Brussels Airlines se revendique « spécialiste de l’Afrique » et relie Bruxelles à 28 destinations sur le continent africain. Ce fait n’est pas le fruit du hasard ni celui de la simple conjoncture économique, mais bien le produit d’une histoire coloniale : celle de la Belgique et de la compagnie aérienne nationale de l’époque, la Société anonyme belge d’exploitation de la navigation aérienne, plus connue sous le nom de Sabena. L’historien Guy Vanthemsche assure d’ailleurs que « le Congo a toujours occupé une place importante dans l’histoire de l’aéronautique belge »1.
Dès sa création, en 1923, la Sabena participe à l’entreprise coloniale belge. La mission qu’on lui assigne est d’assurer des liens aériens entre la Belgique et le Congo belge, colonie depuis la Conférence de Berlin de 1884 – 1885. Le 12 février 1925, un vol inédit est organisé par la Sabena pour rejoindre en 51 jours Léopoldville, au départ de l’aéroport de Haeren/Melsbroek. Aux commandes, Edmond Thieffry, un « as » de l’aviation militaire belge durant la Première Guerre mondiale. Lors de la période qui suit, les femmes belges reviennent régulièrement afin d’accoucher en Belgique, avant de retourner au Congo avec leurs nourrissons. Dans les années 1950, la Sabena organise même des « nursery flights », que la compagnie présente comme des services spéciaux sur la liaison Congo/Belgique pour passagers accompagnés d’enfants — et même pour enfants non accompagnés âgés de 3 à 12 ans, avec des berceaux, des services de puériculture et des jeux organisés à bord de l’avion.
« Dès sa création, en 1923, la Sabena a participé à l’entreprise coloniale belge. »
Au croisement des violences
« Du côté du colonisateur, la liberté de circulation et d’installation était fortement encouragée politiquement et légalement. »
Tu sais pourquoi tu retournes en Afrique ? Tu ne sais pas ?J’ai répondu que j’allais me marier mais que la police m’a emmenée de chez moi au centre fermé. Puis il m’a dit :
Oh, je te renvoie en Afrique. Si tu ne veux pas y aller, on va te frapper et te mettre dans l’avion pour que tu y ailles de force. »
« Spécialistes de l’Afrique »
« Des agents de Brussels Airlines ont la possibilité de se rendre dans les centres fermés afin de tenter de convaincre les personnes détenues d’accepter leur refoulement. »
Pour comprendre cette pratique, il est nécessaire de rappeler que la Convention de Chicago du 7 décembre 1944, relative à l’aviation civile internationale, impose aux transporteurs aériens de respecter, sous peine de sanctions, les lois et les règlements des États en matière d’immigration. La loi8 oblige le « transporteur public ou privé » à ramener au lieu de départ, à ses frais, les personnes acheminées alors qu’elles ne disposaient pas des documents requis par les autorités du pays. Cette obligation est la seule à contraindre légalement les compagnies à procéder à des expulsions (appelées dans ce cas des « refoulements ») ; elle ne concerne pas les « personnes à éloigner », lesquelles se trouvent déjà sur le territoire belge. Ajoutons enfin qu’un arrêté ministériel9 du 11 avril 2000 prévoit, quel que soit le cas, que « le commandant de bord est chargé de décider s’il y a lieu ou non d’accepter à son bord le passager ». Face à cette situation, un accord a été signé le 24 mai 2000 entre la Sabena et le ministre de l’Intérieur de l’époque, Antoine Duquesne, afin, entre autres choses, de diminuer les amendes et de prévoir des escortes composées d’agents de sécurité de la compagnie.
préparer au départ. L’actuelle SN Brussels Airlines a repris cet accord à son compte : des témoignages, confirmés par des membres de l’administration, indiquent que des agents de la SN Brussels Airlines se rendent dans les centres fermés pour tenter de convaincre les personnes de repartir par leurs lignes. Avec, à la clé, des incitations diverses (généralement une somme d’argent ou l’offre de billets sur des lignes intérieures du pays de destination) et, au besoin, des menaces explicites :
Si vous ne partez pas avec nous, ce sera par avion militaire !10Selon des témoignages publiés en 2013 par Getting The Voice Out, il semble que cela perdure : Brussels Airlines propose ainsi « que la personne à expulser collabore et se laisse expulser sans escorte et qu’en contrepartie la compagnie leur donnerait 250 euros à l’arrivée au pays ». Outre l’apparent enjeu économique présent derrière ces pratiques de persuasion, il est à supposer que des refoulements sans encombre ni protestation assurent la préservation de l’image de l’entreprise auprès des autres passager·e·s présent·e·s dans l’avion. Suite à l’acquisition de la totalité du capital de Brussels Airlines par la Lufthansa, Théo Francken, alors secrétaire d’État à l’asile et la migration, a témoigné à sa façon des liaisons dangereuses qui unissent l’État belge et la compagnie, par un tweet en date du 5 février 2018 : « Avec des milliers de vols de retour par an, l’Office des étrangers est probablement l’un des plus gros clients de @FlyingBrussels. Nous croisons les doigts pour un résultat positif. » Il apparaît que, là encore, Brussels Airlines ne se soit pas débarrassée des vieux démons de sa mère Sabena.
S’opposer aux expulsions : question d’éthique
« La collaboration active de Brussels Airlines dans la politique d’expulsions massives de la Belgique est peu connue et passe relativement inaperçue. »
- Guy Vanthemsche, La Sabena, l’aviation commerciale belge, 1923 – 2001 — Des origines au crash, De Boeck, 2002, p. 60.
- Communiqué de presse « Brussels Airlines — 15 ans de vols vers le continent africain », 17 août 2017
- Jean-Paul Brilmaker, « Une honte pour un pays civilisé ! », Le Soir, 17 février 1998.
- 1964 à 1969
- 1974 à 1977
- de 1981 à 1985
- « Centres fermés pour étrangers : état des lieux », 2016, p. 23.
- Arrêté ministériel du 11 avril 2000 règlementant les conditions de transport à bord des aéronefs civil des passagers présentant des risques particuliers sur le plan de la sûreté.
- Caroline Intrand et Pierre-Arnaud Perrouty, « La Diversité des camps d’étrangers en Europe : présentation de la carte des camps de Migreurop », Cultures & Conflits, n° 57, 2005/1
- Code de conduite du groupe Lufthansa, version Février 2018, p. 9.
- Des dizaines de milliers de personnes originaires des Caraïbes n’étant pas en mesure de prouver leur citoyenneté britannique menacées d’expulsion.