses se pro­duisent. Le plus inté­res­sant ce sont les coopé­ra­tives Ever­green dans l’Ohio, dans la région de Cle­ve­land. Il y a des dizaines, voire des cen­taines, d’entreprises, pas de très grandes entre­prises, mais des entre­prises assez impor­tantes, qui sont pro­prié­tés de leurs tra­vailleurs et, moins fré­quem­ment, gérées par les tra­vailleurs. Le plus grand conglo­mé­rat pro­prié­té des tra­vailleurs c’est Mon­dragón au Pays basque, en Espagne. Il s’agit d’une entre­prise qui appar­tient aux tra­vailleurs, mais elle n’est pas gérée par les tra­vailleurs, le conglo­mé­rat com­prend des banques, des écoles, cela touche nombre de com­mu­nau­tés, c’est quelque chose de très large. Et il existe çà et là d’autres élé­ments. Quelques bons livres en ont récem­ment par­lé, dont un de Gar Alpe­ro­vitz, « Ame­ri­ca Beyond Capi­ta­lism », qui parle des entre­prises qui sont pro­prié­tés des tra­vailleurs et qui essaiment un peu par­tout dans le pays. Cela pour­rait aller plus loin.

Ain­si il y a quelques années le gou­ver­ne­ment a de fait natio­na­li­sé l’industrie auto­mo­bile. Il en est presque arri­vé à cela. Il exis­tait dif­fé­rentes options. Une pos­si­bi­li­té, le choix que l’on fait dans une socié­té diri­gée par le busi­ness, était de recons­ti­tuer l’industrie, et de la rendre aux pro­prié­taires ou à des gens qui leur soient très sem­blables, et de les lais­ser conti­nuer comme avant. C’est une pos­si­bi­li­té – c’est bien sûr le choix qui avait été fait, sans discussion.

Mais il exis­tait une autre pos­si­bi­li­té. Et s’il y avait eu un Mou­ve­ment Occu­py actif à ce moment-là, il aurait pu ouvrir le débat sur cette autre option. Il aurait certes fal­lu qu’il fût plus puis­sant et mieux orga­ni­sé qu’aujourd’hui. Il n’a que quelques mois après tout. L’autre option c’était de remettre l’industrie auto­mo­bile aux tra­vailleurs dans les com­mu­nau­tés, pour qu’ils en soient pro­prié­taires, et qu’ils la gèrent, qu’ils la fassent fonc­tion­ner. Ils auraient pu l’orienter vers les besoins du pays.

Après tout il y a des choses qui font sin­gu­liè­re­ment défaut dans la socié­té. Le plus évident c’est les trains à grande vitesse. Les États-Unis sont en retard par rap­port à bien des pays dans ce sec­teur. C’est un scan­dale. C’est éco­no­mi­que­ment néga­tif, socia­le­ment néga­tif, humai­ne­ment néga­tif, éco­lo­gi­que­ment néga­tif, et tout ce que vous vou­lez. C’est tout sim­ple­ment ridi­cule. Et les tra­vailleurs qua­li­fiés dans ce qu’on appelle la « cein­ture de rouille » [« rust belt » en anglais, ancien­ne­ment connue comme « manu­fac­tu­ring belt », soit « cein­ture indus­trielle »] pour­raient fort bien être recy­clés pour faire cela. Des gens comme Sey­mour Mel­man défendent cela depuis des années. Il fau­drait cer­tai­ne­ment des aides fédé­rales, mais rien à voir avec ce qui a été ver­sé aux banques.

