Une manifestation contre une justice raciste, classiste et sexiste a eu lieu le 24 janvier 2021.
Elle a d’abord été interdite par la Ville de Bruxelles puis finalement été autorisée à la suite des négociations avec les organisateur.rice.s. Il est à rappeler que ce rassemblement était initialement prévu en décembre, mais la Ville l’avait déjà interdite à ce moment-là. Le 23 novembre dernier, la justice condamne 17 syndicalistes à un mois de prison avec sursis pour « entrave méchante à la circulation », alors qu’iels menaient une action de blocage dans le cadre d’un grève générale [un droit pour les travailleur.euse.s]. Le même jour et lendemain, cette même justice tente de déresponsabiliser le policier qui a tiré sur la petite Mawda en lui infligeant un an de prison avec sursis, mais 10 ans pour le chauffeur et 7 pour le présumé passeur : un verdict clairement raciste et classiste. Le parquet a demandé un non-lieu pour le policier qui a percuté mortellement Adil. Le 9 janvier dernier, le jeune Ibrahima est décédé à la suite de son arrestation, alors qu’il exerçait son plein droit de la filmer. Tous ces récents événements ont ainsi rappelé la nécessité de réorganiser cette mobilisation afin de dénoncer tous ces abus de pouvoir.
Prévu initialement de 14h à 15h place de l’Albertine (Mont des arts), le rassemblement est autorisé pour 45 minutes. Mais la répression policière débute dès la fin du temps imparti, et s’avère particulièrement impressionnante et violente, au-delà d’être injustifiée.
Par ailleurs, les événements de ce 24 janvier ont peu ou pas été couverts par la presse officielle. Lorsque cela a été fait, on a par exemple préféré parler « des parents qui s’organisent en vue de porter plainte collectivement contre la police », mais sans expliquer le contexte, ni les revendications portées par la manifestation, et sans aborder la violence dont a fait preuve la police. Ce à quoi ce récit ambitionne de remédier.
Un premier contrôle d’identité illégal
En tant que membres de l’équipe de ZIN TV nous sommes allés sur les lieux pour couvrir l’événement et soutenir le mouvement de protestation. Nous prenons quelques plans d’avant-rassemblement. Il est alors 13h15. Un quart d’heure plus tard, nous nous rendons vers la Gare centrale, où il semble se tenir un début d’action. C’est alors que plusieurs policiers nous barrent l’accès en nous signifiant l’interdiction de la manifestation. Alors que celle-ci est officiellement tolérée par les forces de l’ordre. Se présenter en qualité de journalistes ne suffit pas ; ils nous demandent nos cartes d’identité et menacent de nous arrêter administrativement s’ils nous revoient dans le périmètre.
Une tentative d’intimidation bien classique.
Pour ma part, conscient de ce que représente ma seule apparence physique auprès d’une police raciste et pas envie de succomber à la provocation, je décide de m’en aller… mais mon collègue, lui, reste sur place pour témoigner. Trop dangereux pour filmer, il range la caméra.
Une présence policière et des équipements démesurés
Déjà bien avant le début de la mobilisation, nous constatons que les dispositifs de police déployés sont résolument disproportionnés, et éparpillés entre la place Poelaert, le parc royal et les alentours de la Gare centrale. Hélicoptère, plusieurs dizaines de combis, policier.e.s anti-émeute… pour une manifestation d’environ 150 personnes. Une démonstration de force d’une violence symbolique inouïe, mais pas encore à son apogée.
Au bout des 45 minutes de manifestation autorisées, les militant.e.s commencent à se disperser par petits groupes. A ce moment-là, la police enclenche les premières intimidations et provocations à leur encontre. Personne n’y échappe, pas même les photographes et quelques journalistes présents sur les lieux.
L’une des premières personnes à se faire arrêter est une jeune femme. Dans le même temps, à peu près dix jeunes racisés et apparemment mineurs sont interpellés par plusieurs policiers anti-émeute, alors qu’ils descendent vers la Grand-Place. Nassés, plaqués au sol et arrêtés. Tant pis pour la distanciation physique. Le déploiement se poursuit avec des combis toujours plus nombreux, des brigades canines, des chevaux, des autopompes et un drone, une artillerie digne d’un contexte de guerre.
Toute la zone quadrillée et les sorties bloquées, les personnes présentes sur place se retrouvent encerclées alors que la plupart ne souhaite qu’une seule chose : quitter les lieux et rentrer chez elle. Des policiers en civil, fondus dans la masse de manifestant.e.s, influencent le mouvement en amenant les gens en direction de la Gare centrale, au carrefour de l’Europe, là où le dispositif de répression est déjà prêt.
