Une violence policière sans limites

Par Nicho­las Kum­ba & Mathéo Duchâteau

/

ZIN TV

Une action col­lec­tive est en train de s’or­ga­ni­ser contre ces arres­ta­tions illé­gales, injustes, sou­vent racistes, le trai­te­ment subi par les per­sonnes arrê­tées et les tech­niques uti­li­sées par les forces de l’ordre. Plus il y a de par­ti­ci­pants à cette action, plus elle pour­ra avoir un impact ! Si vous êtes dans ce cas, contac­tez la Legal Team Col­lec­tive et trans­fé­rez l’ap­pel à toutes les per­sonnes que vous connais­sez qui ont éga­le­ment été arrê­tées : contact@legalteamcollective.org. La Legal Team Col­lec­tive pro­met que les don­nées seront gar­dées de manière confidentielle.

EN LIEN :

Une mani­fes­ta­tion contre une jus­tice raciste, clas­siste et sexiste a eu lieu le 24 jan­vier 2021.

Elle a d’abord été inter­dite par la Ville de Bruxelles puis fina­le­ment été auto­ri­sée à la suite des négo­cia­tions avec les organisateur.rice.s. Il est à rap­pe­ler que ce ras­sem­ble­ment était ini­tia­le­ment pré­vu en décembre, mais la Ville l’avait déjà inter­dite à ce moment-là. Le 23 novembre der­nier, la jus­tice condamne 17 syn­di­ca­listes à un mois de pri­son avec sur­sis pour « entrave méchante à la cir­cu­la­tion », alors qu’iels menaient une action de blo­cage dans le cadre d’un grève géné­rale [un droit pour les travailleur.euse.s]. Le même jour et len­de­main, cette même jus­tice tente de déres­pon­sa­bi­li­ser le poli­cier qui a tiré sur la petite Maw­da en lui infli­geant un an de pri­son avec sur­sis, mais 10 ans pour le chauf­feur et 7 pour le pré­su­mé pas­seur : un ver­dict clai­re­ment raciste et clas­siste. Le par­quet a deman­dé un non-lieu pour le poli­cier qui a per­cu­té mor­tel­le­ment Adil. Le 9 jan­vier der­nier, le jeune Ibra­hi­ma est décé­dé à la suite de son arres­ta­tion, alors qu’il exer­çait son plein droit de la fil­mer. Tous ces récents évé­ne­ments ont ain­si rap­pe­lé la néces­si­té de réor­ga­ni­ser cette mobi­li­sa­tion afin de dénon­cer tous ces abus de pouvoir. 

Pré­vu ini­tia­le­ment de 14h à 15h place de l’Albertine (Mont des arts), le ras­sem­ble­ment est auto­ri­sé pour 45 minutes. Mais la répres­sion poli­cière débute dès la fin du temps impar­ti, et s’avère par­ti­cu­liè­re­ment impres­sion­nante et vio­lente, au-delà d’être injustifiée.

Par ailleurs, les évé­ne­ments de ce 24 jan­vier ont peu ou pas été cou­verts par la presse offi­cielle. Lorsque cela a été fait, on a par exemple pré­fé­ré par­ler « des parents qui s’organisent en vue de por­ter plainte col­lec­ti­ve­ment contre la police », mais sans expli­quer le contexte, ni les reven­di­ca­tions por­tées par la mani­fes­ta­tion, et sans abor­der la vio­lence dont a fait preuve la police. Ce à quoi ce récit ambi­tionne de remédier.

 

Un pre­mier contrôle d’identité illégal

En tant que membres de l’équipe de ZIN TV nous sommes allés sur les lieux pour cou­vrir l’événement et sou­te­nir le mou­ve­ment de pro­tes­ta­tion. Nous pre­nons quelques plans d’avant-rassemblement. Il est alors 13h15. Un quart d’heure plus tard, nous nous ren­dons vers la Gare cen­trale, où il semble se tenir un début d’action. C’est alors que plu­sieurs poli­ciers nous barrent l’accès en nous signi­fiant l’interdiction de la mani­fes­ta­tion. Alors que celle-ci est offi­ciel­le­ment tolé­rée par les forces de l’ordre. Se pré­sen­ter en qua­li­té de jour­na­listes ne suf­fit pas ; ils nous demandent nos cartes d’identité et menacent de nous arrê­ter admi­nis­tra­ti­ve­ment s’ils nous revoient dans le périmètre.

