Un slam de Lisette Lombé durant la manifestation contre les violences faites aux femmes.
La manifestation contre les violences faites aux femmes le 24 novembre 2019 à réuni plus de 10.000 personnes. Aujourd’hui, en Belgique, il n’est pas possible de savoir combien de féminicides ont lieu. Pour rappel, le féminicide est le fait de tuer une femme parce qu’elle est une femme.
Pour combler ce manque d’information et faire pression sur les pouvoirs publics, le blog Stop Féminicide a commencé cette année, pour la toute première fois, à recenser les féminicides sur notre territoire. Un travail nécessaire qui met en lumière un problème de société trop souvent relégué dans la case « Faits Divers » mais qui ne peut se faire que sur les cas médiatisés.
Ce chiffre est donc certainement plus élevé.
Un slam à couper le souffle de Lisette Lombe en soutien à la manifestation contre les violences faites aux femmes.
Parfois à la fin de certaines journées une forme
de lassitude, terrible, nous submerge.
Parfois c’est dès le matin
que la bête nous attaque.
C’est comme une énorme vague,
comme une énorme vague
qui s’abat sur nos tronches.
Une énorme vague chargée de toutes les crasses du Vieux Monde.
Une déferlante charriant toute la pourriture sexiste
des journaux et des réseaux sociaux.
Une déferlante,
marée coupante nausée plombante.
Une agression, plus une agression,
plus une agression, plus une agression…
plus une agression…
Alors ces jours là…
Ces jours là on se dit que nos réunions
et nos mobilisations et nos petites marches
et nos rimes et nos larmes
ne servent à rien.
On se dit que personne ne peut
terrasser le désert.
On se dit que personne ne peut venir à bout
des dragons à crête blanche.
On sait pourtant…
On sait que ce n’est pas pour nous
les fruits de la lutte.
On sait que ce n’est pas pour demain.
Pas pour cette vie, pas pour ce chemin.
On le sait mais on lutte et on lutte et on lutte.
on le sait mais ces jours là, jours de brèche,
jours de gerbe, jours de giclée apocalyptique
on se dit que peut être même nos enfants
n’en verront pas la fin de cet interminable tunnel.
Ces jours là, il y a danger pour notre courage.
Il y a danger pour notre détermination.
Il y a danger pour nos voix.
Danger, danger, danger,
danger d’extinction de voix.
Ces jours là y’a pas à dire
ça craint vraiment.
Ça pue…
Ça pue les faits divers, ça pue les unes racoleuses
et les entrefilets sordides,
ça pue : ’claque dans ta gueule ma pauvre fille’
ça pue paupières pochées,paumettes cassées,
poudre, fard, fond de teint.
Pour camoufler les blessures bleues
et les excuses blêmes
Ça pue…
Camoufler, cacher,
Cacher les traces,
cacher la rage de ces hommes.
Cacher, cacher,
cacher leurs fucking frustrations.
Ça pue !
Ça pue séparation qu’on ne digère pas,
ça pue menaces, représailles, vitriol,
ça pue corps dans le coffre, corps dans le canal,
corps dans le caniveau.
Ça pue !
Partout ça pue !
De Santiago à Seraing,
de Kinshasa à Calcutta, ça pue.
Dans les rues ça pue,
bite sous le bras, braquemart à tout vent,
biroute à tout va.
Ça pue, dans les commissariats de police,
dans les tribunaux, dans les hôpitaux ça pue.
Chaque fois que l’une d’entre nous
n’est pas entendue, chaque fois que l’une d’entre nous
n’est pas crue…
Partout là où on excise, ça pue,
là où on te retire de l’école pour te marier, ça pue.
Là où on t’empêche d’avorter, ça pue.
Là où on baise les mères de famille
à la machette, ça pue.
Alors est ce que toi aussi tu la sens
cette puanteur du vieux monde ?
Est-ce que toi aussi tu les sens
ces vautours sans nom
qui profitent des tremblements de terre
et des typhons
pour extirper des gamines des gravats
et les vendre au plus graveleux ?
Est-ce que toi aussi tu les sens ?
Est-ce que toi aussi tu les sens ces minis Casanova
des cours de récréation
qui traitent leurs condisciples de ’salope’
et de ’sale pute’ en se faisant sucer ?
Est-ce que toi aussi tu le sens le pote
et le pote du pote
et le pote du pote du pote
qui violent en meute et se planquent
derrière l’effet de groupe ?
Est-ce que tu sens ces ordures ordinaires
derrière ordinateur anonyme ?
Est-ce que toi aussi tu les sens ?
Est-ce que tu sens main au cul, boys club, pouvoir,
promotion, canapé, couloirs feutrés,
costume cravate et petit fours.
Ma sœur, ça pue.
Y’a pas à dire ça pue !
Ça pue les Weinstein du dimanche,
les Epstein du dimanche,
les pseudo DSK, pseudo Woody,
pseudo Cosby, pseudo R‑Kelly,
pseudo Kofi, pseudo Polanski,
ça pue ma soeur !
Ça pue !