Et voyez jusqu’à quel point c’est iro­nique, au moment où Oba­ma recons­ti­tuait l’industrie auto­mo­bile, et la ren­dait aux pro­prié­taires habi­tuels, il envoyait son secré­taire d’État aux trans­ports en Espagne pour des contrats visant à faire faire par les Espa­gnols des voies fer­rées pour trains à grande vitesse. Ils sont bien en avance sur nous, les Fran­çais et les Alle­mands éga­le­ment. Et vous avez ces sites indus­triels qui gisent là, des tra­vailleurs qui veulent tra­vailler, des com­mu­nau­tés qui vou­drait conti­nuer d’exister sur la base du tra­vail ; et de plus le pays a des besoins criants. Mais rien n’est fait pour arran­ger les choses. Et il faut aller à l’étranger, en Espagne, pour deman­der de l’aide. Je veux dire, c’est une condam­na­tion sans appel d’un sys­tème ban­cal. Et c’est le genre de chose que le Mou­ve­ment Occu­py devrait abor­der, allant au-delà des ques­tions tactiques.

Il existe des évé­ne­ments de ce type par­tout dans le pays. Il y en avait ici même il y a deux ans. Une petite entre­prise manu­fac­tu­rière très spé­cia­li­sée qui fonc­tion­nait bien dans la ban­lieue de Bos­ton, elle pro­dui­sait des équi­pe­ments très spé­ci­fiques pour les avions, et la mul­ti­na­tio­nale pro­prié­taire vou­lait la fer­mer. Peut-être qu’elle ne fai­sait pas assez de pro­fits pour eux. Le syn­di­cat UE [Uni­ted Elec­tri­cal, Radio and Machine Wor­kers of Ame­ri­ca], un syn­di­cat plu­tôt pro­gres­siste, et les employés ont pro­po­sé de rache­ter l’entreprise et de la gérer eux-mêmes avec le sou­tien de la com­mu­nau­té. Et bien l’entreprise n’était pas d’accord. Je pense qu’ils ont per­du de l’argent. Je pense que c’était juste pour des rai­sons de classe. L’idée de tra­vailleurs-pro­prié­taires, d’entreprises gérées avec suc­cès par les tra­vailleurs, n’est pas très sédui­sante. Bref, ils l’ont fer­mée, donc main­te­nant cette ville n’a plus l’industrie sur laquelle elle était en par­tie basée. Encore une fois, nous avions un mou­ve­ment mili­tant vigou­reux et pro­gres­siste, tou­chant de nom­breux espaces de la com­mu­nau­té, qui aurait pu être sau­vé. Et des situa­tions de ce genre il y en partout.

Donc oui, c’est la chose à faire. C’est très pré­sent dans la tra­di­tion des États-Unis, et cela a été éli­mi­né par la nature de la classe d’affaire dotée d’une forte conscience de classe qui mène tou­jours, en per­ma­nence, une impla­cable lutte de classe. Ils savent très bien ce qu’ils font ; tout est très bien coor­don­né et contrô­lé. C’est vrai par­tout, mais par­ti­cu­liè­re­ment aux États-Unis. C’est habi­tuel de ce point de vue ; nous en voyons par­tout les conséquences.

Dada Mahe­sh­va­ra­nan­da : Conti­nuons à par­ler de ce 1%. Les res­sources sur la pla­nète étant limi­tées, l’accumulation de la richesse, voire son uti­li­sa­tion pour la spé­cu­la­tion plu­tôt que pour des inves­tis­se­ments pro­duc­tifs, réduit les chances des autres et accroît la pau­vre­té. Un prin­cipe fon­da­men­tal de la PROUT c’est de limi­ter l’accumulation de la richesse et de créer un salaire maxi­mum qui serait lié au salaire mini­mum, un lien serait fait pour les salaires à tous les niveaux de gou­ver­ne­ments aux États-Unis avec une une échelle sala­riale qui n’excéderaient pas le fac­teur 10 entre le salaire de base et le salaire le plus haut, celui d’un pré­sident, d’un géné­ral ou d’un juge. Que pen­sez-vous de l’éventualité de la limi­ta­tion de l’accumulation de la richesse ?

