par Robin Dereux
La position de Johan van der Keuken par rapport au genre documentaire ne peut pas se résumer en une phrase. Elle est complexe, variable selon les époques, et lui-même donne régulièrement l’impression d’entretenir une certaine ambiguïté par rapport à cette question. D’autre part, on sent bien que ce qu’il expose dans les entretiens avec la presse repose largement sur des malentendus et sur l’attente de son interlocuteur. Les historiens y verront peut-être une attitude paradoxale : van der Keuken critique souvent le genre mais inscrit aussi ses films dans des “festivals documentaires”. S’il cite souvent en référence des cinéastes emblématiques (Leacock par exemple), et d’autres qui ont pu, à un moment ou à un autre, être assimilés au “documentaire”, bien que leur travail transcende les genres (comme Ivens ou Rouch), il se réfère au moins autant à des cinéastes de fiction (Hitchcock, Resnais), et parfois également à des cinéastes expérimentaux (Jonas Mekas, Yervant Gianikian et Angela Ricci Luchi). Tout est donc question de point de vue, et van der Keuken donne souvent l’impression, dans ses textes et entretiens, de ménager les différentes interprétations. Son attitude, à la fois volontaire et douce, l’amène parfois au sentiment d’être incompris, quand la distance est trop grande entre sa recherche et les questions qui lui sont posées. Il ne lui reste alors plus qu’à répéter toujours la même phrase : “on ne peut pas se contenter d’une description primaire du réel”, que l’on peut interpréter comme une mise en garde contre l’assimilation trop rapide à un genre avec lequel il se débat. Interrogé par Laure Adler pour “Le Cercle de Minuit”, il ajoutait : “le documentaire est porté par la fiction, mais il se voit dans l’obligation d’être un travail d’artiste”1.
L’ambiguïté de son propos tient aussi au fait qu’il fait constamment référence à la vie réelle, bien que ce soit dans une perspective largement différente du travail courant en documentaire. Mais il emploie souvent le terme. Il évoque, à propos de ses films, des “phases documentaires” (à propos de Sarajevo Film Festival Film : “Ça devient très documentaire : comment cette étudiante arrive à survivre, à essayer de travailler, à essayer de vivre l’art, de vivre l’imaginaire, etc”2), des “moments documentaires” (“Le moment documentaire, c’est le moment où les choses s’échappent”), des “documentaires” (à propos de la conversation entre la femme juive et son fils dans Amsterdam Global Village : “là, de façon plus essentielle, il y a un documentaire”3). Pour compliquer le tout, il emploie encore le mot pour établir une différence d’approche entre ses films plus improvisés (ses “documentaires”) et ses films les plus préparés (qu’il nomme “artificiels”).
Dans Vacances prolongées (2000), le commentaire en voix off évoque encore cette question, sans que l’on établisse immédiatement s’il se situe en phase ou en lutte contre ce genre : “dans les documentaires, on montre rarement les déplacements. Filmer le monde est inconcevable sans voler ou rouler sans cesse. C’est un passe-temps très polluant”. Son film étant constitué d’une grande quantité de déplacements, il s’inscrit dans un premier temps à l’encontre du travail de “documentariste” qu’il décrit. Mais en même temps il en parle, il y revient, comme pour mieux montrer qu’il n’y est pas indifférent. Cette réflexion est révélatrice de l’attitude de van der Keuken sur cette question, et qui consiste à s’arc-bouter sur une opposition à un genre pour que ses films puissent exister. En plagiant Guitry on pourrait donc écrire que van der Keuken est “contre le documentaire, tout contre”.
