Témoignage au lycée Laure Gatet, le 20 janvier 2020 J’ai grelotté sur la place de la médiathèque, la boule au ventre. Je ne m’y habituerai jamais. Devant les jeunes lycéens, j’essaie difficilement de dire, de raconter, de transmettre la force, même si c’est la force du désespoir. Pendant que je parle, une élève redresse la tête, me fixe des yeux, ensuite se concentre sur sa feuille. Elle reprend le geste une fois, deux fois. Je ne compte plus, elle fait quelque chose de sérieux, j’en suis sûre. Mais quoi donc ? Elle a peut être envie de partir dans son imaginaire pour se mettre à l’abri de la terreur. Non, ce n’est pas ça. Elle est là et me dessine. Elle signe et viens m’offrir mon portrait pendant que les autres se dépêchent pour aller à la cantine.
Elle s’appelle Antonia. Seigneur ! Je ne crois pas à la réincarnation ! Elle a le même âge que la cadette de mes parents, celle dont je n’ai pas d’image, puisque sur la seule photo de ma famille en ma possession, elle n’y est pas. Elle n’était pas née. Elle s’appelait Antonia Giraneza. Elle a été tuée en avril 1994. Elle avait 17 ans. Mon coeur saigne. Lors de l’échange, ces jeunes lycéens vérifient la véracité des dates historiques données par leur professeur. Le témoin confirme : la carte d’identité, avec la mention ethnique, existe au Rwanda depuis 1930, époque de la notion de race en Occident. Ces lycéens ont fait une exposition au CDI. Ils savent. Je peux partir tranquille, ils n’oublieront pas le génocide des Tutsi. C’est pour cela que je suis venue.
Néanmoins, il y a des coups de canif, que je n’oublierai pas, moi non plus : Une ONG est là aussi pour tourner cette page sombre, on dirait. Je tairai son nom. Elle se veut mettre la lumière sur l’absence de liberté d’expression, dénoncer Kigali qui réprime les opposants politiques, plutôt une opposante politique. Je la connais plus ou moins bien cette opposante descendue de l’Occident, tel la descente des miliciens interahamwe. Sur place, voire même à un endroit où c’est, normalement, impossible : au Mémorial de Gisozi, elle nie le génocide des Tutsi. Elle est chargée de persuader les Hutu de leur innocence afin qu’ils votent massivement pour elle. Une Hutu comme eux, son seul projet. Seigneur ! Je ne crois pas au retour du vote ethnique. L’ONG plaide pour les génocidaires privés d’avocats, raille les survivants « prêts à tout, indignes jusqu’à soudoyer la justice ». Mon coeur saigne.
Et pour couronner le tout, La Dordogne libre titre : « Le génocide rwandais, 25 ans déjà ». Comme ses victimes, ce génocide n’a toujours pas de nom, 25 ans après. Mon coeur saigne encore.