Noam Chom­sky : D’abord, il y a des objec­tifs encore plus ambi­tieux. Un autre idéal tra­di­tion­nel de la gauche était « de cha­cun selon ses capa­ci­tés, à cha­cun selon ses besoins ». Et c’est une idée assez popu­laire. En 1976, lors du 200ème anni­ver­saire de la Décla­ra­tion d’Indépendance, on a fait des son­dages, on ques­tion­nait les gens, on leur don­nait des listes de décla­ra­tions, et on leur a deman­dé : « Les­quelles selon vous sont dans la Consti­tu­tion ? ». Bon. Per­sonne ne sait ce qu’il y a dans la Consti­tu­tion, donc la ques­tion à laquelle ils répon­daient c’était de savoir les­quelles de ces décla­ra­tions étaient des évi­dences, qui devaient donc être dans la Consti­tu­tion. Cette for­mule a rem­por­té une grande majorité.

Tout cela a beau­coup à voir avec la finan­cia­ri­sa­tion de l’économie. C’est un nou­veau phé­no­mène. Bien sûr il y a tou­jours eu de la finance, des krachs finan­ciers, ce genre de choses, mais il y a eu un grand chan­ge­ment dans les années 1970. Le New deal avait ins­tau­ré une série de régu­la­tions, dont cer­taines spé­ci­fiaient que les banques étaient des banques, et donc que les banques devaient faire ce que les banques sont cen­sées faire dans une éco­no­mie de capi­ta­lisme d’État. Vous pou­vez dire que ce n’est pas le bon type d’économie, les banques ont une fonc­tion. Elles sont sup­po­sées prendre du capi­tal non uti­li­sé – le compte ban­caire de quelqu’un – et le trans­va­ser vers des actions pro­duc­tives, comme com­men­cer une affaire, ache­ter une mai­son, des choses de ce genre. Et c’est plus ou moins ce qu’elles ont fait. Il n’y a pas eu de krach dans les 1950 et 1960, période pen­dant laquelle il y a eu la plus forte crois­sance de l’histoire des États-Unis. C’était aus­si une période où les riches payaient beau­coup d’impôts. Crois­sance très rapide, crois­sance éga­li­taire, pas de krach.

Cela a été modi­fié dans les années 1970 et ça s’est accé­lé­ré sous Rea­gan avec l’élimination de tout contrôle pour le capi­tal. Les sommes qui avaient été à peu près régu­lées ont été libé­rées. Les autres dis­po­si­tifs de contrôle du capi­tal ont été sup­pri­més. Vous avez donc eu une énorme explo­sion du capi­tal spé­cu­la­tif qui a inon­dé les mar­chés des capi­taux. En 2007 juste avant le der­nier krach, et l’autre vien­dra un peu plus tard, les ins­ti­tu­tions finan­cières étaient à 40% des pro­fits des grandes entre­prises. Et elles ne contri­buaient pas à l’économie.

En fait l’un des plus res­pec­tés par­mi les jour­na­listes de la finance dans le monde anglo­phone c’est Mar­tin Wolf du Finan­cial Times. Il a dit que ces ins­ti­tu­tions sont sim­ple­ment des larves qui s’attachent à un hôte qu’elles mangent de l’intérieur. L’hôte dont il parle c’est le sys­tème du mar­ché, avec lequel il est d’accord bien sûr, et il dit que ces ins­ti­tu­tions finan­cières le mangent de l’intérieur, et il cite des chiffres qui montrent com­bien elles sont nui­sibles. Mais elles accu­mulent beau­coup de capi­tal dans très peu de mains. C’est l’une des rai­sons de l’augmentation de la concen­tra­tion de la richesse.

L’image du 1% est un peu erro­née parce que en fait les énormes concen­tra­tions de richesse c’est pour 0,1% de la popu­la­tion. Juste au-des­sous y com­pris dans le 1% la richesse n’est pas si spec­ta­cu­laire. Donc la concen­tra­tion de richesse se trouve dans une minus­cule par­tie de la socié­té, prin­ci­pa­le­ment des gérants de fonds spé­cu­la­tifs [« hedge funds »] et des PDG de mul­ti­na­tio­nales. Et cela se tra­duit, presque auto­ma­ti­que­ment, dans le pou­voir politique.

