Doctrines liberticides
Mon témoignage se veut pratique, informatif pour une bonne préparation mentale. Pourquoi ce partage d’expérience ? Parce que le pouvoir en place, reniant un à un tous les idéaux républicains, étend pas à pas ses doctrines liberticides. Nous avons vécu le Droit de grève petit à petit obstrué (il n’est que de penser au Président Sarkozy annonçant fièrement que la prochaine grève RATP serait « invisible »), nous avons vécu le Droit de manifester insécurisé, difficile d’accès au prétexte de lutte contre des « casseurs » savamment manipulés (Loi travail), nous voici à la phase suivante de l’entrave à la liberté de contestation : impressionner, faire peur dans un Commissariat. Terrible constat. Terrible de parvenir à l’expérience d’une différence s’atténuant progressivement entre l’état de dictature et l’état de droit libéral. La dictature interdit ouvertement, nos gouvernants libéraux obstruent et effrayent. Maigre différence qui tend à se réduire. Un peuple ne se soumet jamais, simple question de temps, seule la forme de sa révolte va s’en trouver modifiée. On ne matte pas un peuple, on le radicalise. Je témoigne pour une résistance non violente. Et donc moins instinctive, et donc demandant réflexion et formation.
Mon témoignage concerne l’usuel des arrestations des manifestants gilets jaunes. N’a pas été usuel ce qu’a vécu le 12 septembre ce jeune manifestant violé comme Théo par un homme en uniforme. N’entre pas plus dans cet « usuel » ce qu’affrontent les jeunes de cité. Ce samedi au commissariat du 18e arrondissement de Paris a été symbolique. Seules 2 personnes avaient les mains liées, les seules à ne pas avoir la peau « blanche ». Leurs mains liées par des lanières de plastique. Ce lien qui remplace les menottes est une torture, douloureux et entaillant la peau. L’un des deux, au moins, était présent pour la même raison que la plus part des autres interpellés GJ : défaut de pièce d’identité.
Maintenant venons en au passage au Commissariat, à la garde à vue, au séjour au Tribunal de Paris.
Il faut avoir conscience que ces moments sont pour nous, les interpellés, exceptionnels et déstabilisants. Ils sont usuels et scénarisés pour les officiers, c’est leur métier. Pour le meilleur et pour le pire. Nous voici sur une scène de jeu dont l’enjeu est la domination, rien d’autre. Notre peur ou notre colère sont recherchées pour nous déstabiliser, nous faire craquer et parvenir à nous faire dire des choses qui nous seront défavorables. Heureusement il demeure encore des lois, en recul certes, mais elles limitent ce terrain de jeu. Précieuses lois à défendre avec plus de conscience et de détermination ! Je serais policier je me ferais du mouron sur l’avenir de mon métier. Pour les intello, voir « la banalité du mal » de Hannah Arendt.
Tout le fonctionnement policier est organisé par tronçon. Chacun sa mission et chaque fonctionnaire n’a pas nécessairement conscience de l’ensemble. Au début, sur la voie publique, l’ordre est donné via l’oreillette par le commandement central, salle où se mélangent de policiers et des politiques (l’affaire Benala nous en a apporté la preuve). Ordre est donné, nous voici arrêté, invité à se poser dans un endroit discret pour attendre le fourgon (si possible éviter l’invisibilité, les passants expriment leurs désaccords, beaucoup de policiers ne sont pas fiers de ce qu’on leur demande de faire, et ça se voit). Une équipe arrive pour le transport, pas de contact elle fait la livraison.
« Livraison » dans un Commissariat devant un OPJ. La situation est loin de faire l’unanimité, surtout dans les Commissariats de « quartier » où nous arrivons au milieu d’affaires de violences et sommes vécus comme des emmerdes pas justifiées dont ils se passeraient bien. Ce samedi, le Commissariat du 18e avait été spécialisé pour la journée, le plus important centre de garde à vue de Paris ! Les gradés connaissaient leur mission, et l’acceptaient bien. Les hommes en uniforme montraient bien moins de consentement. Le jeu commence.