Un historique de ses propos montre qu’à ses débuts, van der Keuken n’envisage pas la conception de ses films en terme de “documentaire”. Il ne le mentionne dans aucun texte des années 60, et son propos construit une réflexion qui inscrit ses films dans la dynamique de l’art contemporain, dont il reprend en particulier les préoccupations autour du problème de la représentation. Pour van der Keuken, il ne s’agit pas alors de représenter mais de créer un espace. La réalité ne peut pas être fixée telle quelle sur la pellicule. On le voit, ce n’est pas l’attitude qu’avaient choisi les adeptes du Cinéma Direct. Pour éviter les confusions, van der Keuken est donc amené à se justifier. Il affirme en voix off à la fin du film Herman Slobbe, L’Enfant aveugle 2 : “Herman est une forme, au revoir chouette petite forme”. Par cette phrase, il s’insurge contre la conception naturaliste du réel dans le cinéma : Herman dans le film n’est pas un être réel ; il n’est qu’une forme sur un écran4. A la fin des années 60, van der Keuken est amené à préciser sa position sur cette question et il affirme, dans la revue Vrij Nederland : “L’Esprit du Temps n’est pas un documentaire concernant un groupe circonscrit”5. De nombreux textes traversent sa conception du film envisagé en tant qu’espace, qui martèlent ce qui lui semble évident. En juillet 1969, il finit par écrire : “il ne s’agit pas de démontrer que quelque chose est comme ci ou comme ça. Il s’agit de démontrer comment c’est, comment c’est d’être dans un espace donné, comment c’est d’être dans un espace donné”6. En somme, il lui faut répéter ses propos, les souligner, les mettre en exergue afin sans doute d’être un jour mieux compris.
Néanmoins, c’est par le développement du cinéma documentaire que van der Keuken se fait connaître, ainsi que l’avait prévu Serge Daney. Cette comparaison constante avec le Cinéma Direct, alors en plein essor, est à la fois embarrassante pour van der Keuken (comment amener le spectateur à réfléchir sur la perception des images si les images sont vues comme représentatives du réel?) et en même temps elle lui permet de s’adapter à cette contrainte en jouant sur les nouvelles attentes du spectateur. En 1978, interrogé par les Cahiers du cinéma, il exprime ce paradoxe : “un des problèmes que je rencontre pour faire connaître mes films c’est cette opposition : documentaire/fiction. Moi, fondamentalement, je crois que tout film consciemment travaillé au niveau de la forme est un film de fiction”7. Mais dans le même entretien, il dit : “j’essaie d’accentuer cette ambivalence du documentaire, que le matériel tourné est toujours documentation de ce qui s’est passé sur place”8.
Dix ans plus tard, on peut remarquer les évolutions de langage. Puisque l’approche des films par le concept de “documentaire” a tendance à se généraliser, van der Keuken évoque maintenant régulièrement les siens par ce biais, même s’il y ajoute de nombreuses précautions oratoires. Il utilise le mot pour évoquer ceux de ses films qui commencent avec “une expérience immédiate de la réalité” et qui débouchent sur “le caractère irréel de celle-ci”9.
Pour mettre en avant ses singularités, on lui propose donc des débats avec les grandes figures du documentaire. Lors de sa discussion avec Frederic Wiseman10 , il commence par établir sa différence (“le réel est impossible à médiatiser à l’état brut”), puis exprime ses ambitions (“je recule les limites du cinéma documentaire jusqu’à l’expérimental”), mais revient finalement sur ses points communs avec le Cinéma Direct (“comme Leacock je tourne des choses très directes…”). On sent que peu à peu, il se laisse (en partie) séduire par cette approche : “L’idée de production du réel est quelque chose de très fort. J’ai tendance à en reconnaître plus l’existence, alors que pendant un certain temps ça me gênait, j’avais tendance à en diminuer l’importance. Il est vrai que la critique nous enferme souvent dans une sorte de Ghetto du réel. Mais cette fascination reste devant l’idée du réel, de faire du réel”11 . Il continue néanmoins, texte après texte, entretien après entretien, à essayer de faire entendre son propre cheminement. Questionné par André Pâquet (“Pourquoi continuez-vous à faire du documentaire?”), il répond : “Le documentaire, genre arbitrairement défini, peut justement trouver une définition plus forte, plus créative, s’il est perçu comme le terrain où l’Art peut agir de la manière la plus percutante”12 . On voit bien, dans ce numéro de la revue Lumières où la même question a été posée à plus de cinquante réalisateurs de films, que le point de vue de van der Keuken reste très marginal dans la communauté des cinéastes. Pour lui, avant toute chose, il ne s’agit pas de rendre compte d’une réalité extérieure. Et il critique la position de soi-disant objectivité recherchée (entre autres) par Jacques Godbout : on ne peut pas rendre compte, même avec “respect”, de la réalité.
