Affaire Thomas Sankara : A force de patience et de saindoux…

San Eva­riste Barro
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L’ob­ser­va­teur Paalga

Inter­view de Me Pros­per Fara­ma, un des avo­cats de la veuve Mariam Sankara

"A force de patience et de saindoux, l'éléphant sodomise le pou" Proverbe africain.

Sai­sie de la plainte contre X pour enlè­ve­ment et séques­tra­tion sur la per­sonne de Tho­mas San­ka­ra, la Chambre cri­mi­nelle de la Cour de cas­sa­tion a, en la forme, décla­ré le pour­voi rece­vable mais, au fond, a reje­té la plainte car mal fon­dée. C’était le jeu­di 28 juin 2012 à Oua­ga­dou­gou. Dans l’interview qui suit, Me Pros­per Fara­ma, un des avo­cats de la veuve Mariam San­ka­ra, réaf­firme que le fond de l’affaire reste intact et espère que le ministre de la Défense, qui n’est autre que le pré­sident Blaise Com­pao­ré, don­ne­ra suite à leur requête. S’exprimant sur la loi d’amnistie récem­ment votée par le Par­le­ment au pro­fit des anciens chefs d’Etat, l’avocat a esti­mé qu’elle n’est pas valable hors de nos fron­tières et que, tôt ou tard, ce bou­clier judi­ciaire sera sans effet au Burkina.

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Dans l’affaire Tho­mas San­ka­ra, qu’est-ce qui s’est pas­sé exac­te­ment le jeu­di 28 juin 2012 ?

• La Cour de cas­sa­tion a ren­du son ver­dict rela­ti­ve­ment à une pro­cé­dure qui avait été ini­tiée par nos soins contre une déci­sion préa­lable refu­sant d’ouvrir une enquête dans le cadre d’une plainte pour enlè­ve­ment et séques­tra­tion du pré­sident Tho­mas San­ka­ra. La cour a esti­mé que dans la forme la plainte était rece­vable mais dans le fond l’a reje­tée comme étant mal fon­dée. En résu­mé pour le pro­fane, il faut rete­nir que pour la cour, il n’y a pas lieu, après exa­men du dos­sier, d’ouvrir une enquête.

Mais Me Fara­ma, pour­quoi « enlè­ve­ment et séquestration » ?

• Parce que nous sommes par­tis d’un simple constat. Au jour d’aujourd’hui, tout le monde sup­pose que le pré­sident Tho­mas San­ka­ra est mort. Dans cette hypo­thèse, à part ceux qui l’ont tué et enter­ré, ni vous ni moi ne pou­vons attes­ter que San­ka­ra est mort. C’est vrai qu’il y a eu un cer­ti­fi­cat de décès qui a été déli­vré à l’époque mais cha­cun sait les cir­cons­tances dans les­quelles il a été éta­bli. Lorsqu’on éta­blit un cer­ti­fi­cat en disant que le pré­sident San­ka­ra était mort d’une « mort natu­relle » alors même que lorsqu’il quit­tait sa famille il se por­tait bien car il n’avait pas été décla­ré malade, on se demande bien de quelle mort natu­relle il a pu mou­rir sans que sa famille n’ait pu entrer en pos­ses­sion de son cadavre. Ce sont tous ces élé­ments qui nous ont emme­nés dans une logique pure­ment juri­dique à dépo­ser une plainte pour « enlè­ve­ment et séques­tra­tion » en sup­po­sant qu’éventuellement quelqu’un l’aurait enle­vé et le détien­drait quelque part.

Pour­tant il y a bel et bien une tombe Tho­mas San­ka­ra au cime­tière de Dagnöen à Oua­ga­dou­gou où ses par­ti­sans font même régu­liè­re­ment des pèlerinages…

• Bien sûr vous avez rai­son. Je pense que même du point de vue d’une logique pure et prag­ma­tique, nous ne dou­tons pas que Tho­mas San­ka­ra soit mort. Mais ici, nous par­lons d’une logique juri­dique. Vous vous sou­ve­nez que nous avons fait une pro­cé­dure qui est pen­dante devant les juri­dic­tions pour deman­der à ce que soient authen­ti­fiés les restes du pré­sident San­ka­ra. Mais on n’a rien obtenu.