Vous avez eu aus­si en paral­lèle, au même moment, une nette aug­men­ta­tion des dépenses pour les cam­pagnes élec­to­rales. Donc bien sûr main­te­nant c’est des chiffres incroyables, c’est en une des jour­naux. Au début des années 1980 ça aug­men­tait déjà sub­stan­tiel­le­ment. Cela oblige les par­tis à fouiller dans les poches des grandes entre­prises. Les médias disent « les syn­di­cats et les grandes entre­prises », mais c’est prin­ci­pa­le­ment les grandes entre­prises, parce que c’est là que se trouve l’argent. Et de plus en plus il s’agit de grandes entre­prises finan­cières – ils achètent de plus en plus les élections.

Ils achètent aus­si le Congrès. Par exemple je pense que les États-Unis ont le seul sys­tème par­le­men­taire où – et c’est très récent d’ailleurs, avant une posi­tion d’influence au Congrès, la pré­si­dence d’un comi­té, ce genre de chose, c’était une recon­nais­sance des taches réa­li­sées par un notable –, main­te­nant, vous devez juste payer le par­ti. Si vous payez vous pou­vez aspi­rer au poste. Donc ils finissent tous par être contrô­lés par les gens qui ont l’argent nécessaire.

Il y a 20 ans que les répu­bli­cains ne pré­tendent plus être un par­ti poli­tique. Ils sont main­te­nant dans ce 0,1%. L’une des rai­sons qui expliquent le fait que le dis­cours répu­bli­cain est une vraie plai­san­te­rie c’est que pour mobi­li­ser les élec­teurs, ils ne peuvent pas s’adresser aux élec­teurs avec leur vrai pro­gramme, per­sonne ne vote­rait pour eux. Ils doivent donc en appe­ler à des ten­dances assez déplai­santes dans la popu­la­tion, qui ont tou­jours exis­té, mais qui sont main­te­nant mobi­li­sées, voi­là où nous en sommes. Le monde ne peut pas croire ce qu’il voit. Mais c’est le résul­tat natu­rel de l’abandon par le par­ti de toute pré­ten­tion à être un par­ti par­le­men­taire au sens habi­tuel, s’attachant main­te­nant à ser­vir 0,1% de la population.

Les démo­crates ne sont pas si dif­fé­rents. Les démo­crates étaient appe­lés des répu­bli­cains modé­rés, mais ils ont tous été éjec­tés du par­ti. En fait une per­sonne comme Eisen­ho­wer pas­se­rait pour un gau­chiste dans l’éventail actuel, très à gauche. Y com­pris Rea­gan se trou­ve­rait à peu près à gauche. Ce sont là des chan­ge­ments qui se sont pro­duits depuis les années 1970 et 1980.

Un autre phé­no­mène qui s’est pro­duit alors c’est la déré­gu­la­tion, laquelle a pro­vo­qué, sans sur­prise, une série de krachs depuis les années Rea­gan. Un autre élé­ment c’est les chan­ge­ments sur­ve­nus dans la ges­tions des grandes entre­prises. Ain­si par exemple, main­te­nant, ces 30 der­nières années en fait, un PDG peut choi­sir le conseil d’administration qui lui garan­tisse un salaire et des stock options. Vous pou­vez pré­voir le résul­tat. Main­te­nant si vous com­pa­rez, met­tons les États-Unis et l’Europe, des socié­tés assez sem­blables, le pour­cen­tage des salaires des diri­geants de socié­té com­pa­ré au pour­cen­tage des salaires des tra­vailleurs est beau­coup plus éle­vé ici que dans des socié­tés com­pa­rables, et pas parce qu’ils sont plus talen­tueux, comme dirait David Brooks [du New York Times], ou parce qu’ils tra­vaillent – en fait ils ont pro­ba­ble­ment fait du tort à l’économie – mais sim­ple­ment parce que si vous dites aux gens, bon bah, vous pou­vez prendre le salaire que vous vou­lez. Et bien c’est un gros pro­blème. Si les États-Unis en reve­naient, disons, sim­ple­ment à ce qu’ils étaient, rien de très uto­pique, ou pour être comme les autres socié­tés indus­trielles, c’est pas vrai­ment un très beau modèle, cer­tai­ne­ment pas une uto­pie, cette énorme dif­fé­rence entre les grandes rému­né­ra­tions et celles des tra­vailleurs se rédui­rait remarquablement.