Dans les années 90, les réponses que fait van der Keuken sur la question de l’inclusion ou non de ses films dans le genre documentaire varient entre l’agacement, l’irritation, l’exaspération, et la recherche de nouvelles définitions visant à faire émerger de nouvelles catégories, une autre manière de penser la classification des films. Mais il faut bien l’avouer, très peu de ses idées sont reprises par les critiques et les théoriciens du film. Il exprime souvent l’idée de documenter la seule présence physique (“je me fiche du documentaire au sens de documenter quelque chose, mais ce qu’on documente au fond, c’est une présence physique”13 ), remet en cause la notion de vérité des images (“toute mon idée est que le soi-disant filmage-vérité, le filmage du réel au premier degré existe très peu. La vérité d’un personnage, d’un personnage vrai, c’est finalement les choix conscients ou inconscients qu’il opère pour faire cette auto-mise en scène instantanée”14 ), exprime son désarroi face à l’appréhension immédiate de la réalité (“le problème avec des mots comme “le réel” ou même “documentaire” est qu’on les utilise parce qu’on n’en a pas d’autres, mais il faut les mettre entre guillemets, et moi je suis très fortement du côté des guillemets”15 ).
Mais dans le même temps il envisage l’existence d’une “méthode documentaire” (“je ne crois pas au documentaire comme un genre très spécifique, je crois au cinéma, mais je crois peut-être à une méthode documentaire”16 ), tout en faisant remarquer qu’il vaut mieux le comparer à Kramer qu’à Wiseman (“Wiseman compose une histoire, moi j’en compose mille”17 “Cinéaste migrateur”, Les Inrockuptibles n° 129, du 3 au 9 décembre 1997, p.35./efn_note] ).
A chaque fois, il en profite pour tenter de mettre en avant l’originalité de ses films : la “structure” ou la “composition”. Les questions reviennent, comparables d’un entretien à l’autre, et van der Keuken affine ses réponses. Lorsqu’on lui demande ce qui différencie la fiction du documentaire, il avance que “les gens que l’on voit dans le film continuent à vivre en dehors du film”; et il suggère qu’il y aurait un grand intérêt à mettre en avant le critère de l’improvisation : “les catégories de film improvisé et de film totalement prémédité sont plus valables que les catégories de documentaire et de fiction”18.
L’improvisation, pour van der Keuken, est liée à son attirance pour le free jazz. Ses propos établissent fréquemment ce rapprochement. Mais un spectateur attentif aurait déjà remarqué que van der Keuken pouvait appréhender la caméra comme un instrument de musique. D’ailleurs, dans les génériques de ses films, les instrumentistes apparaissent au même niveau : “Saxophone : Willem Breuker, caméra : Johan van der Keuken”. Au fond, comme il l’exprimait en 1998, le rapport à la réalité est important, mais pas dans le sens de l’immédiateté : “ce qui importe, c’est qu’on ne doit pas penser que tout est vrai. Au contraire, il faudrait penser que, en principe, tout est faux. Et là, peut-être distiller ce petit moment de vrai, qui est important là où le scénario est brisé”19 .
Le rapport qu’entretient van der Keuken avec le Cinéma Direct se révèle donc ambigu. Curieusement dans les années 70, il se rapproche souvent de l’idée d’émergence d’une vérité par la parole, en s’appuyant pourtant sur le principe du “non-savoir”. C’est dans la revue d’art montréalaise Parachute qu’il s’en explique en 1978 : puisqu’il est impossible de tout savoir d’un sujet, “on peut en tirer une conséquence politique : on ne peut pas juger à la place de l’autre. Alors chacun doit avoir la parole. Pour moi, c’est logique”20 . C’est autour de cette démarche qu’il construit les films du milieu des années 70 (Les Palestiniens, Printemps). Mais cela ne l’empêche pas de critiquer la même année dans les Cahiers du cinéma le film des frères Maysles Gray Gardens (1975), en particulier par le sentiment de durée qu’il provoque. Une des qualités du cinéma de van der Keuken réside néanmoins dans ce qu’il a pu appeler “le Comment” ou “le Comment du monde”. C’est ainsi qu’il se souvient du grand classique de Flaherty Nanouk L’Esquimau, qu’il a vu en vacances à l’âge de douze ans. Il évoque ce film en 1990 comme “une histoire réelle”, mais surtout comme “l’éveil de l’attention sur le comment du monde”21 . Il cite souvent Nanouk comme “un moment inoubliable”22 . Il y a sans doute chez van der Keuken une propension à être particulièrement touché par les images de la vie présentées comme “réelles”. Peut-être que sa première expérience de cinéma a pu jouer dans ce domaine. C’était à Utrecht, pendant les années de guerre : un wagon-cinéma stationné dans la gare diffusait des images d’actualités. Van der Keuken a souvent raconté son émotion devant un tel spectacle. Pourtant c’est en opposition presque complète avec ce genre qu’il forgera ses propres films. Pour lui —et c’est la grande force de ses films— il faut “réintroduire de l’incertitude”23 . Si le documentaire classique se base sur un postulat de vérité objective, ses films fonctionnent à l’opposé : l’important est de “ne pas croire aux images, les prendre comme des vecteurs de l’imaginaire”24.