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Me Pros­per Fara­ma : « Cette loi d’amnistie n’est valable uni­que­ment que devant les juri­dic­tions burkinabè »

Aujourd’hui, tout le monde va sur une tombe en sup­po­sant que c’est celle de San­ka­ra. Mais qui peut juri­di­que­ment attes­ter que c’est bel et bien la tombe de Tho­mas San­ka­ra ? Même si on y avait enter­ré un mou­ton, c’est sûr, tout le monde irait s’incliner sur la sépul­ture en pen­sant que c’est celle de San­ka­ra parce que tout sim­ple­ment il est écrit des­sus feu Tho­mas San­ka­ra. Donc d’un point de vue stric­te­ment juri­dique, il est impor­tant qu’à un moment on puisse cer­ti­fier, d’un point de vue scien­ti­fique, que ce sont les restes du pré­sident Tho­mas San­ka­ra dans cette tombe.

La Cour de cas­sa­tion vous a condam­né aux dépens ; peut-on savoir com­bien cela pour­rait éven­tuel­le­ment vous coûter ?

• Les dépens englobent les frais qui auraient été enga­gés pour les besoins de la pro­cé­dure judi­ciaire et qui auraient été sup­por­tés par l’une des par­ties. Donc la par­tie qui perd le pro­cès est appe­lée éven­tuel­le­ment à sup­por­ter ces frais. Mais à ce jour, nous ne voyons pas quel dépens l’Etat a pu enga­ger dans cette pro­cé­dure et que nous aurons à rem­bour­ser. En tout état de cause, nous atten­dons que l’Etat nous expose les dépens qu’il a pu engager.

Au point où nous en sommes, l’affaire « enlè­ve­ment et séques­tra­tion de Tho­mas San­ka­ra » est-elle donc défi­ni­ti­ve­ment close ?

• Tout à fait car la Cour de cas­sa­tion sta­tue en der­nier res­sort. Cela veut dire qu’il n’y a plus de recours possible.

Si cette affaire est close, qu’en est-il judi­ciai­re­ment du dos­sier Tho­mas Sankara ?

• Ce n’est pas parce que la pro­cé­dure pour « enlè­ve­ment et séques­tra­tion » est close que le fond de l’affaire ne demeure pas. Il reste aujourd’hui qu’il y a un pro­blème Tho­mas San­ka­ra rela­ti­ve­ment à son assas­si­nat. Je vous disais tout à l’heure que nous étions dans une logique juri­dique, donc il y a aus­si la pré­somp­tion d’assassinat qui pèse sur cer­taines per­sonnes dans la dis­pa­ri­tion du pré­sident San­ka­ra. Cette pro­cé­dure est pen­dante. Il faut sou­li­gner que le ministre de la Défense a été sai­si par nos soins parce que par pré­somp­tion, il s’agit d’une affaire qui se serait dérou­lée entre mili­taires dans une enceinte mili­taire et de ce fait, l’affaire relève de la juri­dic­tion mili­taire. Par consé­quent, la pro­cé­dure d’information ne peut être ini­tiée que sur ordre du ministre. Et le ministre a été sai­si à cet effet. Nous enten­dons tout mettre en œuvre pour que cette pro­cé­dure aille jusqu’au bout.

Elle date de quand cette procédure ?

• C’est une vieille pro­cé­dure. De longue date nous avons ini­tié plu­sieurs pro­cé­dures mais chaque fois qu’ils font sem­blant d’oublier les pro­cé­dures, nous nous fai­sons le devoir de le leur rap­pe­ler parce que les faits ne sont pas pres­crits si bien qu’on a le devoir et le droit de relan­cer les pro­cé­dures qui sont en instance.

Le dos­sier San­ka­ra serait donc imprescriptible ?

• Il n’y a pas de pres­crip­tion ici. Il faut savoir que les pres­crip­tions sont sus­pen­sives ou inter­rup­tives sur la base de cer­tains actes. Le fait d’avoir dépo­sé plainte sus­pend la prescription.

Main­te­nant com­ment allez-vous relan­cer la procédure ?

