La Révolution mexicaine est la genèse de l’indigénisme du EZLN et de l’ALBA
Francesco Taboada est le réalisateur des films “Les derniers zapatistes”(2004), “Pancho Villa, la Révolution n’est pas terminée” (2007), “13 villages pour la défense de l’eau, l’air et la terre” (2009), “Tin Tan” (2010) et “Maguey” (2010). Il vient de terminer le tournage de son dernier documentaire : “la révolution bolivarienne”.
MC .- Pourquoi tes documentaires sur la révolution mexicaine ont-ils tendance à se concentrer sur la tradition orale ?
FT .- La tradition orale a été un pilier dans la transmission des connaissances en Méso-Amérique. Grâce à des programmes d’alphabétisation et en particulier avec l’introduction de la télévision dans les zones rurales et autochtones, l’oralité a perdu de son importance, car elle a été exclue de l’éducation formelle. Avec la perte de la tradition orale disparaissent les connaissances ancestrale, même certains instruments de musique qui ont accompagné les ballades, comme c’est le cas du bajo quinto (guitare basse à cinq cordes, ndt), des langues complètes comme c’est le cas avec la langue Kiliwa ou Aguacateco. Concrètement, cela conduit des communautés vers un ethnocide. Donc, pour nous, il est important que nos films soient un outil pour la conservation de la tradition orale.
MC. — Pourquoi choisir les zapatistes et les villistes (de Pancho Villa, ndt) pour vos films et pour l’historiographie ? Quel était le projet de ces deux révolutionnaires ?
FT. — Les deux mouvements représentent les paysans, c’est-à-dire les Mexicains réels. Aujourd’hui, les mouvements de résistance dans tout le Mexique revendiquent Zapata et Villa comme des icônes de l’espoir. Les Mexicains ne sont pas attirés par des personnages comme Carranza (Président entre 1915 – 1920, ndt), Obregón (Président entre 1920 – 24, ndt) ou de Calles (Président entre 1924 – 28, ndt) en raison de la faiblesse de leur idéologie. Le Zapatisme est l’évolution des indigènes du Mexique dans un contexte d’oppression. Tant Villa, avec ses décrets agraires, que Zapata et son Plan d’Ayala et ses différents manifestes, ils avaient un projet national que les gouvernements actuels n’ont pas.
MC .- Comment comprendre la Révolution mexicaine dans le contexte latino-américain ?
FT .- Il s’agit de la première révolution du siècle. Sa particularité et son succès est dû au fait qu’il répond à un véritable appel de justice fondée sur un projet qui lui est propre. La révolution paysanne au Mexique n’a pas importé des modèles étrangers. Il a été conçu au sein de notre cosmovision. Cela a été déterminant dans son succès et a motivé des dizaines de mouvements dans le reste du continent : Sandino au Nicaragua, Farabundo Marti au Salvador, Pedro Pérez Delgado “Maisanta” au Venezuela, Luis Carlos Prestes, au Brésil, en Argentine Hipólito Yrigoyen. Plus récemment, l’empreinte zapatiste est réclamée par l’Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN) au Chiapas ou bien les mouvements révolutionnaires d’Evo Morales en Bolivie, Hugo Chavez au Venezuela et le mouvement indigène en Equateur.
MC .- L’historien Francisco Pineda s’est même documenté sur la solidarité reçue par les zapatistes depuis Cuba — Genaro Amezcua ayant voyagé à La Havane en Mars 1916 — ; Octavio Paz faisant des démarches aux Etats-Unis — ; et de l’Uruguay, — avec Maria Collazo fondatrice du journal “La Batalla” à Montevideo- ; Les zapatistes avaient-ils des perspectives en vue d’analyser et de faire des incursions dans la politique internationale ?
FT .- Sans doute. Le mouvement zapatiste a été conçu lui-même comme une occasion pour réinventer le monde et pour cela, il avait besoin de la solidarité des autres mouvements et aussi de la reconnaissance. Principalement cela se remarque quand Zapata prend conscience que le mouvement est né dans son village, Anenecuilco, et qui devient la seule option concise, stable et historique pour changer la structure socio-politique du Mexique. Lorsque les anarchistes de la province de Morelos arrivent, le réseau zapatiste s’étend hors de son territoire habituel.
MC .- Comment le gouvernement des États-Unis est intervenu pour arriver à la défaite militaire des zapatistes et des villistes ?
