ZIN TV face au mythe d’internet

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L’internationale des « citoyens » internautes peut-elle renverser les « mastodontes » qui tiennent le téléspectateur « isolé » ? C'est ce que suggère Ignacio Ramonet dans son dernier livre, "l'explosion du journalisme".

LExplosionDuJournalisme-55d54.pngDans son der­nier livre [[« L’explosion du jour­na­lisme » Igna­cio Ramo­net. Edi­tions Gali­lée. L’objet du livre n’est pas l’audio visuel mais l’impact de la « météo­rite Inter­net » sur la presse écrite et le métier de jour­na­liste. Nous ne limi­tons pas les pro­pos de l’ancien direc­teur du monde diplo­ma­tique à ces quelques phrases, mais cet énon­cé nous semble inté­res­sant à dis­cu­ter.]] Igna­cio Ramo­net écrit : « Aujourd’hui, quand on parle d’internautes, il ne s’agit pas d’individus iso­lés, mais de citoyens fai­sant par­tie d’un orga­nisme vivant plu­ri­cel­lu­laire pla­né­taire. Ce for­mi­dable essaim de réseaux peut deve­nir, quand il réagit à l’unisson, plus impor­tant à la limite que des mas­to­dontes comme TF1, la BBC ou CNN réunis. Il suf­fit de voir à quelle vitesse expo­nen­tielle se déve­loppent les sites com­mu­nau­taires ». [[Ouvrage cité page 18]]

L’internationale des « citoyens » inter­nautes peut ren­ver­ser les « mas­to­dontes » qui tiennent le télé­spec­ta­teur « iso­lé », nous dit l’ancien direc­teur du Monde Diplo­ma­tique. Accep­tons l’augure mais ce dis­cours « d’espérance », même s’il place la lutte sociale en son sein, est pétri d’idéalisme.

Ramo­net dote Inter­net de super pou­voir poli­tique. Le nou­veau médium semble avoir la capa­ci­té par sa dyna­mique propre redis­tri­buer les cartes poli­tiques en faveur des « citoyens ». Pour­tant rien ne per­met de pla­cer la « télé » du côté de la repro­duc­tion et des oli­gar­chies (les pro­prié­taires) et « Inter­net » du côté de l’innovation et de la citoyen­ne­té (les usagers).

L’i­dée à l’oeuvre dans ce type de dis­cours c’est que la “télé” et “Inter­net” sont des « ins­tru­ments » que des camps pour­raient s’ap­pro­prier et uti­li­ser à leur fin. Elle des­sine un face à face abs­trait entre « une com­mu­nau­té de citoyens » pla­né­taire et une « com­mu­nau­té d’industries ».[[Bouygues, action­naire à 43% de TF1 est le qua­trième four­nis­seur d’accès Inter­net en France, CNN est pro­prié­té de Time War­ner dont AOL fut une filiale jusqu’en 2009.]] La méta­phore de la résis­tance « trans­na­tio­nale » natu­ra­lise un phé­no­mène qui ne l’est pas et esca­mote les contra­dic­tions et les dis­sy­mé­tries réelles entre les « internautes ».

Au final, Ramo­net éva­cue un acteur essen­tiel de la lutte idéo­lo­gique à savoir les Etats et ain­si les contextes locaux concrets dans les­quels s’inscrivent ces résis­tances citoyennes. Omettre la réa­li­té des Etats Nations c’est perdre une occa­sion de pen­ser les contra­dic­tions qui les tra­vaillent dans le cadre de la mon­dia­li­sa­tion. La situa­tion des « médias com­mu­nau­taires » dans l’Union Euro­péenne n’est par exemple pas la même qu’en Amé­rique Latine. [[Où en sommes nous aujourd’hui en Bel­gique avec les « télés com­mu­nau­taires » ? Un décret belge de 1976 parle d’éducation per­ma­nente : trans­fé­rer au citoyen le pou­voir de créer de l’information en groupe était et reste l’obligation des télé­vi­sions com­mu­nau­taires. Quels sont les moyens mis en œuvre pour les « télés com­mu­nau­taires » ? Quels sont les par­tis poli­tiques qui s’emparent de ce sujet ? Depuis octobre 2009, l’Argentine a par­ta­gé en trois parts égales le spectre hert­zien. Cette légis­la­tion met sur le même pied d’égalité le pri­vé, le public et le com­mu­nau­taire : une manière comme une autre de frei­ner la concen­tra­tion des capitaux.]]

