Les syndicats de l’industrie et de l’habillement du Myanmar appellent les marques internationales prestigieuses présentes dans le pays à dénoncer le coup d’état et à refuser toute répression contre les salarié-es. Les femmes sont au premier rang des luttes.
Des travailleur·euses de l’habillement en grève ont manifesté devant les bureaux de l’Organisation internationale du travail à Yangon, au Myanmar, en début de la semaine, pour exiger que les marques mondiales de vêtements veillent à ce que les travailleur·euses ne soient pas réprimé·es pour avoir participé à des manifestations pro-démocratiques.
Tard dans la soirée du vendredi 26 février (heure locale), l’armée du Myanmar a déclaré illégales la plupart des organisations syndicales du pays à la télévision publique, avec la menace d’arrestations si leurs activités se poursuivent, ce qui ajoute à l’urgence des activités de solidarité internationale.
Le 1er février, les militaires du Myanmar ont organisé un coup d’État et ont pris le pouvoir contre le gouvernement civil élu sous le prétexte d’une fraude électorale présumée. Les dirigeants du coup d’État ont arrêté les principaux dirigeants et militants du gouvernement, ont coupé l’Internet et ont suspendu les vols aériens. Cela marque un tournant sombre et incertain dans l’expérience de démocratisation partielle du pays, qui dure depuis dix ans.
Le coup d’État menace d’annuler les progrès réalisés au Myanmar en matière de droits démocratiques. Un puissant mouvement ouvrier s’est construit depuis une décennie grâce à la lutte militante des ouvrier·es d’usine, leur permettant d’avoir une forte participation dans le soulèvement actuel en défense de la démocratie. Après les débrayages croissants des travailleur·euses des secteurs public et privé au cours des trois dernières semaines, les grèves générales depuis le 22 février offrent maintenant le meilleur espoir de résister au coup d’État et de construire un mouvement ouvrier plus fort.
Les travailleur·euses se révoltent
Peu après la déclaration du coup d’État, un mouvement de désobéissance civile massif a vu le jour, avec les travailleur·euses et les syndicats en première ligne. Lors de l’une des premières mobilisations, les travailleur·euses médicaux de plus de 110 hôpitaux et services de santé dans 50 villes du Myanmar ont été parmi les premiers à se soulever et à se mettre en grève, deux jours après le coup d’État.
Dans un hôpital gouvernemental, 38 des 40 médecins et 50 des 70 infirmières ont fait grève.
« Il est impossible de travailler sous une dictature », a déclaré le Dr Kyaw Zin, un chirurgien qui a mené l’une des premières grèves. « Je suis presque sûr que nous pouvons faire tomber le régime. Nous ne reprendrons jamais le travail tant que [le général Min Aung Hlaing, le chef du coup d’État] ne se sera pas retiré. Il n’a pas le droit de nous dire de venir travailler, parce que personne ne le reconnaît comme le chef.»
Les fédérations syndicales se sont rapidement mobilisées. La Confédération des syndicats du Myanmar (CTUM), la plus grande fédération syndicale du Myanmar, a appelé à la première grève générale le 8 février. Malgré les menaces d’arrestation et les tactiques répressives croissantes du gouvernement, les travailleur·euses d’un grand nombre de secteurs, notamment les éboueurs, les pompiers, les électriciens, les employé·es de banques privées et les travailleur·euses de l’industrie du vêtement, ont déclenché des vagues de grèves et beaucoup se sont joints aux manifestations de rue.
Les enseignant·es ont rapidement rejoint le mouvement avec leurs élèves. Sept syndicats d’enseignant·es, dont la Fédération des enseignant·e·s du Myanmar, forte de 100 000 membres, qui syndique l’enseignement primaire et supérieur et les écoles des monastères, ont annoncé des arrêts de travail.
Les journalistes aussi ont quitté leur emploi. En réaction au coup d’État et aux menaces pesant sur la liberté des médias, les membres du Conseil de presse du Myanmar et plus d’une douzaine de journalistes du Myanmar Times ont démissionné.
Il est important de noter que les employé·es des administrations municipales et des ministères du commerce, de l’électricité et de l’énergie, des transports et des communications, et de l’agriculture, de l’élevage et de l’irrigation se sont joint·es aux actions de grève, laissant de nombreux secteurs sans activité, déserts la semaine dernière. Les actions syndicales ont particulièrement touché le secteur des transports. Selon un responsable des chemins de fer du Myanmar (MR), 99 % des employés des chemins de fer sont en grève, ce qui entraîne l’arrêt des services ferroviaires.