FT .- J’ai entendu plusieurs chercheurs préconisant la thèse selon laquelle Venustiano Carranza était un « nationaliste anti-yankee ». Si vous étudiez l’histoire du villisme, il est clair que Venustiano Carranza et son successeur, Alvaro Obregón, ont travaillé en étroite collaboration avec le gouvernement des États-Unis. C’est pourquoi les États-Unis permettent à l’armée de Carranza de se déplacer à travers le territoire des États-Unis et ainsi de surprendre Francisco Villa à Agua Prieta. Aussi, pourquoi les gringos ont-ils cessé de vendre des armes à Villa et en ont fourni à Carranza. C’est pour cela que Pancho Villa a envahi le territoire des États-Unis en 1916. Il est vrai aussi que pour reconnaître Obregón, le président des États-Unis a posé comme condition qu’il se débarrasse de Francisco Villa.
MC .- La révolution mexicaine a pris fin avec la mort d’Emiliano Zapata et de Francisco Villa ? Quel pays et quelle inspiration ont-ils laissé ?
FT .- Ils ont laissé un Mexique conscient que la lutte de libération n’est pas terminée. Comme l’a dit Felipe Ramos, un ancien combattant zapatiste, « Cette révolution n’a pas été initiée par nous, mais notre grand-père Cuauhtemoc ».
MC .- Quel genre de célébrations ont été organisées pour le centenaire de la Révolution mexicaine ? Le bicentenaire as remplie l’agenda culturel ?
FT .- Commémorations vides. Le gouvernement du Mexique ne sait rien sur la Révolution. Il s’agit d’un gouvernement fantoche des Etats-Unis. Ce qu’il fait ou ne fait pas lors des commémorations du bicentenaire de la Révolution a peu à voir avec les désirs et la conscience du peuple du Mexique. Comme le dit Armando Soriano, originaire de Xoxocotla : “Il ne faut pas oublier que le 20 novembre est le centenaire de la Révolution et que les peuples autochtones connaissent le rôle historique qui leur incombe” ».
MC .- Avec le centenaire, les historiens réactionnaires ont réédité la version anti-zapatiste et anti-villiste de la Révolution ?
FT .- Bien sûr, le mépris que les gouvernements du Mexique ont pour la Révolution est explicite, lorsque cette année, ils donnent le prix de la science et de l’art à Enrique Krauze, un historien bourgeois connu pour son anti-zapatisme et son grand amour pour les familles Terrazas et Creel, ennemis jurés du peuple et combattus par Villa. Krauze est également membre du conseil de rédaction de la chaîne Televisa, entreprise responsable de l’ignorance au Mexique. Au plan international, la haine que les oligarchies ont pour les mouvements révolutionnaires se multiplie, ainsi ils ont accordé le Prix Nobel de littérature à un ennemi des mouvements indigènes de l’Amérique, M. Vargas Llosa.
MC .- Pour l’Amérique latine, est-ce que le zapatisme et le villisme, est-il d’actualité dans le XXI ème siècle ? l’EZLN poursuit la recherche des accords de la Convention d’Aguascalientes ?
FT .- La Convention a adopté le Plan de Ayala comme le seul programme révolutionnaire. Il était l’union de tous les mouvements armés. De toute évidence, le racisme de Carranza, l’a obligé à ne pas accepter la Convention d’Aguascalientes, et avec le soutien des Etats-Unis il s’est dédié à combattre Pancho Villa et Emiliano Zapata. En honneur de l’union révolutionnaire, l’EZLN a nommé ainsi, en premier lieu, les communautés autonomes.
MC .- Enfin, comment vient l’idée d’un documentaire sur la révolution bolivarienne ? Allons-nous y trouver un dénominateur commun entre la Révolution mexicaine et la Révolution bolivarienne ?
FT .- L’idée m’est venue après avoir été invité à participer au programme “Alo Président” à Caracas. Là, le commandant Hugo Chavez m’a fait voir les parallèles entre l’histoire du Mexique et l’Amérique du Sud. Bolivarianisme et guévarisme ont leur origine dans l’union de plusieurs peuples. Ce concept a été concrétisé par les diverses nations indiennes, même bien avant la conquête par les Espagnols. Le mouvement indigène de l’EZLN (Mexique), d’Evo Morales et d’Hugo Chavez le président bolivarien, ainsi que des nations de l’ALBA (Alliance Bolivarienne des Amériques, ndt) sont l’étape en cours vers la libération complète.