Mais j’ai l’impression que ce n’est pas pour tout de suite. Nous devrions au moins en reve­nir à l’idéal de la gauche tra­di­tion­nelle. C’est en fait une concep­tion du tra­vail qui est sous-jacente. Il existe dif­fé­rentes façons de conce­voir le tra­vail. Et ce sont des débats qui remontent aux Lumières. L’une des concep­tions c’est que le tra­vail c’est quelque chose que tu dois être contraint de faire. Tu ne le ferais pas si tu n’y étais pas obli­gé par la faim. C’est quelque chose que tu détestes mais que tu dois faire parce que sinon tu ne peux pas vivre. C’est en gros la concep­tion capi­ta­liste du travail.

Il existe une autre concep­tion du tra­vail qui dit que le tra­vail est un idéal de vie. Un tra­vail libre et créa­tif, que tu contrôles toi-même, c’est exac­te­ment ce que n’importe quel être humain choi­si­rait s’il le pou­vait. Il y a des lieux où cet idéal est mis en pra­tique. Si vous pas­sez dans les salles ici au MIT vous ver­rez des gens qui tra­vaillent peut-être 80 heures par semaine. Ils pour­raient gagner beau­coup plus d’argent à la bourse. Mais ils font ce tra­vail parce qu’ils l’adorent. Il y a des choses que tu aimes faire. Je connais des menui­siers qui vivent leur tra­vail de cette façon. Durant leur temps libre, ils vont dans le garage et font des choses qui les inté­ressent, c’est ce qu’ils aiment faire. C’est une concep­tion dif­fé­rente du travail.

Main­te­nant dans la seconde concep­tion, c’est à peu près la concep­tion des Lumières, il n’y a pas de rai­son pour que ta paie soit liée à la quan­ti­té de tra­vail que tu fais. Cela n’a rien à voir. Tu fais le tra­vail même si tu n’es pas payé. Si tu contrôles toi-même ton tra­vail, si c’est ton choix, je veux dire. Une image des Lumières don­née par l’un des fon­da­teurs du libé­ra­lisme clas­sique, Wil­helm von Hum­boldt, était la sui­vante : si un arti­san pro­duit un bel objet sur com­mande, nous admi­rons ce qu’il fait mais nous mépri­sons ce qu’il est, un ins­tru­ment dans la main d’autrui. Par contre s’il crée l’objet de son propre choix, sur la base de ses prio­ri­tés, de ses inté­rêts, nous admi­rons ce qu’il a fait et ce qu’il est.

D’ailleurs Adam Smith a dit à peu près la même chose. Ce sont des idées tra­di­tion­nelles, conser­va­trices, si le mot conser­va­trice a un sens. Mais la concep­tion du capi­tal est dif­fé­rente : tu ne tra­vailles que sous l’oppression. Donc ceux qui tra­vaillent soi-disant davan­tage – en fait ce n’est pas le cas – ils devraient avoir pour des mil­lions d’actions en bourse. Ce sont des concep­tions très dif­fé­rentes, et elles conduisent à des tas d’idées dif­fé­rentes sur la façon d’organiser la société.

Dada Mahe­sh­va­ra­nan­da : Noam, vous avez écrit : « L’esclavage, l’oppression des femmes et des tra­vailleurs, et d’autres graves vio­la­tions des droits humains ont pu per­du­rer en par­tie parce que, de dif­fé­rentes façons, les valeurs des oppres­seurs ont été inté­grées par les vic­times. C’est pour­quoi la prise de conscience est sou­vent le pre­mier pas vers la libé­ra­tion ». Com­ment prendre conscience, com­ment nous libé­rer des valeurs des oppres­seurs qui sont tapies en nous ?

