Lorsqu’on parle de crimes policiers en Belgique, les noms de Sabrina Elbakkali et Ouassim Toumi n’arrivent pas en premier. Pourtant, l’enquête sur les conditions de leur décès vient de s’achever, 4 ans après les faits… Le 2 août prochain, la Chambre du conseil se prononcera pour ou contre un procès des policiers impliqués.
article publié le 2 juin 2021 et mis à jour le 16 juin 2021
Le dossier “Sabrina et Ouassim” soulève des enjeux multiples. A commencer par la question de l’impunité policière qui persiste inlassablement. Effectivement, on ne compte plus le nombre de “non-lieu” prononcés et l’absence quasi totale de procès dans les autres affaires de violences policières. Actuellement, l’enjeu pour les familles des victimes est d’obtenir un procès devant le Tribunal correctionnel de Bruxelles. Ce qui passe par l’inculpation d’un ou des policiers impliqués dans la mort de Sabrina et Ouassim. Un combat que leurs familles mènent depuis quatre longues années…
Rappel des faits
Par manque [habituel] de transparence sur le déroulement précis des faits, on relatera uniquement que Sabrina Elbakkali, 20 ans, et Ouassim Toumi, 24 ans, ont été tué.e.s sur leur deux-roues, percuté.e.s par un véhicule de police, le 9 mai 2017 vers 21h30. La course-poursuite aurait commencé place Poelaert, avant que les deux jeunes soient victimes d’un “parechocage” à la sortie du tunnel Bailli, sur l’avenue Louise. A l’origine de cette prise en chasse, une conduite jugée dangereuse par les policiers.
Le véhicule de la brigade canine s’est mis perpendiculairement au sens du trafic, provoquant la mort de Ouassim sur le coup. Sabrina a été transportée en ambulance. Elle est décédée à l’hôpital des suites de ses blessures. Des témoins affirment que le véhicule de police s’est mis délibérément en travers de la route. On évoque également la négligence en matière de secours portés aux victimes par les policiers présents. Tout cela a été filmé, malgré l’injonction de cesser de filmer ordonnée par un des policiers…
Pourtant, les versions policière et médiatique s’unissent pour évoquer “la conduite dangereuse de Ouassim”. Celui-ci roulait peut-être trop vite. Sa conduite, si elle s’avérait dangereuse, aurait pu effectivement les tuer. Mais ce n’est pas le cas. Sabrina et Ouassim sont décédé.e.s parce que des policiers ont utilisé cette technique du “parechocage”. Autrement dit, leur mort aurait pu être évitée. Une fois encore, les victimes deviennent coupables et seules responsables de leur décès : un mécanisme de retournement de responsabilités et de criminalisation des victimes bien huilé et connu.
Aucun policiers inculpés
Très rapidement après la tragédie, la famille de Sabrina s’est constituée partie civile afin qu’un.e juge d’instruction mène une enquête ; au-delà de celle effectuée en interne par la police Marlow (Auderghem, Uccle et Watermael-Boitsfort). Quatre ans plus tard, l’enquête judiciaire n’a pas permis d’inculper les policiers. Or, sans cette inculpation, aucun procès ne pourra se tenir devant le Tribunal correctionnel ! C’était l’enjeu principal des débats à huis clos, entre le Parquet de Bruxelles et les avocats des familles, en Chambre du conseil, ce 3 juin.
A la sortie, selon l’avocat de la famille de Sabrina, la procureure ne reconnaît aucune faute pénale commise dans le chef des policiers impliqués. Le parquet a demandé que ceux-ci bénéficient du “non-lieu” tandis que les avocats de la partie civile ont plaidé pour leur inculpation en vue d’un procès en correctionnel. Si une décision de “non-lieu” devait être prononcée lors du prochain rendez-vous judiciaire, les familles de Sabrina et Ouassim ont déjà annoncé leur intention d’interjeter appel.
Multiples interrogations
Parallèlement à la question de l’impunité policière, il s’agit aussi d’interroger la nécessité et la pertinence de techniques [potentiellement mortelles] de « neutralisation » adoptées par les forces de l’ordre. Plus particulièrement, celle du “parechocage”. En Belgique, cette « technique d’immobilisation » est devenue banale et se trouve, notamment, à l’origine des morts tragiques des jeunes Mehdi Bouda et Adil Charrot.
D’autres questions, cette fois en tant que citoyen, me taraudent : qu’en est-il de la transparence des [éventuelles] sanctions prises en interne, à l’encontre des policier.e.s impliqué.e.s ? Quelles garanties les enquêtes internes donnent-elles à l’opinion publique et aux familles ? Qu’en est-il de la transparence sur les faits même, de la prise en considération de la parole des témoins (et de leur poids !) ? Une question qui mérite d’être posée lorsqu’on sait que les proches de Sabrina ont déploré la non pris en compte de plusieurs éléments dans le dossier de l’instruction. Que peut-on donc attendre d’une enquête de la police… sur la police ?
Nous le verrons le 2 août prochain, date à laquelle la Chambre du conseil devrait rendre sa décision.
Pour plus d’info : Vérité Et Justice Pour Sabrina Et Wassim