Alors ces jours-là ma soeur,
ces jours là plutôt que de se
passer corde autour du coeur,
corde autour du cou,
on relit nos poèmes,
on relit nos poèmes, on les relit,
on les relit, on les relit…
Pour ne pas se décomposer,
pour ne pas capituler, pour tenir.
Tenir debout, tenir fierté, tenir justice,
tenir et redire,
redire violences structurelles,
violences institutionnelles,
redire violence économique
et violence médiatique,
redire société patriarcale,
redire sexisme, racisme, capitalisme…
Redire !
Redire que dans toutes les morgues,
dans toutes les morgues du monde entier,
les femmes racisées sont des femmes mortes !
Les femmes trans sont des femmes mortes !
Les femmes travailleuses du sexe
sont des femmes mortes.
Redire !
Redire que nous ne sommes pas dupes !
Ni des rubans blancs épinglés au plastron
avec ostentation une fois par an.
Ni des promesses vaines,
nous ne sommes pas dupes.
Fini !
Finis les classements sans suite,
finies les excuses.
Finies les justifications.
Finie la honte, fini le silence !
Nous sommes là.
Oui ma soeur, nous sommes là debout,
nous sommes là debout pour redire les chiffres.
Redire les chiffres !
Et derrière chaque chiffre,
raconter chaque prénom,
raconter chaque visage,
raconter chaque vie,
chaque femme, chaque famille.
Nous sommes là pour redire,
pour tenir, pour raconter
pour raconter… Oui, c’est ça !
On raconte, on raconte.
On raconte que là-bas…
Les poètes se cognent les uns aux autres,
comme une brique,
sur la tête d’un ennemi.
On raconte que là-bas le sol est jonché
de milliers et de milliers de feuilles blanches.
Et que chacune de ces feuilles blanches
a appartenu à une personne abandonnée par les mots.
C’est un no-man’s land, un terrain vague,
un gisement mort entre les strophes.
Tous, nous connaissons ce lieu.
Tous, nous connaissons cette peur
de ne plus être à la hauteur du texte précédent.
Tous !
Nous redoutons cet appel de la synchronicité
qui ne se chorégraphiera en rien.
Alors nous nous répétons, mantra, mantra,
cela ne peut pas ne pas avoir de sens,
cela ne peut pas ne pas être un signe,
cela ne se peut !
Et les jours passent on s’échine, on s’obstine,
pas une ligne, pas une rime,
apnée, souffle court,
apnée, feuille blanche.
Je dois écrire, je peux écrire, je veux écrire,
je peux le faire et les jours passent.
On s’aigrit, on s’agrippe à la fausse perle,
la fausse pépite, la pâle copie.
Déjà vu, déjà lu, déjà dit,
prête à porter, prête à rapper, prête à slammer !
Et puis soudain ma soeur,
soudain…
BOOOOOM !
Soudain…
Ton poème est là !
Devant toi !
Tapis rouge qui se déroule comme écrit,
comme sorti, comme jailli d’un autre que toi.
Alors certes ton poème est encore à ciseler…
Certes ton poème est encore à apprivoiser
mais il est là ! Devant toi !
Coup de poing immobile au milieu
des milliers et des milliers de feuilles blanches
qui se mettent à tourner, à tourner
et à tourner autour de lui.
Entends !
C’est une invitation !
C’est une invitation à enfin écouter
ce que ton ventre, ce que ton bide,
ce que tes tripes ont à te dire !
Alors tu demandes à haute voix
à cette autre que toi :
’Mais qui sont tous ces hommes ? ’
Qui sont tous ces hommes ?
Qui sont tous ces hommes
qui se pressent dans ton nouveau texte ?
Qui sont tous ces hommes ?
Il en sort de partout,
ça grouille, ça bavouille,
il en sort de partout,
ça se bouscule à chaque paragraphe.
Il en sort de partout,
hashtag me too, hashtag balance ton porc
hashtag, hashtag, il en sort de partout…
Il y a les gros lourds des transports en commun,
les frotti-frotta
les ’Hé Mademoiselle’, les plaquants, les planqués,
les losers, les chasseurs, les pas vu, les pas pris.
Et il y a l’oncle pansu,
le babysit psychotique qui te course torse-nu
avec une fourche à la main.
Version trash de cache-cache
si je t’attrape, je t’emballe
et le coach de basket
qui te coince dans le vestiaire :
’Je te tiens tu me tiens par la barbichette’
et qui gagne ta culotte et qui gagne ta chaussette :
du matos de première pour s’astiquer en cachette.
C’est la famille !
La grande famille !
La famille sans frontière, au dessus des lois,
au dessus de toi, au dessus des droits.
Alors tu demandes combien ?
Tu demandes combien de femmes
dans cette famille ?
Tu demandes combien de mères ?
Combien de vagins empuantis ?
Tu demandes combien de tantines,
combien de cousines
pour un seul de ces mecs resté impuni ?
Tu demandes combien ?
Combien de soeurs sous les silences,
sous les sourires, sous les convenances ?
Combien de déglingués, de zombies,
de dézingués, de pommes pourries,
de cramés, de barges,
de fêlés, fanés, foutus.
Combien de ventres morts, de fantômes,
de fautives, de fins de filles, de fins de vies ?
Combien ?
Dites-moi…
Combien ?…