1e acte, répétitif : à chaque entrevue est demandé « nom, prénom, adresse… ». Cette répétition est destinée à donner un ascendant à l’officier chargé de nous « auditionner ». C’est simplement une mise en condition. Déjà il est possible de refuser ce mauvais équilibre, selon le caractère de chacun : sourire, laisser un long silence, regarder droit dans les yeux l’OPJ, ou même refuser de répondre. Important de se préparer psychologiquement afin que la domination ne fonctionne pas. Puis systématiquement va suivre le moment d’impressionner, d’effrayer : amende pour ceci ou cela, et surtout menace de garde à vue, et sur sa durée. Tout est verbal. Généralement le fonctionnaire ne se privera pas de charger la mule, tant pour les amendes que pour la durée de garde à vue. Tout cela n’a aucune valeur d’information. Puis vient l’étape sourire : si vous êtes bien sage promesse de sortie rapide. Il est évident que pour eux demander un avocat revient à manquer de sagesse, « il faudra attendre en garde à vue la venue de cet avocat »… Fausses menaces suivies de fausses promesses. Tout cela n’engage à rien. Au passage signalons qu’il est préférable de refuser l’avocat commis d’office proposé avec insistance : je n’ai eu que des retours très déçus. Avocats débutants ? Accordons le bénéfice du doute.
Suit l’« interrogatoire », l’acte 2. Surtout ne jamais perdre de vue que l’objectif est de vous faire dire des choses qui serviront à vous inculper. Accepter de répondre aux questions revient à offrir à l’OPJ la situation dominante. Refuser est dans notre droit. Un droit dont il faut user car l’OPJ mène des interrogatoire chaque jour, a des stratégies, est rompu à ces situations. Pour nous c’est exceptionnel, nous devons affronter notre émotion. La meilleure manière de faire est de « faire une déclaration spontanée » présentant les faits que nous jugeons pouvoir annoncer et de déclarer ne pas vouloir en dire d’avantage. Ceci peut très utilement être préparé avec votre avocat pendant la demie heure dont il dispose (de plus il informera vos proches de la situation).
Acte 3 la garde à vue. C’est l’argument suprême de l’Officier, maintenant que les coups de bottin sont prohibés à notre égard (vu le nombre de décès de jeunes de quartier, je doute que ce soit absolument vrai pour eux) après les menaces d’amende c’est l’argument le plus fort pour impressionner. Il nous faut accepter avec sérénité l’éventualité d’être un temps enfermé, ce n’est pas un passage si dramatique lorsque nous avons la conscience d’agir pour la liberté de contester. Bon moment pour penser à notre histoire, à ce qu’ont affronté les Résistants pour notre liberté.
La garde à vue est destinée à nous éprouver, alors mieux vaut prendre cela avec sérénité. Penser à se relaxer, à des exercices de respiration peut aider. Vous êtes donc enfermé, seul ou à plusieurs c’est selon. La propreté n’est pas top, et puis pas de change pendant 1, 2, éventuellement 3 jours, il faut l’accepter. Le bruit des portes de cellules à la fermeture,… comme un coffre-fort (j’imagine). De toute façon les bruits sont incessants, le pire étant les cris et les coups contre la porte des cellules voisines (beaucoup de gens en souffrance dans ces lieux). Vous serez en souterrain, sans visibilité du soleil, lumière artificielle permanente. Elle ne varie jamais et très vite vous perdez la notion de l’heure. Alors cette heure doit être sans importance, transportez vous hors du temps. Il ne faut pas trop penser aux connaissances dehors qui « peut être s’inquiètent », cela pourrait être utilisé comme une faiblesse. Zen. Vous êtes en garde à vue, pas en prison, c’est à dire que cet épisode est destiné à faire pression sur vous, que vous serez sorti pour une nouvelle audition dont on attend que vous soyez plus docile. Alors mieux vaut ne pas laisser l’inquiétude monter. Zen. Grande bouffée d’air, même si cela sent la pisse.
En fait, rien d’autre à faire que d’attendre allongé. Rien, pas de lecture, pas d’objet. Très rapidement les mauvaises odeurs, le bruit, la lumière, votre cerveau va en faire abstraction. Un faux sommeil vous gagne où votre cerveau prend le dessus et guide vos pensées aux frontières du rêve. Ca va durer comme cela, hors du temps, hors de ce qui vous entoure. Souriez en pensant aux surréalistes qui pratiquaient cet exercice de « rêve éveillé », cette expérience m’a permis de comprendre ce qu’ils voulaient dire. Quel artiste notre cerveau ! Attention, cet état d’abstraction de l’environnement rappelle certains états de folie. Il est peut être sage de s’accorder quelques poses dans le réel, si possible de communication (période de dialogue avec co détenus, avec cellules voisines (au Tribunal de Paris les murs sont trop épais, il faut se mettre au sol pour parler sous la porte. Ou bien siffler…).
