Madame la ministre de la culture,
Il y a peu vous revendiquiez “une culture pour tous, une culture plus populaire”.
Il m’était difficile d’imaginer ce que vous entendiez par là au vue du niveau si populiste des programmes de télévision, et au spectacle de sons et lumières qui prolifèrent un peu partout.
J’ai refusé de croire que vous espériez réellement que cela soit, au théâtre.
Car le théâtre a déjà cette mission d’être populaire dès lors qu’il s’adresse à un public vivant, libre de ces choix, avec la possibilité grâce au CPAS
d’y aller pour 1,27 euros.
Je ne comprenais pas trop où vous vouliez en venir.
J’espérais que vous ne souhaitiez pas voir au théâtre ce qui se fait de plus triste et misérable à la télévision.
Et encore moins que vous souhaitiez que cet art disparaisse du champs culturel Francophone.
Aujourd’hui je viens en collaboration avec ma soeur de créer un spectacle qui a comme thématique “la rupture au sein de la famille nucléaire”. Phénomène sociologiquement générationnel et absolument contemporain.
Nous avons voulu prendre la parole et parler de cette étape douloureuse dans la vie d’une famille en la sublimant, et je dois dire aussi avec le désir d’en parler enfin de façon moins misérabiliste que pouvait nous offrir Feu Monsieur Delarue sur TF1.
Loin de nous le désir de faire du théâtre “social”, mais il n’en reste pas moins que se dégage malgré ce parti pris, des émotions, du rêve, une histoire qui se raconte dans un dispositif somme toute très classique, voir divertissant. Ici rien d’élitiste si ce n’est de donner au spectateur une histoire à entendre, de l’inviter à réfléchir, se questionner sur le monde qui l’entoure, sur les étapes qu’il peut parfois vivre. le théâtre est un endroit cathartique et cela a toujours été depuis la Grèce antique.
Ce que je veux dire simplement c’est que le théâtre reste un lieu qui offre une richesse infinie d’expressions artistiques, qui éveille nos consciences, qui nous parle du monde qui nous entoure, de nous, des autres, de ce qui nous traverse, par l’intermédiaire de la fable. Sans pour autant devoir être populiste. C’est essentiel.
Ce spectacle a attiré un public très hétéroclite, allant des associations de mères célibataires à un public lambda, aux artistes de la scène en passant par des programmateurs des centres culturels Belges, des directeurs de théâtre Belges, de France et de Suisse.
La salle était pleine tous les soirs.
Sans l’aide du CAPT, de 30.000 euros, et de nos coproducteurs Le théâtre de la Balsamine et de L’Ancre, 30.000 euros ce spectacle n’aurait jamais pu voir le jour.
Nous avons pu créer 22 emplois. Tous n’ont pas pu être payé correctement croyez moi. Et ce n’est absolument pas normal.
La création d’un spectacle prend en moyenne, pour sa conception, en post production, deux à trois ans.
Juste pour que vous vous fassiez une idée des conditions matérielles qui sont à notre disposition en 2012.
Nous porteuses du projet avons reçu l’équivalent d’un mois de salaire en tout et pour tout pour ces trois années de travail alors que nous signons l’écriture, la mise en scène, les costumes, la direction d’acteur et la scénographie, (ce qui au moins réduit le nombre de personnes à payer ! ahahah!).
Nous sommes des artistes : ” Personne qui produit des œuvres suscitant une émotion ou un sentiment et invitant à la réflexion.”
Nous croyons en cette mission et nous y mettons toute notre ferveur.
Mais il y a des limites au romantisme.
Anéantir la création artistique revient à affaiblir les esprits et par extension affaiblir une société.
Vous n’avez pas été mandaté par le peuple pour l’affaiblir.
J’aimerais savoir ce que cela vous évoque, sincèrement.
Imaginez que vous tuiez la création en Belgique Francophone. Comment allez vous justifiez votre poste, si sous prétexte de changement vous démantelez toute la culture Francophone ?
C’est votre poste qui sera démantelé, n’y avez vous pas pensé ?
Les Allemands augmentent leur budget de la culture, mais vous vous le réduisez à son stricte minimum. Qui n’était déjà pas à la mesure d’assurer des paies décentes aux professionnels de ce secteur.
Comment pouvez vous justifier cela ?
Avez vous déjà imaginé être payé 36 euros pas mois pour travailler sur un projet ? Parce que lorsqu’on touche 1300 euros pour trois ans de travail sur un projet c’est 36 euros par mois que l’on touche en salaire net.
Heureusement qu’on a d’autres projets qui sont soutenus par le CAPT pour s’en sortir. Et l’Onem qui se durcit aussi.
Plutôt que de retirer 45% au CAPT, il faudrait les rajouter !
La télévision est un média qui a toute sa place dans notre société dans une certaine mesure, à mon avis aujourd’hui de moins en moins si ce n’est pour endormir les esprits et les sens. Si vous êtes intéressée par les effets de la télévision et son caractère aliénant je vous invite à naviguer sur le site de Bernard Steigler Ars Industrialis association internationale pour une politique industrielle des technologies de l’esprit : http://www.arsindustrialis.org/.
Vous décidez aujourd’hui de faire fi du spectacle vivant.
Vous décidez de construire, pour les enfants à venir, une société moribonde de téléspectateurs isolés qui auront tous l’espoir d’être des stars mais quel sera leur déception quand ils se retrouveront avec des salaires si modestes, sans le sou pour s’acheter une robe Channel ? Ils se suicideront parce que le rêve qu’on leur a vendu n’était qu’un rêve cynique ? Parce que comme en Espagne ils ne pourront pas payer leur loyer les” pauvres”? On ne devient pas star à tout bout de champ. Il y en a un pour mille qui émerge, que feront les mille autres ?
Ils mangeront des chips et boiront du coca jusqu’à ne plus pouvoir bouger ?
N’y a t‑il pas autre chose à leur offrir ?
Cette société que vous construisez est vouée à perte.
Les artistes ont toujours créé coûte que coûte, vous profitez de cette idée pour nous appauvrir nous “Vangoguiser”.
Et vous irez pleurer sur nos tombes ?
Tristement,
Mélanie Rullier
Mélanie Rullier est metteur en scène et comédienne.