Justice est-elle faite ?

W.Bush, Tony Blair et Barack Obama ont, eux aussi, du sang sur les mains... Par Paul Delmotte

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Tout d’abord, une pré­ci­sion qui semble bien néces­saire à pro­pos d’un sujet per­çu avec tant de mani­chéisme. Ossa­ma Ben Laden porte bien la res­pon­sa­bi­li­té pre­mière du crime contre l’Humanité com­mis par ses com­parses le 11 sep­tembre 2011 aux États-Unis. De même que ceux qui lui ont été attri­bués par la suite à Londres et à Madrid. Par ailleurs, et bien que se récla­mant d’une inter­pré­ta­tion ultra-rigo­riste de l’islam, l’homme et ses par­ti­sans ont cau­sé la mort de plus de musul­mans que de « croi­sés et de juifs » comme il se plai­sait à décrire Occi­den­taux et Israé­liens, dans sa vision du monde que l’on pour­rait qua­li­fier de « racialo-religieuse ».

Ceci étant pré­ci­sé, peut-on cla­mer, comme l’a fait Barack Oba­ma, que « jus­tice est faite » ? 

Il me semble qu’une réponse ins­truc­tive à cette ques­tion consiste à en poser une autre. Com­ment auraient réagi des mil­lions de per­sonnes si un com­man­do – au choix ira­kien, afghan ou pakis­ta­nais – avait, hier, assas­si­né G.W.Bush à la Mai­son blanche ou Tony Blair au 10, Dow­ning Street ? Ou si demain, Barack Oba­ma – grand ordon­na­teur d’attaques de drones qui font des cen­taines de vic­times civiles dans les Zones tri­bales pakis­ta­naises – était abat­tu dans cette même Mai­son blanche ? 

Car ces trois hommes ont, eux aus­si, du sang sur les mains. Et très vrai­sem­bla­ble­ment plus encore que celui qu’a fait ver­ser Ben Laden. Ver­rions-nous avec la même com­pré­hen­sion des foules ira­kiennes, pakis­ta­naises ou afghanes, leurs vic­times, dan­ser dans les rues pour célé­brer leur dis­pa­ri­tion ? Aurions-nous la même man­sué­tude pour ce qui est bel et bien un assas­si­nat et un acte de ven­geance poli­tiques per­pé­trés dans une guerre oppo­sant un ter­ro­risme d’État à un ter­ro­risme de groupe ? Comme le disent des amis fla­mands : « la guerre est du ter­ro­risme avec un gros bud­get »… Assas­si­nat parce que depuis belle lurette, divers res­pon­sables éta­su­niens ont décla­ré qu’il n’était pas ques­tion de cap­ture ou d’un pro­cès de Ben Laden. Rien ne per­met à l’heure actuelle de glo­ser sur les condi­tions de l’opération du 1er mai à Bot­ta­bad. Ni de jurer que cet homme de 57 ans et que l’on dit fort malade depuis des années, a vrai­ment « résis­té » à l’assaut de dizaines d’hommes, sur­ar­més mais appa­rem­ment inca­pables de l’immobiliser ; ou s’il s’est agi d’une exé­cu­tion pure et simple, sui­vie de la dis­pa­ri­tion d’un cadavre qui aurait peut-être pu « par­ler ». Tout comme un Ben Laden vivant et pas­sant en jus­tice aurait pu s’avérer fort embar­ras­sant : n’était-il pas un pro­duit de la CIA ? 

Or, consta­tons que ce type d’acte – qui jure avec tous les prin­cipes et valeurs de res­pect de la per­sonne humaine que nous nous hono­rons de ché­rir et que nos diri­geants se targuent de faire appli­quer de par le monde – « passe » sans trop de pro­blèmes dans les consciences : il y a là, je le crains, une dan­ge­reuse évolution.
Certes, nous ne déplo­re­rons pas la mort de Ben Laden. Comme ne le pleu­re­ra pas une grande majo­ri­té d’Arabes et de musul­mans qui n’oublie pas les « vic­times col­la­té­rales » des atten­tats d’Al-Qaïda. Et qui n’a jamais appré­cié ni sa vision ni ses méthodes que d’aucuns pour­tant ont vou­lu nous pré­sen­ter comme une éma­na­tion de l’islam. Car, il faut le rap­pe­ler encore et encore : ce n’est pas l’islam qui « fabrique » les Ben Laden, mais un ordre du monde inique et humi­liant pour la majo­ri­té des déshé­ri­tés. Un ordre que des mil­lions d’êtres humains ont vou­lu, depuis le XIXe siècle – et vou­dront peut-être demain – com­battre et jeter bas en misant sur la fra­ter­ni­té entre les êtres humains. Ce n’était certes pas là la vision de Ben Laden, mais sa rage meur­trière décou­lait pro­ba­ble­ment de constats simi­laires, même s’il en voyait la « solu­tion » dans sa religion.

Or, ce monde inique et humi­liant est tou­jours bien en place.
Et ce sont ceux-là qui en béné­fi­cient le plus et se dédient à le main­te­nir et à le confor­ter qui nous disent que « jus­tice est faite » ! 

Paul DELMOTTE
Pro­fes­seur de Poli­tique internationale
IHECS- Bruxelles