Van der Keuken évite dans ses films les poncifs du cinéma documentaire. Au balayage du champ, il préfère la construction d’un espace par discontinuités, par sauts “d’un côté à l’autre pour faire le rapport entre les gens. Je monte un espace où ils sont”, dit-il, “où ils se rencontrent”25 . Dans ses films, l’explicatif est souvent restreint, pour ne pas dire inexistant (mis à part les commentaires politiques, où là, au contraire, tout est démontré). Mais d’une façon générale, le commentaire ne vient jamais d’en haut et il se signale comme tel, il ne donne pas sens aux images. En 1981, Luc Dardenne expliquait justement que cette caractéristique des films de van der Keuken l’avait beaucoup touché parce qu’elle était très novatrice par rapport au fonctionnement habituel du documentaire26 . Van der Keuken travaille contre l’idée répandue (en particulier par le Cinéma Direct américain) de non-intervention sur la réalité. Il s’est souvent insurgé contre cette morale, contre ce qu’il a appelé “l’idéologie du Cinéma Vérité”. Il y a aussi, dans son approche, un certain refus du “devoir de moralité”. Il a souvent dénoncé le “monopole des bons sentiments” du documentaire. Si la culpabilité joue aussi dans les films de van der Keuken, c’est à un autre niveau. On ne retrouve pas la culpabilité de “voler des images”, tellement présente chez un cinéaste comme Depardon par exemple. Par contre, filmer un enfant aveugle lui pose d’autres problèmes : comment rendre compte à un non-voyant du travail qu’il a fait dans le film ? Mais ceci rejoint justement l’un des pôles de sa philosophie : plutôt que “documenter”, considérer le film comme un lieu d’échanges, de partage, de complicité avec la personne filmée.
Van der Keuken ne pratique pas pour autant l’approche ethnographique. S’il a souvent parlé de l’influence des films de Rouch sur son travail (Moi, un Noir, ou La Chasse au lion à l’arc), il résiste à plusieurs aspects de cette approche. En particulier à la nécessité de partager la vie des personnes filmées (“je ne suis pas de ceux qui vont vivre chez les gens pendant six mois. J’ai l’impression que c’est souvent de la frime”27). Il refuse l’illusion que l’on peut étudier le monde d’une façon scientifique et le comprendre. Même Cuivres débridés, film dont l’étude préliminaire a été réalisée par un ethnologue, travaille d’une manière anti-ethnologique. En octobre 1997, il déclarait : “je suis un peu méfiant vis-à-vis de l’approche ethnologique qui veut qu’on soit toujours juste par rapport aux choses, par rapport aux cultures (…) Je travaille contre l’ethnographie. C’est toujours au moment où le modèle se brise, où la représentativité ne fonctionne plus que ça devient intéressant. À mi-chemin entre quelque chose de représentatif et quelque chose qui ne l’est pas du tout”28 .
Dans les films de van der Keuken, les paradoxes s’affirment : tout est vrai. C’est la vérité du corps en mouvement, la vérité du combat de chaque individu pour vivre, etc. Et tout est faux : la force du faux est telle que s’effacent les catégories distinctives du vrai et du faux, du réel et de l’imaginaire. Van der Keuken travaille la “fictionalisation de l’image”: il joue le réalisme des images contre leur forme et montre ainsi leur valeur relative. Un film de van der Keuken reste hétérogène, il semble se constituer sous les yeux du spectateur, qui n’est pas seulement témoin, comme dans la plupart des films documentaires.