Noam Chom­sky : Je dois dire, une fois de plus, que je ne suis pas le pre­mier à expri­mer ce point de vue. C’est très ancien. David Hume, par exemple, un autre des fon­da­teurs du libé­ra­lisme clas­sique, un grand phi­lo­sophe, avait par­lé de la fon­da­tion des gou­ver­ne­ments. Il disait que le pre­mier prin­cipe de gou­ver­ne­ment, cela l’avait frap­pé quand il ana­ly­sait l’histoire, il était aus­si his­to­rien, ce qui l’avait frap­pé c’était la faci­li­té avec laquelle les gou­ver­nés acceptent la loi des gou­ver­nants. Il dit que c’est para­doxal, parce que le pou­voir est aux mains des gou­ver­nés, le pou­voir n’est pas entre les mains des gou­ver­nants. Com­ment le miracle se pro­duit-il ? Il dit que c’est grâce au contrôle de l’opinion. Si les gou­ver­nants peuvent contrô­ler l’opinion et les com­por­te­ments, s’ils peuvent impo­ser ce qui a plus tard été appe­lé une fausse conscience, comme tu le disais, alors ils peuvent gou­ver­ner. Mais si tu peux bri­ser cela, alors c’est fini, ils ne peuvent plus résis­ter face aux gouvernés.

Com­ment bri­ser cela ? De toutes les façons que nous connais­sons. Pre­nez le cas de l’esclavage. En fait il n’y a jamais eu de période paci­fique durant l’esclavage, il y avait sans cesse des révoltes. Les familles d’esclaves trou­vaient leur propre moyen pour construire des îles de liber­té dans la socié­té sadique à laquelle ils appar­te­naient. Occa­sion­nel­le­ment cela a conduit à des grandes révoltes qui étaient vio­lem­ment répri­mées. Au bout du compte on est arri­vés, après une trop longue période bien sûr, à l’abolition et à l’élimination for­melle de l’esclavage. Notez bien for­melle, parce que en fait par bien des aspects le sys­tème est intact. La Guerre de séces­sion a bien mis un terme à l’esclavage tech­ni­que­ment, avec un amen­de­ment consti­tu­tion­nel, mais il a été recons­ti­tué 10 ans après ; et la com­mu­nau­té noire a été cri­mi­na­li­sée par­tout au nord comme au sud. Nous connais­sons quelque chose d’un peu équi­valent main­te­nant avec le taux d’incarcération.

Regarde le cas des droits des femmes. Cela remonte aus­si très loin. Mais cela n’était pas deve­nu un vrai mou­ve­ment avant les années 1970. Il y a eu quelques pro­lé­go­mènes pen­dant le mili­tan­tisme des années 1960, mais cela a com­men­cé avec des petits groupes qui ont tra­vaillé au sur­gis­se­ment de la conscience. Des groupes de femmes s’adressant à d’autres femmes et ten­tant de contre­car­rer l’idée selon laquelle les choses sont ain­si parce qu’elles doivent être ain­si : le choix n’existe pas, les femmes sont sup­po­sées être des pro­prié­tés. En fait si vous regar­dez la loi états-unienne, les femmes sont res­tées essen­tiel­le­ment des pro­prié­tés jusqu’aux années 1970. Je veux dire : il n’existait pas de droit per­met­tant aux femmes d’être jurés jusqu’à 1975, lorsque la Cour suprême en a déci­dé autre­ment. Cela s’est déve­lop­pé prin­ci­pa­le­ment par­mi les femmes. Il y a eu une grosse crise dans le mou­ve­ment mili­tant des années 1960, d’ailleurs, lorsque des jeunes gar­çons qui se com­por­taient cou­ra­geu­se­ment, qui résis­taient, devaient se rendre compte qu’ils étaient aus­si des oppres­seurs. C’était dif­fi­cile, dans cer­tains cas cela a pro­vo­qué des sui­cides. C’est dif­fi­cile à gérer. Mais peu à peu cela a gagné toute la socié­té, et main­te­nant beau­coup de choses sont consi­dé­rées comme des évi­dences. Pas par­tout, pas pour Rick San­to­rum, mais c’est assez géné­ral. Et c’est comme cela que les choses changent, pour les droits des tra­vailleurs, et dans tous les cas. Ce n’est pas de la magie. Nous savons com­ment le faire – il s’agit juste de le faire.