Les travailleur·euses en grève ont réussi à faire fermer la Myanmar Oil and Gas Enterprise, la Myanmar National Airlines, les mines, les chantiers de construction, les usines de vêtements et les écoles, sous contrôle militaire, ce qui a entraîné un coût économique pour les dirigeants militaires. Les travailleur·euses ont été rejoints par les consommateur·trices qui boycottent les intérêts commerciaux des entreprises liées à l’armée dans les domaines des produits alimentaires et des boissons, des cigarettes, de l’industrie du divertissement, des fournisseurs de services Internet, des banques, des entreprises financières, des hôpitaux, des compagnies pétrolières, des marchés de gros et des commerces de détail.
L’armée a réagi par la répression. Des travailleur·euses et des étudiant·es ont été arrêté·es pour avoir participé à des manifestations pacifiques, et l’armée a commencé à utiliser une violence meurtrière, tuant déjà trois personnes.
Les travailleur·euses de l’habillement ont ouvert la voie
Le militantisme des travailleur·euses du Myanmar se développe depuis plusieurs années. Lorsque le pays s’est ouvert aux investissements étrangers directs il y a près de dix ans, le gouvernement a accepté de procéder à d’importantes réformes du droit du travail, en légalisant les syndicats et en codifiant les droits du travail dans la loi de 2011 sur l’organisation du travail. Il a également intégré des mécanismes de résolution des conflits du travail dans sa loi de 2012.
Cependant, les militant·es syndicaux du Myanmar ont fait valoir que les lois cherchaient à canaliser les travailleur·euses vers des voies légales qui sont bien moins puissantes que leurs actions militantes et massives pour exiger de réelles améliorations des conditions de travail difficiles et du faible salaire minimum, qui s’élève actuellement à 4 800 kyats (3,26 dollars américains par jour).
Une vague de grèves militantes a balayé le secteur de l’habillement en 2019 pour réclamer des salaires plus élevés et des conditions de travail plus sûres. Cette industrie de 6 milliards de dollars, qui emploie 700 000 travailleur·euses, pour la plupart des femmes, fournit des marques mondiales telles que H&M, Zara, C&A, entre autres. Elle représentait 30 % des exportations du Myanmar en 2019, contre 7 % en 2011, lorsque les réformes démocratiques du pays ont commencé.
« Quand une grève a lieu, les autres travailleur·euses voient que la grève fonctionne », a déclaré Daw Moe Sandar Myint, dirigeante de la Fédération des travailleur·euses de l’habillement du Myanmar et elle-même ancienne travailleuse de l’habillement, en décrivant la vague de grève dans le secteur de l’habillement. « Ils en viennent à connaître le goût de la grève, et c’est un bon goût. La grève leur donne aussi le syndicat ».
Mais le début de Covid a été un revers pour les luttes syndicales militantes, interrompant la vague de grève et la syndicalisation croissante dans le secteur. Les employeurs ont profité des perturbations de l’activité économique provoquées par la pandémie pour démanteler les syndicats en licenciant leurs membres.
Les revendications des travailleur·euses d’usine pour une augmentation du salaire minimum et des conditions de travail meilleures ont également été ignorées, et ils ont subi des réductions de salaire ou des retards dans leur paiement. Beaucoup ont riposté malgré des conditions d’organisation plus difficiles ; les travailleur·euses de plusieurs usines se sont mis en grève au début de la pandémie pour recevoir leurs salaires impayés et des indemnités de licenciement.
Par exemple, en mars 2020, l’usine de vêtements Myan Mode a licencié définitivement les 520 membres du syndicat et a retenu leurs salaires, prétextant le Covid, tout en conservant ses 700 travailleur·euses non syndiqué·es. Le syndicat a organisé des protestations et a pu obtenir le paiement des salaires des travailleur·euses licencié·es.
Malgré les revers subis pendant la pandémie, lorsque l’armée du Myanmar s’est employée à attaquer la démocratie, de nombreux travailleur·euses de l’habillement ont estimé qu’ils en avaient assez et qu’ils étaient prêts à se battre. « Les travailleur·euses étaient déjà en colère, ils étaient déjà mobilisés », a déclaré Daw Moe Sandar Myint, qui a été en première ligne du mouvement contre le coup d’État. « Un sentiment familier de souffrance était revenu et elles et ils ne pouvaient pas rester silencieu·euses. » Cette colère l’a poussée, elle et beaucoup d’autres, à mener les ouvrier·es d’usine dans le mouvement.
