Il ne fait aucun doute que Hugo Chavez, président du Venezuela est la cible numéro un sur la liste des ennemis de l’USAID
L’expulsion de l’USAID a été un développement bienvenu et longtemps attendu. Moscou avait alerté ses partenaires américains par toute une gamme de canaux de communication que la tendance de l’USAID à interférer avec les affaires intérieures russes était inacceptable et, particulièrement, que le radicalisme de ses pseudo-ONG dans le Caucase ne serait plus toléré. Lorsque la décision du gouvernement russe prendra effet le 1er octobre, le personnel de l’USAID basé à Moscou, qui avait constamment ignoré ces signaux, devra déménager vers d’autres pays subissant des allégations de pouvoir autoritaire… En Amérique latine, l’USAID s’est faite depuis longtemps la réputation d’une organisation dont les bureaux constituent, dans les faits, des centres d’espionnage œuvrant à la déstabilisation de gouvernements légitimes dans un certain nombre de pays du continent. L’’hébergement par l’USAID de membres de la CIA et du renseignement militaire américain n’est pas profondément dissimulée, ces derniers semblant avoir joué un rôle dans la totalité des coups d’État sud-américains, en fournissant un soutien financier, technique et idéologique aux oppositions respectives. L’USAID recherche également toujours une association avec les forces armées et de police locales, recrutant parmi elles des agents prêts à prêter main forte à l’opposition lorsque l’opportunité surviendra.
À divers degrés, tous les leaders populistes d’Amérique Latine ont senti la pression de l’USAID. Il ne fait aucun doute que Hugo Chavez, président du Venezuela est la cible numéro un sur la liste des ennemis de l’USAID. Le soutien aux opposants du régime dans le pays s’est considérablement réduit depuis les manifestations massives de protestation de 2002 – 2004, tandis que le gouvernement se recentrait sur les questions socioéconomiques, la santé, le logement et les politiques pour la jeunesse. L’opposition a du se baser davantage sur des campagnes dans les médias, dont environ 80% sont tenus par le camp anti-Chavez. Des rumeurs visant à provoquer la panique à propos de ruptures imminentes de la distribution de nourriture, des rapports exagérés sur le niveau de la criminalité au Venezuela (où en réalité le crime est moins développé que dans la plupart des pays amis des USA), et des allégations sur l’incompétence du gouvernement en réponse à des désastres technologiques, qui comme par hasard devinrent de plus en plus fréquents au fur et à mesure que les élections se rapprochaient, ont été diffusés en tant que volets d’un scénario de subversion impliquant tout un réseau d’ONG vénézuéliennes. Dans certains cas, le personnel de ces dernières peut se limiter à 3 – 4 personnes mais, associées à un fort soutien médiatique, cette opposition peut devenir une force considérable. Les commentateurs pro-Chavez craignaient que les agents d’USAID ne contestent le résultat du scrutin et que, simultanément, des groupes paramilitaires ne plongent les villes vénézuéliennes dans le chaos, afin d’offrir un prétexte à une intervention militaire américaine.
Il est notoire que l’USAID a contribué au récent coup d’État raté en Équateur, au cours duquel le président R. Correa a échappé de peu à une tentative d’assassinat. Des forces de police d’élites massivement sponsorisées par les USA et les médias, profitant des lois sur la liberté d’expression pour diffamer Correa, ont été les acteurs clés de ces évènements. Cela a forcé Correa à de sérieux efforts pour qu’un nouveau code des médias soit approuvé par le parlement, afin de contrer l’opposition motivée par l’USAID.
Plusieurs tentatives d’éjection du gouvernement d’Evo Morales ont clairement utilisé le potentiel des agents de l’USAID postés en Bolivie. Selon la journaliste et auteure Eva Golinger, l’USAID a déversé au moins $85m pour la déstabilisation du régime de ce pays. Initialement, les USA espéraient atteindre leur objectif en entrainant des séparatistes du district de Santa Cruz, à majorité blanche. Lorsque ce plan a échoué, l’USAID a alors tenté de séduire les communautés indiennes, avec lesquelles des ONG spécialisées dans l’écologie avaient commencé à établir des contacts quelques années auparavant. Une désinformation a été diffusée auprès des Indiens, les désorientant à propos de la construction d’une voie express dans leur région qui aurait exproprié leurs communautés, et les marches de protestation des Indiens vers la capitale qui s’ensuivirent ont entamé le prestige public de Morales. Il a récemment été révélé que ces marches, y compris celles mises en scène par le groupe TIPNIS, ont été coordonnées par l’ambassade américaine. Ce travail a été réalisé par le cadre de l’ambassade Eliseo Abelo, directeur de l’USAID pour la population indigène bolivienne. Ses conversations téléphoniques avec les leaders de la marche ont été interceptées par l’agence de contre-espionnage bolivienne puis rendues publiques, forçant Abelo à fuir le pays tandis que la représentation diplomatique américaine en Bolivie protestait contre les écoutes téléphoniques.