• En fai­sant ce que le droit nous auto­rise. Le droit dit de sai­sir le ministre de la Défense qui, à son tour, sai­sit le com­mis­saire du gou­ver­ne­ment (pro­cu­reur devant les juri­dic­tions mili­taires) pour lui don­ner l’instruction d’ouvrir une enquête. Ensemble nous ver­rons ce qu’il y a lieu de faire pour qu’au moins nous soyons situés sur ce que le ministre de la Défense a bien vou­lu faire rela­ti­ve­ment à notre sai­sine. Si on est sai­si d’une plainte quel­conque, c’est une obli­ga­tion légale de don­ner une suite à cette plainte.

Il se trouve que ce ministre n’est autre que Blaise Com­pao­ré. Avez-vous bon espoir que votre requête puisse prospérer ?

• Espoir ? oui. Si nous n’avions pas espoir, je crois que nous n’aurions pas enga­gé cette pro­cé­dure. Mais nous ne sommes pas dupes, nous sommes tout de même assez réa­listes. Nous savons très bien que deman­der à une per­sonne d’autoriser des pour­suites alors qu’elle est elle-même sup­po­sée impli­quée dans une affaire ou d’en être l’initiatrice, c’est assez dif­fi­cile. Mais il est évident que nous ne lâche­rons pas prise tant que nous ne ver­rons pas le bout du tunnel.

Lorsqu’il est sai­si d’une requête, le ministre de la Défense a‑t-il un pou­voir dis­cré­tion­naire ou est-ce une obli­ga­tion pour lui d’instruire le com­mis­saire du gou­ver­ne­ment à ouvrir une enquête ?

• Du point de vue d’une appré­cia­tion pure­ment juri­dique, il n’a pas de pou­voir dis­cré­tion­naire. Dans la pro­cé­dure, ce n’est pas le ministre qui mène l’enquête, il est juste char­gé de sai­sir l’équivalent du pro­cu­reur du Faso auprès du tri­bu­nal mili­taire (com­mis­saire du gou­ver­ne­ment). Il appar­tient donc à ce com­mis­saire de mener l’enquête, de voir si la plainte est fon­dée ou pas. A par­tir de ce moment, juri­di­que­ment, le ministre de la Défense n’a pas un pou­voir dis­cré­tion­naire parce que la loi ne peut pas don­ner un tel pou­voir à une per­sonne qui ne fait pas d’enquête de dire si oui ou non il y a des élé­ments suf­fi­sants pour ouvrir une enquête ou pas. Le ministre doit, c’est une ques­tion de pro­cé­dure, sai­sir le com­mis­saire du gou­ver­ne­ment parce qu’il s’agit d’un tri­bu­nal mili­taire et que l’ordre doit venir d’un supé­rieur hié­rar­chique. Blaise étant le ministre de la Défense, il a donc l’obligation légale de sai­sir le com­mis­saire du gou­ver­ne­ment. S’il ne le fait, pour moi c’est une confession.

Une loi d’amnistie a été votée récem­ment par le Par­le­ment et couvre tous les chefs d’Etat de notre pays de 1960 à nos jours. Alors, Me Pros­per Fara­ma, cette amnis­tie ne concerne-t-elle pas le dos­sier Tho­mas Sankara ?

• Moi j’attends qu’on me le dise. Quand on me dit que c’est une amnis­tie qui concerne tous les pré­si­dents, je crois qu’il faut dire les choses comme elles sont : c’est une amnis­tie qui a été concoc­tée pour le pré­sident Blaise Com­pao­ré. Parce que rien que sur un plan stric­te­ment juri­dique, les anciens chefs d’Etat qui ont pu poser des actes quand ils étaient en fonc­tion, même pour les crimes, béné­fi­cient de la pres­crip­tion. Ces pré­si­dents n’ont donc pas besoin d’amnistie puisque les faits sont pres­crits et que léga­le­ment on ne peut plus les pour­suivre. Si on regarde le der­nier pré­sident avant Blaise, c’est Tho­mas San­ka­ra. Ce der­nier a été assas­si­né voi­là bien­tôt 25 ans. Donc même si San­ka­ra était vivant et qu’il avait com­mis des actes durant sa pré­si­dence, ces actes seraient déjà prescrits.

