Une enquête qui vise à mettre en lumière l’image, le statut et la place de la femme marocaine dans un pays qui se veut moderne et démocrate.
Barmaids de Casablanca contraintes de sombrer dans l’alcoolisme, saisonnières exploitées professionnellement et sexuellement, mineures « prêtées » à des hommes contre quelques milliers d’euros, victimes du mariage coutumier, jeunes femmes captées par des réseaux de prostitution dans les pays du Golfe… Avec les reportages de Dos de femme, dos de mulet, au titre emprunté à une expression de l’Atlas, le journaliste Hicham Houdaïfa montre comment le laxisme des institutions, les contraintes familiales et le poids des traditions semblent se liguer pour infliger aux femmes des violences et des injustices insupportables.
Bien que révisée, puis promulguée en 2004, la moudawana (code de la famille) est encore insuffisante, et les autorités, au minimum passives, apparaissent comme les principales responsables d’une oppression tenace. Celle-ci se nourrit largement de l’abandon scolaire précoce, notamment en milieu rural. De ce constat très dur émerge une lueur d’espoir : le travail de fourmi des associations locales, auquel ce petit ouvrage rend, en creux, un hommage indispensable.
Emmanuel Riondé / MD
Dans son ouvrage-enquête « Dos de femme, dos de mulet, les oubliées du Maroc profond », destiné, en premier lieu, aux journalistes enquêteurs et bien sûr au grand public, nous découvrons un reportage sur le destin pénible des femmes marocaines des régions rurales, du côté du Maroc qu’on nomme « inutile ».
Selon l’auteur, le choix de ces régions n’est pas anodin ou dénué de sens. Dès l’introduction de son enquête, l’auteur précise : « si je me suis concentré sur le milieu rural, en particulier sur les régions montagneuses de l’Atlas et sur les petites villes […], c’est parce que la fragilité des femmes m’y a paru plus marquée, plus terrible qu’ailleurs…»En ce qui concerne le thème, Hicham Houdaïfa a déclaré, sur les ondes d’une radio nationale, que « la thématique de la femme en état de fragilité m’a toujours ému et touché […]. J’ai déjà travaillé sur ces sujets bien avant et j’ai beaucoup voyagé dans le Maroc pour recueillir ces témoignages ».
Un destin de femmes, brisées et écrasées face à la précarité de leur avenir. Telle est l’image que nous livre l’enquête à travers les propos de ces femmes racontant leur quotidien dans le Maroc du 21e siècle. Victimes involontaires d’une absence flagrante de loi et de justice équitable, elles prennent leur sort en main, aussi humiliant soit-il, pour subvenir aux besoins de leurs familles. Depuis les ouvrières clandestines de Mibladen, jusqu’aux filles victimes des réseaux de prostitution dans les pays du Golfe, cette enquête regorge d’exemples d’une dignité avilie. Non seulement ces femmes subissent l’inégalité des chances, le manque d’une législation efficace, mais elles sont également victimes d’un passé douloureux. Analphabétisme et taux de mortalité élevé, tel est le cadre où vivent nos compatriotes.
Le livre dévoile aussi un fléau qui ronge notre pays dans ses atouts les plus primordiaux. Le mariage des mineures, encore en vigueur en dépit de l’instauration de la nouvelle Moudawana. En effet, les jeunes filles, faute de scolarité et en l’absence d’infrastructures, sont livrées, dans la fleur de leur âge, à des bourreaux sexuels, pour de l’argent ou pour une bouche de moins. Paradoxalement, ces contrats de mariage se passent avec l’accord des familles, du cheikh et du moqadem, censés être les représentants de la loi. Ajoutons à cela, le mariage par « la Fatiha », plongeant toute une progéniture dans l’illégalité. Aucune possibilité d’accéder à la scolarité, aux soins sanitaires. Pire, pas d’état civil et donc pas de papier justifiant son existence.
L’exploitation ne s’arrête pas uniquement à ce stade. Nous percevons dans le récit des travailleuses journalières de la région de Berkane une douleur immense. En plus des heures interminables de travail pour des pacotilles, elles doivent se plier aux viols et désirs pervers des employeurs. Si elles tombent enceintes, aucune issue ne s’offre à elles, car même les autorités sont de mèche avec les riches propriétaires qui agissent en toute impunité. Par la force des choses, elles deviennent, au bout du compte, des prostituées. Même la capitale économique du pays, germe en elle des femmes courbant l’échine face à un destin sans loi ni droit. Dans une autre partie de l’enquête, l’auteur pointe du doigt le code pénal avec les discours des « serveuses de bar » qui finissent prostituées elles aussi. Quand elles essayent de porter plainte ou de ré- clamer une restitution de droit, suite à un viol collectif ou une maltraitance, c’est elles que l’on met derrière les barreaux. Et Hicham Houdaïfa de le souligner clairement : « Le code pénal, dans sa version actuelle, est également problématique […]. Ce code qui nous régit encore a été rédigé dans une logique qui vise plus à protéger la moralité publique que les droits humains et la dignité de toutes et de tous ».