Dans Amsterdam Global Village(1996) apparaît en exergue dans le générique une phrase de Bert Schierbeek : “La vie, c’est 777 histoires en même temps”. Dans la dernière séquence, l’un des personnages principaux, Khalid, le coursier marocain, dit en voix off : “Comment critiquer la vie. La vie, c’est comme ça.”
La référence à la vie est une constante dans les films de van der Keuken. Il ne s’agit pas seulement d’une construction, d’une composition, mais d’une structure dans laquelle, au bout du compte, le spectateur doit trouver un lien avec la vie réelle. Pourtant à première vue, ces références sont sans cesse remises en cause dans ses films. Elles sont bafouées par la vision de la caméra : van der Keuken nous montre à chaque plan qu’il ne recherche pas l’anthropomorphisme de la caméra. Les mouvements “inocculaires” dans On animal locomotion montrent que le regard humain lui-même est polymorphe. Elles sont bafouées par l’absence de naturalisme. Certaines images n’ont pas de rôle figuratif à jouer, mais elles travaillent dans d’autres domaines, sur d’autres qualités (texture, granulation, couleur, mouvement, luminosité, etc) et jouent un rôle dans la perception du spectateur, en remplacement du naturalisme.
Elles sont bafouées par l’inadéquation entre les images et le son : les images auditives sont rarement les mêmes que les images visuelles. Une expérience consisterait à fermer les yeux et écouter un film de van der Keuken : on n’aura pas une représentation exacte de ce qu’est l’espace du film. En renouvelant l’expérience avec un film dit de Cinéma Direct, l’écart ne serait pas aussi grand, le contraste aussi perceptible. Rouvrons les yeux : on regarde l’image et on essaye dans le même temps d’accoler des images aux sons que l’on perçoit. Là encore le spectateur joue un rôle actif. Le cinéaste se trouve finalement dans la position du joueur au sens ludique, et dans le même temps au sens d’un musicien utilisant son instrument. L’immense variété de relations possibles entre le son et l’image définit souvent mieux les films de van der Keuken que, par exemple, leur sujet initial.
En 1995, il expliquait qu’il avait pu avoir, à un moment de sa vie, une attirance pour le “cinéma thématique”, par désir de s’éloigner de l’étiquette “documentaire”29 . Pourtant, le film Big Ben, Ben Webster in Europe débute par la voix off de van der Keuken ; il prononce quelques mots sur le grand saxophoniste de jazz, puis ajoute : “Ben dit que ce serait bien qu’il y ait dans ce film un documentaire sur la façon de créer un saxophone”. Et l’image qui suit est filmée dans l’usine de saxophones Selmer à Paris. Dans les films de van der Keuken, on trouve souvent ce type d’approche contournante, à la limite de la blague. Une autre manière de jouer avec ce genre qui le poursuit. Les moments explicatifs intègrent une structure qui ne se repose pas sur les principes du documentaire ; ils s’inscrivent au détour d’une séquence. Ainsi en est-il, par exemple, de la séquence de construction des instruments de musique dans Cuivres débridés.
Dans ses films, on ne peut pas penser à un réalisme primaire mais on sent au contraire que la structure est là avant tout, primordiale, et “le petit moment de vrai”30 n’arrive finalement qu’après coup. Plus que la vie, la première référence dans les films de van der Keuken tient surtout au fonctionnement de la pensée, à l’idéation du cinéaste. Dans “L’Homme sans qualités” (un livre qui a beaucoup marqué van der Keuken), le quatrième chapitre s’intitule : “S’il y a un sens du réel, il doit y avoir aussi un sens du possible”31 . Pour parvenir à un moment de “lucidité”, van der Keuken prend en compte le pouvoir de l’imagination du spectateur qui permet d’envisager que chaque chose pourrait en être une autre. Le sens ne s’éprouve que dans l’expérience du non-sens.
- “Le Cercle de minuit”, France 2, 13 mars 1995.
- Johan van der Keuken et François Albéra, “Film on Film”, Musée du Jeu de Paume, mardi 27 octobre 1998.
- “Ateliers de création radiophonique”, France Culture, 1er mars 1998 (émission de René Farabet).
- Voir également : “Le Bon Plaisir de Johan van der Keuken”, France Culture, 21 novembre 1998.