Le seul pré­sident qui, juri­di­que­ment, peut être pour­sui­vi, c’est bien Blaise Com­pao­ré. Je pense que l’honnêteté intel­lec­tuelle aurait vou­lu qu’on nous dise clai­re­ment que la loi d’amnistie n’est valable que pour Blaise Com­pao­ré car pour les anciens chefs d’Etat, c’est un non-sens de leur accor­der une amnis­tie pour des faits qui sont déjà prescrits.

Main­te­nant, est-ce que l’amnistie concerne l’affaire Tho­mas San­ka­ra ? Je sup­pose qu’essentiellement c’est pour cette affaire San­ka­ra et l’affaire Nor­bert Zon­go que cette loi d’amnistie a été votée. Mais moi j’ai espoir que cette loi taillée sur mesure n’aura aucun effet dans ce pays. Autant aujourd’hui l’Assemblée natio­nale est sou­ve­raine pour voter cette loi, autant le peuple sou­ve­rain peut reve­nir sur des déci­sions prises dans un contexte pour des inté­rêts bien per­son­nels. Moi je suis sûr et cer­tain que le jour vien­dra où cette loi d’amnistie n’aura aucun effet dans ce pays.

Dans le domaine du droit, une loi d’amnistie peut-elle s’appliquer à une affaire qui est déjà devant les juridictions ?

• Si vous avez jeté un coup d’œil sur les termes de la loi, c’est clair parce que la loi parle de faits qui ont eu lieu, donc il ne s’agit pas de faits à venir, mais qui se sont déjà pro­duits. Or il se trouve que l’affaire San­ka­ra a eu lieu sous le régime de Blaise Com­pao­ré. De mon humble avis, l’intention de ces dépu­tés qui ont voté cette loi, c’est bel et bien de cou­vrir toutes les affaires y com­pris celles pour les­quelles des pro­cé­dures sont en cours. Evi­dem­ment, il y aura un débat juri­dique qui va s’ouvrir sur ces ques­tions mais au-delà, le peuple aura à se pro­non­cer en der­nier recours.

Pou­vez-vous cou­rir un risque quel­conque en vou­lant relan­cer une affaire cou­verte par le man­teau de l’amnistie ? On a vu en Espagne que le juge Bal­ta­zar a été sanc­tion­né pour avoir vou­lu ins­truire sur des affaires amnistiées…

• On ne court pas un risque d’avoir emprun­té une voie légale. Mais avec cette amnis­tie, atten­dons de voir. Nor­ma­le­ment, la per­sonne qui s’estime béné­fi­ciaire d’une amnis­tie et qui est pour­sui­vie devant les juri­dic­tions, doit invo­quer la loi d’amnistie devant la jus­tice. Atten­dons donc de voir. Peut-être que Blaise Com­pao­ré, au sujet des plaintes qui sont dépo­sées concer­nant l’affaire San­ka­ra, vien­dra invo­quer la loi d’amnistie, comme ça on sera défi­ni­ti­ve­ment situé. Parce que si vous deman­dez une amnis­tie liée à un fait, cela sup­pose que vous recon­nais­sez avoir été auteur de ce fait. Car si vous ne vous recon­nais­sez pas avoir été auteur d’un fait, vous ne pou­vez pas invo­quer l’amnistie. Nous atten­dons donc de voir quelle va être l’attitude de Blaise Compaoré.


Une loi d’amnistie est-elle juste valable sur le ter­ri­toire natio­nal ou est-ce par­tout ailleurs dans le monde ?

• Une loi d’amnistie n’est valable uni­que­ment que devant les juri­dic­tions bur­ki­na­bè. Cette loi d’amnistie n’a aucune valeur devant une juri­dic­tion fran­çaise, amé­ri­caine, ou devant toute autre juri­dic­tion dans le monde. Si elles sont sai­sies, elles peuvent se décla­rer incom­pé­tentes, mais les juri­dic­tions étran­gères ne peuvent pas se voir impo­ser une loi d’amnistie qui aura été votée par le Par­le­ment ou le peuple bur­ki­na­bè car la seule loi à laquelle ces juri­dic­tions sont sou­mises, c’est la loi de leur pays.

 

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Mise à jour le Lun­di, 02 Juillet 2012
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