Par Saad Benchlikha /MD
Quelques éléments choisis subjectivement.
La recherche de cristaux, le plomb et la vanadinite, les ouvrières clandestines à la mine, l’histoire aussi de la Société minière et métallurgique Penarroya et de la silicose…
La répression en mars 1973 dans le Moyen Atlas, « Du 3 au 8 mars 1973, l’armée investit les douars et soumet la population à tous types d’exactions : violences, torture, viols, assassinats et emprisonnements arbitraires », l’isolement et le manque d’infrastructures, la perpétuation du mariage ‘orfi, « des filles de onze, douze ou treize ans sont encore mariées « à la fatiha », sans aucun acte écrit »…
Berkane, le froid et la double couverture des corps, la précarité des ouvrier·es renforcée par le fait qu’elles et ils viennent en majorité d’ailleurs, la clémentine, les travailleuses et les travailleurs journaliers, le non respect du droit du travail, les insultes et les violences – dont les violences sexuelles et les viols – subies par des femmes, le droit de cuissage, le silence, la « double exploitation, professionnelle et sexuelle »…
Kalaat Sraghna, un fort taux d’analphabétisme et l’absence de véritable politique scolaire, le mariage des mineures et les contrats signés (comme une vente d’esclave), l’article 20 de la Moudawana et l’autorisation de mariage avant « la capacité matrimoniale »…
Atlas, les sans-papiers, le mariage coutumier, « Dans les douars reculés, le mariage coutumier, contrat moral entre le père de la fiancée et le prétendant, a des conséquences catastrophiques sur les familles, essentiellement sur les femmes et les enfants », le dos de femme et le dos de mulet, l’absence d’acte de mariage, les répudiations, « dos de femme, dos de mulet », l’absence de droits pour les femmes abandonnées, la non-inscription à l’état civil d’enfants…
Casablanca, « des milliers de femmes gagnent leur vie en travaillant comme barmaids, entraîneuses ou serveuses », les hommes boivent et se font servir par des femmes, les entraineuses payées à la capsule, les mères célibataires rejetées par leurs familles, la mendicité et la prostitution…
Je souligne le chapitre sur les violences envers les femmes, l’indifférence des pouvoirs publics, le travail de certaines associations, l’annulation récente de l’article du code pénal qui « autorisait le violeur à se marier avec sa victime », les preuves (témoins oculaires) à faire reconnaître par les femmes, les tests ADN qui ne peuvent être demandés que par les hommes, les réconciliations recherchées entre la victime et son bourreau, la précarité et les violences économiques
Les postes de travail promis, la confiscation des passeports et la prostitution, les réseaux au Maroc et la traite des femmes dans le Golfe, les bordels et les clients fortunés, les esclaves sexuelles « à Dubaï, Doha, Manama ou Koweït City », le système de kafala et les clauses abusives de droit, les arrivant·es, l’exploitation sexuelle traitée comme un crime et un délit « contre l’ordre des familles et la moralité publique » et non contre les victimes…
Et celles et ceux qui résistent…
Hicham Houdaïfa : Dos de femme, dos de mulet Les oubliées du Maroc profond En toutes lettres, Casablanca 2015, 112 pages, 13 euros
Les invisibles et les oubliées
Une enquête, des femmes en situation précaire, des enfants mariées selon la coutume ou par contrat, des femmes livrées aux familles des époux, « Elles y sont exploitées, martyrisées, violées… », le mariage de mineures permis par la Moudawana – Code du statut personnel marocain, les personnes prostituées considérées comme des criminelles et des débauchées (mais pas leurs « honorables » clients), l’abandon scolaire, « la scolarisation des filles n’est toujours pas un acquis dans ce Maroc de 2015 »…
Sommaire :
1.- Les ouvrières clandestines de Mibladen
2.- Les torturées de Ksar Sountate
3.- La double peine des femmes Ninja de Berkane
4.- Les femmes prêtées de Kalaat Sraghna
5.- Les sans-papiers de l’Atlas
6.- Les barmettate de Casablanca
7.- Violences envers les femmes : tour d’horizon
8.- Victimes de la traite dans le Golfe
Didier Epsztajn / EntreleslignesEntrelesmots