Quand l’Islande réinvente la démocratie

par Jean Tosti (CADTM)

Depuis le same­di 27 novembre, l’Islande dis­pose d’une Assem­blée consti­tuante com­po­sée de 25 simples citoyens élus par leurs pairs. Son but : réécrire entiè­re­ment la consti­tu­tion de 1944 en tirant notam­ment les leçons de la crise finan­cière qui, en 2008, a frap­pé le pays de plein fouet.

Depuis cette crise dont elle est loin d’être remise, l’Islande a connu un cer­tain nombre de chan­ge­ments assez spec­ta­cu­laires, à com­men­cer par la natio­na­li­sa­tion des trois prin­ci­pales banques, sui­vie de la démis­sion du gou­ver­ne­ment de droite sous la pres­sion popu­laire. Les élec­tions légis­la­tives de 2009 ont ame­né au pou­voir une coa­li­tion de gauche for­mée de l’Alliance (grou­pe­ment de par­tis com­po­sé des sociaux-démo­crates, de fémi­nistes et d’ex-communistes) et du Mou­ve­ment des Verts de gauche. C’était une pre­mière pour l’Islande, tout comme la nomi­na­tion d’une femme, Johan­na Sigur­dar­dot­tir, au poste de Pre­mier ministre. 

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Très vite, le nou­veau gou­ver­ne­ment se trouve face à un pro­blème épi­neux : le règle­ment aux Pays-Bas et au Royaume-Uni d’une dette de 3,5 mil­liards d’euros suite à la faillite d’Icesave, banque en ligne dont les opé­ra­tions étaient tour­nées prin­ci­pa­le­ment vers ces deux pays. Sous la pres­sion de l’Union euro­péenne, à laquelle les sociaux-démo­crates sou­hai­te­raient adhé­rer, le gou­ver­ne­ment fait voter en jan­vier 2010 une loi auto­ri­sant ce rem­bour­se­ment, ce qui revien­drait, pour chaque Islan­dais, à débour­ser pen­dant huit ans une somme d’environ 100 euros par mois. Mais le pré­sident de la Répu­blique refuse de rati­fier la loi, dont le texte est alors sou­mis à un réfé­ren­dum. À plus de 93%, les Islan­dais votent contre le rem­bour­se­ment de la dette (6 mars), et depuis le pro­blème reste en suspens. 

C’est dans ce contexte que l’Islande décide de modi­fier sa consti­tu­tion, qui en fait n’a jamais été vrai­ment rédi­gée : lorsqu’en 1944 la répu­blique avait été pro­cla­mée, on s’était conten­té de reco­pier dans les grandes lignes la consti­tu­tion du Dane­mark, pays dont l’Islande dépen­dait depuis plu­sieurs décen­nies, en rem­pla­çant sim­ple­ment le terme de “roi” par celui de “pré­sident de la Répu­blique”. C’est donc une nou­velle consti­tu­tion qu’il s’agit d’écrire entiè­re­ment, et pour cela on a déci­dé de faire confiance au peuple sou­ve­rain. Il y a eu d’abord un appel à can­di­da­tures (tout le monde pou­vait se pré­sen­ter à l’exception des élus natio­naux, à condi­tion d’avoir dix-huit ans révo­lus et d’être sou­te­nu par au moins trente per­sonnes) auquel ont répon­du 522 citoyennes et citoyens. C’est par­mi eux qu’ont été élus les 25 constituants. 

Ces der­niers com­men­ce­ront à se réunir à la mi-février et ren­dront leur copie avant l’été. Par­mi les pro­po­si­tions qui reviennent le plus sou­vent, on peut noter la sépa­ra­tion de l’Église et de l’État, la natio­na­li­sa­tion de l’ensemble des res­sources natu­relles et une sépa­ra­tion claire des pou­voirs exé­cu­tif et législatif. 

Certes, l’Islande n’est qu’un petit pays d’environ 320 000 habi­tants. Elle donne cepen­dant là une belle leçon de démo­cra­tie aux grands États dont la France : son­geons que, dans notre pays, la réforme consti­tu­tion­nelle de 2008 a été entiè­re­ment rédi­gée à l’Élysée, et que les par­le­men­taires ne l’ont adop­tée qu’à deux voix près après avoir été sou­mis pen­dant des semaines à des pres­sions into­lé­rables de la part du chef de l’État.

16 décembre 2010 par Jean Tosti

Source :
http://www.cadtm.org/Quand-l-Islande-reinvente-la