Dada Mahe­sh­va­ra­nan­da : Je vis au Vene­zue­la. Avez-vous un mes­sage pour les Lati­no-Amé­ri­cains et pour les Cari­béens qui essaient de se libé­rer de la domi­na­tion états-unienne ?

Noam Chom­sky : Ce qui est arri­vé cette der­nière décen­nie au sud de notre fron­tière est assez spec­ta­cu­laire. Je veux dire : cela revêt une grande impor­tance his­to­rique. Si on consi­dère l’histoire, pen­dant 500 ans l’Amérique latine a été domi­née par des pou­voirs impé­riaux, ces der­niers temps par les États-Unis. La situa­tion inté­rieure est le reflet de cette domi­na­tion, la socié­té lati­no-amé­ri­caine typique avait une petite élite super-riche, 1% si vous vou­lez, glo­ba­le­ment euro­péa­ni­sée, géné­ra­le­ment blanche. Ils concen­traient la richesse de la socié­té au milieu d’une ter­rible misère, d’une oppres­sion, dans des pays plu­tôt riches, des socié­tés qui devraient être assez riches. Les élites étaient très occi­den­ta­li­sées. Leurs capi­taux par­taient vers l’Occident, ils n’investissaient pas loca­le­ment. Ils impor­taient des pro­duits de luxe. Leurs enfants allaient dans des uni­ver­si­tés en Europe ou aux États-Unis. Ils avaient des rési­dences sur la côte d’Azur, ce genre de chose. En gros l’Europe et les États-Unis, un Occi­dent implan­té dans leurs propres socié­tés, et ils les gou­ver­naient de façon très bru­tale. Les pays étaient sépa­rés les uns des autres. Ils n’existait qua­si­ment pas de route pour connec­ter les pays entre eux. Ils étaient exclu­si­ve­ment tour­nés vers l’Occident, les États-Unis.

Cela a chan­gé ces dix der­nières années. Ce mode de fonc­tion­ne­ment vieux de 500 ans est en train de chan­ger, radi­ca­le­ment. Les pays com­mencent à s’intégrer les uns les autres, une néces­si­té pour l’indépendance. Ils com­mencent à affron­ter cer­tains de leurs pro­blèmes internes, qui sont très impor­tants, de dif­fé­rentes façons dans dif­fé­rents pays, mais cela touche tout le continent.

Le mou­ve­ment indi­gène, la par­tie la plus oppri­mée de la popu­la­tion, ceux qui ont sur­vé­cu, ils ont pro­gres­sé en orga­ni­sa­tion, et même conquis le pou­voir en Boli­vie, ils sont au gou­ver­ne­ment. En Équa­teur ils sont une par­tie impor­tante du sys­tème et de l’ordre socio-poli­tique. Ils ont des conflits avec le gou­ver­ne­ment, mais ils luttent pour leur propre intérêt.

Tous ces chan­ge­ments sont très impor­tants ; en fait ils pour­raient même sau­ver la pla­nète. Par­tout dans le monde, en Aus­tra­lie ou en Amé­rique latine, ou où que ce soit, les mou­ve­ments indi­gènes sont à l’avant-garde pour essayer de faire quelque chose pour sau­ver la pla­nète et l’espèce humaine de l’auto-destruction. En Boli­vie et en Équa­teur, les deux pays avec les plus impor­tants mou­ve­ments indi­gènes, il existe main­te­nant une légis­la­tion. En Équa­teur je pense que cela est entré dans la Consti­tu­tion, c’est ce qui est appe­lé « les droits de la nature ». Cela relève de la culture indi­gène tra­di­tion­nelle, ce qui avait été tota­le­ment mar­gi­na­li­sé par l’industrialisation. Et si cette conscience ne se géné­ra­lise pas, nous sommes tous per­dus. Donc aus­si bien pour eux-mêmes que pour le monde, des choses très impor­tantes sont arrivées.