Un guet-apens minutieusement étudié et prévu depuis le départ, dans un lieu stratégique masqué à la vue de tout.e passant.e.
Une nasse, formée par des policier.e.s muni.e.s de boucliers, se crée autour des personnes présentes aux abords de la gare, et un deuxième rideau de policiers se forme pour masquer la vue et empêcher l’accès à celle.ux qui s’approchent.
De nombreuses personnes y sont gazées, matraquées ou encore attaquées par des chiens policiers pour être finalement arrêtées. Des humiliations sont également subies par plusieurs jeunes manifestants, forcés de s’asseoir par terre les uns devant les autres. Certains d’entre eux se plaignent de maux de dos, dont un homme d’une quarantaine ou cinquantaine d’années, mais un policier lui crie de rester à même le sol. On retient aussi un jeune homme percuté par une voiture de police puis tabassé. Un laboratoire de violence d’État quadrillé en plein cœur de Bruxelles.
Une centaine d’arrestations et une mise en cellules massive
Vers 16 heures, les forces de l’ordre se rendent compte que la masse confinée est trop importante, et ne peut être entièrement entassée dans les convois. Le groupe est donc filtré et réduit par une ouverture de la nasse. Le nombre restant est fouillé, numéroté, colsonné et embarqué — au bout d’une demi-heure d’attente et sans aucune information sur la nature de l’arrestation — dans les bus de police. Arrivé.e.s à la caserne d’Etterbeek (le lieu n’étant connu qu’à ce moment-là), les personnes embarquées sont emmenées dans les cellules. Sur place, les conditions de détention sont indignes : la plupart des cellules sont trop remplies ; celle de garçons mineurs contient une grosse trentaine de personnes, alors que la capacité de base est officiellement prévue pour une quinzaine. Au point que certains se voient forcés de rester debout. De plus, les chaufferettes sont délibérément éteintes et seulement dix gaufres sont distribuées pour l’ensemble de ce groupe. Dans les cellules pour adultes, pas de nourriture, pas d’eau donnée et pas non plus la permission d’aller aux toilettes, donc pas d’autre choix que d’uriner devant tout le monde dans le cachot.
Les comportements de la police sont déshumanisants : insultes à répétition, aucune indication donnée sur l’heure, dialogue impossible et refusé par des « ta gueule », etc.
Soudain, une vingtaine de policiers anti-émeute [cagoulés, matricules et insignes retirés] entrent dans la cellule des mineurs, matraques en main, en commençant par hurler : « C’est nous, les assassins, bande de fils de p*tes ». Une partie des agents intiment aux jeunes de baisser la tête à coups de gifles, pendant que l’autre moitié traîne un jeune de 15 ans hors de la cellule en le rouant de coups. Un exemple d’une rare violence, répété dans d’autres cellules. La grande majorité des personnes présentes en ville et dans la caserne confirme le basculement vers une barbarie sans nom, dans les cachots, là où il n’y a aucune caméra.
En conséquence
Ce qui est frappant dans les événements de ce dimanche 24 janvier, c’est l’aberration totale qui consiste à « tolérer » une manifestation pacifique et statique pour, finalement, la désintégrer à coups d’intimidations, d’insultes, de violences physiques et psychologiques, de démonstration de force généralisée, d’arrestations strictement aléatoires et de mises en cellules dans des conditions inhumaines et traumatisantes pour beaucoup de personnes. Le déploiement de cette violence [physique et symbolique] de la part de la police dévoile un message fort et clair qui est loin d’être nouveau : « époumonez-vous à manifester, mais payez le prix de votre ‘désobéissance’ ». Par cette action, l’État réaffirme à la population la toute-puissance d’un appareil répressif qu’aucune foi ni loi ne semble condamner.
Qui assume la responsabilité politique de cette terreur d’État qui s’installe progressivement depuis que le ministère de l’intérieur a été entre les mains d’un ministre d’extrême droite ? Jusqu’où doit-on tolérer cette violence physique, verbale et surtout psychologique d’une institution qui semble agir avec une carte blanche ? Les fonctionnaires qui représentent une institution d’État au vocabulaire sexiste, raciste et grossier semblent agir en toute impunité. Ce cauchemar est étouffé quotidiennement par la complicité d’une presse et d’une justice complaisantes.
Nous ne pouvons taire ni subir ces abus. Des actions légales et juridiques, ainsi que des actions collectives doivent se mettre en place, sans tarder.