Nous pen­sons avec Jean Marie Piemme que « si l’on veut pro­duire une connais­sance, il faut faire dis­pa­raître les objets Inter­net et télé­vi­sion dans leur uni­té fac­tice pour prendre en compte les manières contra­dic­toires dont la lutte des classes y ins­crit ses effets ». [[« La télé­vi­sion comme on la parle » Jean Marie Piemme, édi­tion Labor, page 124, la cita­tion exacte est « Il existe bien un objet empi­rique nom­mé télé­vi­sion. Mais si l’on veut pro­duire sur celui-ci une connais­sance, il faut faire dis­pa­raître l’objet empi­rique dans son uni­té fac­tice pour prendre en compte les manières contra­dic­toires dont la lutte des classes y ins­crit ses effets ».]]

Si Inter­net en tant qu’espace mer­can­tile modi­fie la donne infor­ma­tion­nelle et l’équilibre des forces à l’intérieur du champ jour­na­lis­tique, c’est prin­ci­pa­le­ment du fait de cadres juri­diques encore mal défi­nis et de la bonne volon­té des membres de sites asso­cia­tifs. Mais la conju­gai­son de ces deux phé­no­mènes ne situe pas for­cé­ment « Inter­net » du côté de la nou­veau­té. Ce n’est pas sur la bonne foi des cyber-jour­na­listes et leurs géné­reuses inten­tions qu’un pro­jet com­mu­nau­taire se struc­ture à moyen ou long terme. Les vieux mythes huma­nistes s’accommodent aus­si bien avec la contes­ta­tion « glo­bale » et la haute tech­no­lo­gie que le conser­va­tisme moral avec l’ultra-libéralisme.

Un accès « gra­tuit » à l’information n’est pas une garan­tie suf­fi­sante de liber­té et de plu­ra­li­té. Der­rière les infor­ma­tions « gra­tuites » de nom­breux sites, il y a l’acteur publi­ci­taire qui « paye ». L’information se doit d’y être atti­rante, l’article en ligne doit créer un sus­pense suf­fi­sant pour que le lec­teur avide de la « suite » clique sur le lien et entre dans la bou­tique. Un mar­ché de l’information ain­si struc­tu­ré fait du jour­na­liste « Inter­net » un rabat­teur et appelle à un mélange des genres dont les recettes sont plus vieilles que la télé elle-même.

Si nous ne vou­lons pas connaître le sort de tant de « radio libres », deve­nues sou­vent « radio libé­rales » envi­sa­geons « Inter­net » non comme un « ins­tru­ment » à conqué­rir ou à libé­rer, mais comme un nou­vel espace de lutte où des alliances « inter­na­tio­nales » doivent se nouer sur la base d’un pro­jet qui pour nous, arti­cule néces­sai­re­ment for­ma­tion et diffusion. 

L’élaboration d’un pro­gramme télé ou un sémi­naire sont l’occasion d’une éla­bo­ra­tion citoyenne. La fabri­ca­tion d’une émis­sion signi­fie ren­contre avec, pen­dant et après sa dif­fu­sion car l’émission en tant que pro­duit n’est pas l’objectif.

« Il n’est guère pos­sible de géné­rer un intel­lec­tuel col­lec­tif et de nou­velles formes d’in­ter­ven­tion dans l’es­pace public sans l’al­ler-retour entre pra­tique et tra­vail de for­ma­li­sa­tion théo­rique. » [[“Pour un regard Monde” Armand Mat­te­lard. La Décou­verte. page 270.]]

ZIN TV, octobre 2011