Les travailleur·euses de l’habillement ont été parmi les premiers à appeler à des manifestations de rue et à se mobiliser dans la rue malgré l’avertissement sévère des chefs du coup d’État. Ces appels ont contribué à renforcer la confiance du mouvement de désobéissance civile. Comme le souligne Andrew Tillett- Saks, un syndicaliste basé au Myanmar, « Le spectacle des travailleur·euses de l’industrie, en grande partie des jeunes femmes travaillant dans l’habillement, semble avoir profondément inspiré le grand public, brisé une partie de la peur, et catalysé les protestations massives et la grève générale que nous observons maintenant ».
« Les travailleur·euses et les syndicats sont la principale force du mouvement à Yangon [la plus grande ville du pays]», a déclaré Thet Swe Win, militante du travail et des droits de l’homme. « Parce qu’il y a plusieurs milliers de travailleur·euses des usines, leurs rassemblements dans la rue vont attirer beaucoup d’attention de la population. »
« Ils et elles prennent beaucoup de risques lors de ces mobilisations », a‑t-elle déclaré. « Beaucoup de dirigeant·es syndicaux ont déjà été licencié·es auparavant. Ils et elles ont été réprimées par le gouvernement et les propriétaires d’usines. Elles et ils sont très vulnérables, mais sont très dévoué·es ».
Pour son rôle dans la mobilisation et l’organisation des travailleur·euses de l’habillement dans le mouvement de désobéissance civile, la maison de Daw Moe Sandar Myint a été perquisitionnée le 6 février. Elle a pu éviter l’arrestation et continue miraculeusement à diriger les protestations de jour. Mais la nuit, elle doit se cacher car les autorités la recherchent.
La participation organisée des travailleur·euses et de leurs syndicats dans les secteurs public et privé est l’un des facteurs les plus cruciaux pour faire avancer le mouvement de désobéissance civile et déterminer l’avenir du Myanmar.
Tillett-Saks a souligné que le mouvement de désobéissance civile a été mené principalement par des employé·es du gouvernement et des travailleur·euses de l’industrie du vêtement dans le secteur privé. Il estime qu’ils constituent la dernière ligne de défense contre la dictature militaire. Les grèves générales les plus récentes, depuis le 22 février, ont vu la participation des travailleur·euses d’un plus large éventail de la société du Myanmar. Le défi reste d’étendre le militantisme des travailleur·euses et d’accroître le nombre de grèves parmi un plus grand nombre de travailleur·euses du secteur privé et les travailleur·euses non syndiqués.
Pourquoi la solidarité internationale est importante
Face à la répression croissante de l’armée – y compris par l’émission de mandats d’arrêt contre huit dirigeants de la CTUM en début de semaine – la pression internationale est plus urgente que jamais pour protéger les droits démocratiques des travailleur·euses et de leurs syndicats.
« Le soutien international signifie beaucoup pour nous », a déclaré Thet Swe Win. « Il nous aide à sentir que nous ne sommes pas seuls, et à savoir qu’il y a des gens qui soutiennent notre liberté ».
Des groupes de travailleur·euses et de défense des droits humains ont organisé des manifestations devant les ambassades du Myanmar et publié des déclarations de solidarité condamnant le coup d’État en Thaïlande, au Japon, à Hong Kong, à Taïwan, au Cambodge et aux Philippines, entre autres.
Caisse de grève
Les travailleur·euses et les syndicats d’autres pays peuvent contribuer à une caisse de grève qui a été mis en place pour soutenir les syndicats du Myanmar. Le moment est venu d’exercer la pression directe nécessaire pour obliger les militaires à faire marche arrière.
Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi le mouvement a trouvé un écho et suscité un tel élan de soutien dans la région. Les manifestant·es d’autres pays expriment leur solidarité face au défi commun que représentent les régimes non démocratiques et la répression permanente contre les syndicalistes et les mouvements de la société civile. Des endroits comme Hong Kong et la Thaïlande ont récemment connu leurs propres mouvements de protestation démocratique de masse.
Kamz Deligente, du Centre pour les syndicats et les droits de l’homme aux Philippines, qui fait campagne contre les violentes attaques contre les syndicalistes dans le pays, a déclaré : « Le peuple philippin peut également s’identifier à la lutte du Myanmar, car notre gouvernement actuel, et plus précisément le pouvoir exécutif, est dominé par des militaires à la retraite et dirige de facto le pays sous une loi martiale. Cela a largement contribué à l’intensification des attaques contre les militants et les critiques de Duterte et de son administration ».
Les travailleur·euses migrants
De nombreux pays de la région ont également des travailleur·euses migrants du Myanmar qui travaillent dans des usines, la construction, la pêche et d’autres secteurs. En Thaïlande, quelques dizaines de travailleur·euses migrants du Myanmar (le nombre total de migrant·es du Myanmar présents en Thaïlande, est estimé entre trois et quatre millions) ont manifesté devant l’ambassade du Myanmar dans les jours qui ont suivi le coup d’État.