En juin 2012, les ministres des affaires étrangères des pays du bloc ALBA ont voté une résolution sur l’USAID disant : « En évoquant la planification et la coordination de l’aide à l’étranger comme prétexte, l’USAID interfère ouvertement avec les affaires intérieures de pays souverains, sponsorisant des ONG et activités de protestation visant à déstabiliser des gouvernements légitimes non favorables au point de vue de Washington. Des documents rendus publics par les archives du Département d’État américain prouvent qu’un soutien financier a été fourni à des partis et groupes d’opposition aux gouvernements des pays de l’ALBA, une pratique assimilable à de l’interférence non dissimulée et audacieuse pour le compte des USA. Dans la plupart des pays l’ALBA, l’USAID fonctionne via son large réseau d’ONG, qui opèrent en-dehors du cadre légal, et financent des médias et groupes politiques de façon également illicite. Nous sommes convaincus que nos pays ne nécessitent pas de soutien financier étranger pour maintenir la démocratie établie par les pays d’Amérique latine et des Caraïbes, ni d’organisations guidées de l’étranger qui s’efforcent d’affaiblir ou marginaliser nos institutions gouvernementales ». Les ministres ont appelé les gouvernements de l’ALBA à expulser immédiatement les représentants de l’USAID ayant menacé la souveraineté et la stabilité politique des pays où ils sont en poste. Cette résolution a été signée par la Bolivie, Cuba, L’Équateur, la République Dominicaine, le Nicaragua et le Venezuela.
Paul J. Bonicelli a été confirmé en mai dernier par le Sénat américain comme administrateur assistant de l’USAID pour l’Amérique Latine et les Caraïbes. L’ex-président de l’USAID Mark Feuerstein s’est acquis une telle notoriété en Amérique Latine, en tant que cerveau derrière l’expulsion des dirigeants légitimes du Honduras et du Paraguay, que les responsables politiques du continent ont tout simplement appris à l’éviter. La crédibilité de l’USAID s’effondre rapidement, et il est peu probable que Bonicelli, à la fois PhD et conservateur, sera capable de renverser cette tendance. Son bilan comprend la direction de nombreuses divisions de l’USAID et la « promotion de la démocratie » de concert avec le US National Security Council.
Les opinions de Bonicelli se reflètent dans ses articles pour le Foreign Policy journal. Pour Bonicelli, Chavez n’est pas un démocrate mais un leader qui entend se débarrasser de tous ses opposants. Le nouveau patron de l’USAID soutient que, à part la lutte contre la drogue, Chavez – ayant inspiré d’autres populistes en Équateur, Bolivie et Nicaragua – constitue la plus grande menace pour les intérêts américains en Amérique Latine. Bonicelli incite donc fortement les USA à promouvoir l’opposition vénézuélienne par tous les moyens possibles, en fournissant une aide matérielle et de la formation, de façon à ce qu’elle prenne part de façon maximale aux élections et à la société civile.
Un autre article de Bonicelli présente l’évolution actuelle de la Russie comme une sinistre régression, et une évolution vers un « néo-tsarisme ». De ce point de vue, Bonicelli prétend que l’Ouest devrait tenir la Russie et ses dirigeants comme responsables de tout ce qui concerne la liberté et la démocratie – même si la liberté dans le pays n’est importante que pour une poignée de personnes – et cite le cas de la Pologne où les Américains ont aidé Lech Wałęsa.
Les chances qu’une réforme de l’USAID restaure sa crédibilité en Amérique Latine sont bien maigres. En se concentrant sur certaines priorités, l’USAID a supprimé quelques programmes mineurs et fermé ses bureaux au Chili, en Argentine, Uruguay, Costa Rica, et Panama, et prochainement au Brésil. L’USAID suppose que les pays susnommés sont déjà dans une situation raisonnable et ne nécessitent plus d’assistance, l’agence pouvant désormais se tourner contre ses principaux ennemis – les populistes et Cuba, et œuvrer de son mieux pour que les politiques non favorables à Washington soient éliminés dans tout l’hémisphère occidental. Le budget officiel de l’USAID pour l’Amérique Latine est de $750m, mais des estimations indiquent que la part secrète du financement, gérée par la CIA, pourrait être du double.