Les États-Unis avaient l’habitude de consi­dé­rer que l’Amérique latine leur était acquise. On l’appelait « notre petite région non loin d’ici », notre « arrière-cour ». On consi­dé­rait que si on ne contrôle pas l’Amérique latine on ne peut pas contrô­ler le monde. Cela a été décla­ré à plu­sieurs reprises. Et bien les États-Unis ont per­du cette région, pas com­plè­te­ment, mais en Amé­rique du Sud, par exemple, il ne reste plus une seule base mili­taire, fait assez significatif.

Mais bon, les États-Unis n’abandonnent pas la par­tie. L’entraînement des offi­ciers lati­no-amé­ri­cains a aug­men­té. On les entraîne pour com­battre ce qui est appe­lé le « popu­lisme radi­cal », c’est-à-dire des prêtres un peu embê­tants qui orga­nisent les pay­sans, des mili­tants des droits humains, et vous savez com­ment cela fonc­tionne en Amé­rique latine.

Le cas le plus inté­res­sant actuel­le­ment c’est la Colom­bie. C’était le der­nier point d’ancrage pour les États-Unis en Amé­rique du Sud. Les États-Unis avec les pré­si­dents Bush et Oba­ma ont essayé d’obtenir sept bases mili­taires en Colom­bie, ce qui a ren­du furieux tout le monde sur le conti­nent ; il y a eu beau­coup de pro­tes­ta­tions. Et bien la Cour consti­tu­tion­nelle colom­bienne a dit non. Les États-Unis conti­nuent de construire les bases, il est évident qu’ils espèrent pou­voir, d’une façon ou d’une autre, contour­ner la déci­sion de la Cour et faire ce qu’ils veulent. Il y a une confron­ta­tion assez impor­tante en Colom­bie quant au mons­trueux héri­tage de la domi­na­tion états-unienne.

En Amé­rique cen­trale et dans les Caraïbes les socié­tés sont plus fra­giles – petites, faibles, sépa­rées. Là c’est plus facile de les contrô­ler, mais c’est tout de même moins facile qu’avant. Le coup d’État au Hon­du­ras, appuyé par les États-Unis – ils disaient qu’ils ne le sou­te­naient pas mais ils ont tout de même fini par le sou­te­nir. Je suis presque sûr que c’est lié au fait que le Hon­du­ras est l’un des pays où il y a d’importantes bases états-uniennes, la base aérienne de Pal­me­ro­la pour com­men­cer, c’était la prin­ci­pale base de sou­tien pour les contras, par exemple. Il y a des bases états-uniennes par­tout dans cette région et dans les îles des Caraïbes, mais les choses ne vont pas dans ce sens-là.

Un évé­ne­ment impor­tant, au moins sym­bo­lique, ce fut la ren­contre, l’été pas­sé, la pre­mière ren­contre de la Com­mu­nau­té des États lati­no-amé­ri­cains et cari­béens (CELAC), une orga­ni­sa­tion qui inclut tous les pays de l’hémisphère, sauf les États-Unis et le Cana­da. Cela, au moins sur le plan sym­bo­lique, est très signi­fi­ca­tif. Si elle devient une orga­ni­sa­tion active, son inten­tion, j’imagine, est de rem­pla­cer l’Organisation des États amé­ri­cains (OEA) qui est domi­née par les États-Unis. La CELAC com­prend Cuba mais ne com­prend ni les États-Unis ni le Canada.

Tout cela va dans le même sens. Ce sont des pas vers le déman­tè­le­ment du contrôle externe et de la domi­na­tion interne. Les deux pro­cèdent paral­lè­le­ment. Les deux sont très significatifs.

Noam Chom­sky

& Dada Maheshvarananda

le lun­di 12 mars 2012

source : zcom­mu­ni­ca­tions

Tra­duc­tion : Numan­cia Mar­ti­nez Pog­gi pour LGS