Au Japon, des centaines de travailleur·euses du Myanmar ont également organisé une manifestation devant le bureau des Nations unies.
À Taiwan, environ 400 migrant·s du Myanmar se sont rassemblés pour condamner le coup d’État militaire dans la ville de New Taipei, où vivent beaucoup d’entre eux-elles. Lennon Ying-Dah Wong, de l’association Serve the People, qui travaille avec les travailleur·euses immigré·es, a averti : « Une dictature dirigée par la junte malfaisante pourrait adopter une politique d’exportation d’immigré·es afin de réduire ses frais et ses citoyen·nes seraient obligé·es d’aller travailler à l’étranger, mais donc aussi négliger totalement leurs droits. Si cela se produit, cela mettra en danger les droits et le bien-être non seulement des travailleur·euses migrant·es birman·nes, mais aussi de tous les travailleur·euses migrantes et des travailleur·euses taïwanais·es ».
Faire pression sur les marques
La Fédération des travailleur·euses de l’industrie du Myanmar, le plus grand syndicat de travailleur·euses de l’habillement du pays, a appelé les syndicats mondiaux à faire pression sur les marques faisant des affaires au Myanmar pour qu’elles condamnent le coup d’État et coupent les liens avec les entreprises qui profitent aux intérêts de l’armée (voir liste ci-dessous). Il a également demandé que les travailleur·euses soient protégés contre tout licenciement pour avoir protesté contre le coup d’État.
Dix syndicats internationaux représentant 200 millions de travailleur·euses ont demandé aux syndicats du monde entier d’intensifier la pression sur les gouvernements et les entreprises pour qu’ils s’attaquent aux intérêts commerciaux de l’armée du Myanmar.
Pour les syndicats et les travailleur·euses aux États-Unis et ailleurs, bâtir une solidarité concrète avec les travailleur·euses du Myanmar signifie répondre activement à ces appels en publiant des déclarations condamnant le coup d’État, en faisant pression sur les entreprises qui font des affaires au Myanmar pour qu’elles fassent de même, et en demandant aux employeurs de couper tout lien dans leurs chaînes d’approvisionnement avec les intérêts commerciaux de l’armée.
Les travailleur·euses du Myanmar ont démontré que les actions directes sont puissantes et qu’elles fonctionnent. Que ce soit en organisant et en participant à des grèves militantes sur leur lieu de travail, ou en quittant leur poste de travail et en se joignant à des manifestations de rue, ils et elles se battent pour défendre leurs droits démocratiques et obtenir une vie meilleure pour les travailleur·euses du pays et du monde entier. Elles et ils ont besoin de notre soutien et le méritent.
Marques faisant des affaires au Myanmar
La Fédération des travailleur·euses de l’industrie du Myanmar, le plus grand syndicat de travailleur·euses de l’habillement du pays, exige que les marques et les fournisseurs dénoncent publiquement le coup d’État et n’acceptent qu’aucun travailleu·euse fabriquant leurs vêtements ne soit sanctionné·e ou licencié·e pour avoir participé au mouvement de désobéissance civile. Vous trouverez ci-dessous une liste de marques ayant des activités au Myanmar :
Adidas (Allemagne)
Aldi Nord (Allemagne)
Benetton (Italie)
Bestseller (Danemark)
C&A (Pays-Bas/Allemagne)
Calvin Klein (États-Unis)
Columbia Sportswear (États-Unis)
Groupe Cotton On (Australie)
La mariée de David (États-Unis)
Eddie Bauer (États-Unis)
Fruit of the Loom (États-Unis)
Gap (États-Unis)
H&M (Suède)
Hunkemoller (Pays-Bas)
Inditex (Espagne)
Itochu (Japon)
JCPenney (États-Unis)
Justin Alexander (États-Unis)
Kappahl (Suède)
Le Coq Sportif (France)
Lidl (Allemagne)
Lindex (Suède)
Mangue (Espagne)
Marks & Spencer (Royaume-Uni)
Matalan (Royaume-Uni)
Mizuno (Japon) Muji (Japon)
New Look (Royaume‑i)
Suivant (Royaume-Uni)
OVS (Italie)
Primark (Royaume-Uni)
Sportira 1998 (Canada) Tally Weijl (Suisse)
Tchibo (Allemagne) Tesco (Royaume-Uni)
VF (Face Nord) (États-Unis)
Wilson Sporting Goods (États-Unis)