Costelle et Clarke ont remis le couvert avec le documentaire « Apocalypse-Hitler », une histoire pour encore une fois « bluffer » les téléspectateurs.
Il fallait s’y attendre ! On a eu droit à Apocalypse –le-retour : Apocalypse-Hitler, rien de moins. Le succès de la première série sur la deuxième guerre mondiale (des centaines de milliers de DVD vendus et le film diffusé sur les chaînes de 165 pays) devait forcément entrainer une suite – et il y en aura d’autres, jusqu’à épuisement, jusqu’à l’écœurement. Le filon est trop juteux et la télévision en raffole.
Dans « Politique »1 et à l’occasion de plusieurs débats, j’avais déjà exprimé toutes les réserves quant aux méthodes des réalisateurs Daniel Costelle et Isabelle Clarke qui, sous prétexte d’attirer les jeunes téléspectateurs — qu’il faut « bluffer » disaient-ils- prônent une sorte d’ « histoire spectacle » particulièrement racoleuse. Musique tonitruante, voix off ininterrompue, montage saccadé (pour la première série les réalisateurs se vantaient de ne pas avoir sélectionné un plan de plus de 5’), colorisation des images (sauf celles des camps, « pour en préserver l’authenticité » disaient les réalisateurs : mais alors quelle est précisément la crédibilité des images coloriées ?). Tout cela n’était encore rien à côté de l’absence de « point de vue » : toutes les archives étaient traitées dans la narration comme si elles avaient un seul et unique auteur, comme si le fait d’avoir été tournées par la propagande nazie ou la résistance n’avait pas d’importance. Le regard des bourreaux et celui des victimes était tressé et traité dans la même confusion. L’essentiel était la continuité narrative produite par des images que les réalisateurs disaient s’être « réappropriées ». Mais pour produire quel sens ?
« La série Apocalypse n’a restauré ces images que pour leur rendre une fausse unité, un faux présent de reportage et de mondovision, écrivait alors le philosophe et historien de l’art Georges Didi-Huberman2 qui ajoutait justement que cette série « a pensé que nous étions trop stupides pour accepter de voir des bribes blêmes, des lacunes, des bouts de pellicule rayés à mort. Elle s’est tout approprié et ne nous a rien restitué. Elle a voulu nous en mettre plein les yeux et, pour rendre les images bluffantes, elle les a surexposées. Façon de les rendre irregardables ». On ne peut mieux dire.
Costelle et Clarke ont remis le couvert avec « Apocalypse-Hitler »3 . Certes le documentaire présente des images inédites et d’un réel intérêt mais les mêmes procédés produisent les mêmes effets. Dans ce cas ‑le film retrace l’ (ir) résistible ascension du Führer et s’arrête avant le déclenchement de la seconde guerre mondiale — l’origine des images est plus limitée (films d’amateurs et images de propagande) mais une fois encore, les sources ne sont pas précisées et la colorisation est encore plus « chromo ». De plus le traitement de l’histoire est souvent trop psychologisant et parfois anecdotique. Le contexte géopolitique de l’époque est insuffisamment évoqué, le cadre économique sous-évalué et les affrontements politiques trop partiellement traités.
Comme les images proviennent de sources proches du pouvoir hitlérien ou de ses sympathisants, elles ne rendent évidemment pas ou très mal compte des réactions de l’opposition. De ce point de vue, le film est sommaire, sinon caricatural. La bataille des opposants socialistes et communistes, les responsabilités de leurs divisions, les hésitations des milieux catholiques, le parti pris et le rôle du capitalisme allemand en faveur des nazis sont à peine évoqués. Ce n’est pas l’histoire qui compte mais UNE histoire que veulent raconter les réalisateurs, une histoire « à hauteur d’hommes », comme ils disent, une histoire pour encore une fois « bluffer » les téléspectateurs.
Lors d’une émission radio sur la Première (RTBF) 4 et dans des termes bien plus modérés, l’historienne du CEGES, Chantal Kesteloot avait suggéré une lecture critique des images et émis quelques réserves, notamment sur les limites de la démarche et sur la nécessité d’ indiquer les sources des documents. Ce qui a eu pour effet de provoquer la colère tonitruante de Daniel Costelle lors de son intervention en duplex dans la même émission dont on connaît pourtant le caractère éminemment consensuel. « Mais nous voulions faire de la « prom » répondait ingénument l’animateur face au déchaînement du réalisateur « révulsé par les réflexions coupantes d’une professeur-de-je-ne-sais-pas-quoi, d’une « historienne » entre guillemets ».
Les auteurs d’Apocalypse qui entamaient déjà leur première série par la phrase définitive : « ceci est la véritable histoire de la seconde guerre mondiale », ne supportent décidément pas que l’on émette quelques critiques même très modérées et, lors de cette émission, très largement bienveillantes à l’égard de leur « œuvre vivante », comme ils la qualifient. Leur prétention est à la mesure de leur mystification historique. Il existe cependant un danger plus pressant car, au-delà de ces productions et de ce que l’on peut en penser, le risque est grand de voir ce formatage du documentaire qui enchante les télévisions devenir le modèle à suivre.