Voilà, le rythme de croisière étant trouvé, ils ne peuvent plus grand chose. Il ne reste qu’à ne rien signer, ne rien partager avant d’avoir reçu la visite de l’avocat. Et si vous vous sentez bien, alors il vous reste des force pour observer. A votre tour de décortiquer le fonctionnement, d’élaborer des résistances pour vous mais également politiques car ceux qui sont missionnés peuvent potentiellement prendre conscience de ce qu’ils font. Leur « banalité du mal » à eux.
Vous êtes dans des locaux de Police, dans un Tribunal, vous pouvez légitimement imaginer qu’en ces lieux la loi est respectée… Disons qu’elle est respectée avec quelques entorses, qui ne sont pas tout de même pas anodines. Transformer le motif de « défaut d’identité » en « attroupement en vue de procéder à des dégradation » relève du faux en écriture par personne dépositaire… Cela autorise à garder plus longtemps en garde à vue. Au Tribunal vous imaginez le Juge statuant après avoir auditionné la défense, comme il doit en être dans un Etat de Droit… Et bien non, il fera de la justice d’abattage sur les seuls mots de la Police… et vous voilà avec un « rappel à la loi » comportant une interdiction de manifester (que j’ai refusé de signer et enfreint le jeudi suivant avec les syndicats. Ma famille n’a pas résisté à l’envahisseur nazi et défendu les libertés pour que je me couche devant une telle pratique liberticide).
Dans ce genre de situation n’oubliez pas que vous sortez la tête haute, et que c’est à la Justice que le pouvoir a fait baisser la tête.
Affronter ces situations ne peut qu’être un choix personnel. Plusieurs sur mon rond-point gilets jaunes (Saint Brice) ont accompli leurs premières expériences. Ils se sentaient près. Pour d’autres l’épreuve serait trop difficile, et il n’y a aucune honte à cela. L’une est capable d’affronter chaque samedi les gaz et les charges de CRS (petit bout de femme d’une cinquantaine d’année, toujours souriante) mais avertit que confrontée à la Police elle craquerait, avouerait tout. Un autre, trop émotif, ne supporterait pas d’être arrêté. C’est déjà d’un grand courage que de se rendre de temps en temps aux manifs parisiennes. Le rond point est plus calme et tout aussi utile.
Voilà, j’ai donc dit ce que j’avais à dire à ce stade. Il me reste à saluer mes « co détenus », surtout ces jeunes qui m’ont ébloui par leur détermination et rassuré sur l’avenir de mon pays. Mais je commence par « le plus vieux », informaticien, directeur d’une entreprise de 30 salariés, venu voir et « prendre des images ». Il avait un masque de peintre. Pof, 24 heures de garde à vue, ses images intégralement visionnées, censurées. Salut l’ami ! Çà fait réfléchir sur le mot liberté, n’est-ce pas ?
Et donc les jeunes. Le premier 21 ans, étudiant en cinéma, venu lui aussi filmer. Voilà son crime. La Police Républicaine doit agir hors de vue, dans le secret… 21 ans et il savait par coeur ce qui le menaçait, ce qu’il devait faire… Dur à 21 ans le temps paralysé en prison, mais au chantage de livrer le contenu de son smartphone contre sa sortie il n’a pas cédé. Et puis cette jeune fille croisée en audition, sans doute pour voir si nous nous connaissions, pleine de légèreté et de sourire dans sa fermeté à ne rien céder. Bravo ! J’espère que mon mot de parviendra. Fier de toi ! Et ce groupe de jeunes suivis au Tribunal, même ordre d’âge. L’une habillée toute sexy, pantalon moulant, belle comme un ange, les gardiens avaient du mal à se retenir de venir lui parler. Suprême punition pour ces gardiens, les sous sols d’un Tribunal et ses geôles ne sont pas propices à la drague. L’autre du même âge, au visage encore dans l’enfance, qui avait renoncé à son « petit déjeuner » totalement semblable aux autres repas : riz à la mexicaine. Ah ce riz à la mexicaine…. Et pour finir ce jeune homme que je n’ai pu voir que subrepticement. Tromper l’ennui et la solitude en sifflant… tout le répertoire des chants révolutionnaires soviétiques ! Je ne savais pas que je m’en souvenais, que dans cet instant ce serait un bonheur de les entendre, de les partager (mais lui avait une justesse de ton, sans doute un musicien). Moment de sourire. La Justice déraille et les jeunes apprennent les chants révolutionnaires. Vous le voyez l’avenir ?
PS : une pensée très amicale aux quelques fonctionnaires de police qui discrètement m’ont adressé un petit signe de soutien. C’est toujours réconfortant.