- Vrij Nederland, Amsterdam, décembre 1968.
- “Un renouveau de l’oeil”, publié en français dans Les Dossiers de la Cinémathèque Québécoise n°16, 1986, p.12.
- Serge Daney et Jean-Paul Fargier, “Entretien avec Johan van der Keuken”, Cahiers du Cinéma n° 289, juin 1978, p.19.
- Serge Daney et Jean-Paul Fargier, “Entretien avec Johan van der Keuken”, Cahiers du Cinéma n° 289, juin 1978, p.21.
- “L’oeil au-dessus du puits”, Aventures d’un regard, p.170.
- Raphaël Bassan, “Chambre noire avec vue sur le réel”, Libération, vendredi 4 mars 1988, p.39.
- Bernard Fabre, “L’Effet d’être là” (entretien du 8 février 1988), Opérateurs n°3, automne 1988, p.17.
- André Pâquet, “Pourquoi continuez-vous à faire du documentaire”, Lumières n°19, été 1989, p.33.
- Johan van der Keuken , “Le Comment du monde”, Cahiers du Cinéma n° 465, mars 1993, p.79.
- “Paris-Amsterdam”, première partie, “Nuits Magnétiques”, France Culture, jeudi 20 février 1997 (émission proposée par R. Stégasi et J. Colin).
- “Cinéaste migrateur”, Les Inrockuptibles n° 129, du 3 au 9 décembre 1997, p.35.
- “Paris-Amsterdam”, deuxième partie, “Nuits Magnétiques”, France Culture, vendredi 21 février 1997 (émission proposée par R. Stégasi et J. Colin).
- “Ateliers de création radiophonique”, France Culture, 1er mars 1998 (émission de René Farabet). Van der Keuken reprend ces propos dans l’entretien avec Jean-Pierre Jeancolas (“Entretien avec Johan van der Keuken”, Positif n° 446, avril 1998, p.92.
- Ateliers de création radiophonique”, France Culture, 1er mars 1998 (émission de René Farabet). Van der Keuken reprend ces propos dans l’entretien avec Jean-Pierre Jeancolas (“Entretien avec Johan van der Keuken”, Positif n° 446, avril 1998, p.92.
- “Ateliers de création radiophonique”, France Culture, 1er mars 1998 (émission de René Farabet).
- Entretien du 11 avril 1978 (Parachute, Montréal, p.46).
- Johan van der Keuken, “Le Comment du monde”, Cahiers du cinéma n° 465, mars 1993, p. 80.
- Dans Opérateurs n° 3, automne 1988 : “Il paraît que chaque cinéaste se rappelle du moment où il a vu Nanook de Flaherty, et pour moi c’était vrai. Je l’ai vu en Angleterre, à Derby, j’étais en vacances. Jean Rouch a fait un film sur Henri Storck et Joris Ivens, et ils parlent de ce film. Chacun de ces trois se rappelle du moment où il l’a vu pour la première fois… Et moi aussi je sais. C’est curieux, non ?”.
- Andrée Tournès, “Entretien avec van der Keuken”, Jeune cinéma n° 117, mars 1979, p. 22.
- Johan van der Keuken, “Le Comment du monde”, Cahiers du cinéma n° 465, mars 1993, p. 78.
- Michelle Gales, “Un regard dégagé, entretien avec Johan van der Keuken”, La Revue Documentaires n° 8 (Engagement et écriture), Paris, 1er trimestre 1994, p.74.
- Christophe Fraipont, “Conversation chez les Dardenne, sur van der Keuken absent”, Vidéodoc’ n° 48, décembre 1981 – janvier 1982, p. 15.
- Serge Toubiana, “Entretien avec Johan van der Keuken”, Cahiers du cinéma n° 517, octobre 1997, p.49.
- Serge Toubiana, “Entretien avec Johan van der Keuken”, Cahiers du cinéma n° 517, octobre 1997, p.49.
- Johan van der Keuken, “Méandres”, Trafic n° 13, hiver 1995, pp. 14 – 23.
- “Ateliers de création radiophonique”, France Culture, 1er mars 1998 (émission de René Farabet).
- Robert Musil, L’Homme sans qualités, Tome 1, éditions du Seuil, Paris, 1956, p. 19.