Une ten­ta­tive d’intimidation bien classique.

Pour ma part, conscient de ce que repré­sente ma seule appa­rence phy­sique auprès d’une police raciste et pas envie de suc­com­ber à la pro­vo­ca­tion, je décide de m’en aller… mais mon col­lègue, lui, reste sur place pour témoi­gner. Trop dan­ge­reux pour fil­mer, il range la caméra.

 

Une pré­sence poli­cière et des équi­pe­ments démesurés 

Déjà bien avant le début de la mobi­li­sa­tion, nous consta­tons que les dis­po­si­tifs de police déployés sont réso­lu­ment dis­pro­por­tion­nés, et épar­pillés entre la place Poe­laert, le parc royal et les alen­tours de la Gare cen­trale. Héli­co­ptère, plu­sieurs dizaines de com­bis, policier.e.s anti-émeute… pour une mani­fes­ta­tion d’environ 150 per­sonnes. Une démons­tra­tion de force d’une vio­lence sym­bo­lique inouïe, mais pas encore à son apogée.

Au bout des 45 minutes de mani­fes­ta­tion auto­ri­sées, les militant.e.s com­mencent à se dis­per­ser par petits groupes. A ce moment-là, la police enclenche les pre­mières inti­mi­da­tions et pro­vo­ca­tions à leur encontre. Per­sonne n’y échappe, pas même les pho­to­graphes et quelques jour­na­listes pré­sents sur les lieux.

L’une des pre­mières per­sonnes à se faire arrê­ter est une jeune femme. Dans le même temps, à peu près dix jeunes raci­sés et appa­rem­ment mineurs sont inter­pel­lés par plu­sieurs poli­ciers anti-émeute, alors qu’ils des­cendent vers la Grand-Place. Nas­sés, pla­qués au sol et arrê­tés. Tant pis pour la dis­tan­cia­tion phy­sique. Le déploie­ment se pour­suit avec des com­bis tou­jours plus nom­breux, des bri­gades canines, des che­vaux, des auto­pompes et un drone, une artille­rie digne d’un contexte de guerre.

Toute la zone qua­drillée et les sor­ties blo­quées, les per­sonnes pré­sentes sur place se retrouvent encer­clées alors que la plu­part ne sou­haite qu’une seule chose : quit­ter les lieux et ren­trer chez elle. Des poli­ciers en civil, fon­dus dans la masse de manifestant.e.s, influencent le mou­ve­ment en ame­nant les gens en direc­tion de la Gare cen­trale, au car­re­four de l’Europe, là où le dis­po­si­tif de répres­sion est déjà prêt.

Un guet-apens minu­tieu­se­ment étu­dié et pré­vu depuis le départ, dans un lieu stra­té­gique mas­qué à la vue de tout.e passant.e.

Une nasse, for­mée par des policier.e.s muni.e.s de bou­cliers, se crée autour des per­sonnes pré­sentes aux abords de la gare, et un deuxième rideau de poli­ciers se forme pour mas­quer la vue et empê­cher l’accès à celle.ux qui s’approchent.

De nom­breuses per­sonnes y sont gazées, matra­quées ou encore atta­quées par des chiens poli­ciers pour être fina­le­ment arrê­tées. Des humi­lia­tions sont éga­le­ment subies par plu­sieurs jeunes mani­fes­tants, for­cés de s’asseoir par terre les uns devant les autres. Cer­tains d’entre eux se plaignent de maux de dos, dont un homme d’une qua­ran­taine ou cin­quan­taine d’années, mais un poli­cier lui crie de res­ter à même le sol. On retient aus­si un jeune homme per­cu­té par une voi­ture de police puis tabas­sé. Un labo­ra­toire de vio­lence d’État qua­drillé en plein cœur de Bruxelles.

 

Une cen­taine d’arrestations et une mise en cel­lules massive

Vers 16 heures, les forces de l’ordre se rendent compte que la masse confi­née est trop impor­tante, et ne peut être entiè­re­ment entas­sée dans les convois. Le groupe est donc fil­tré et réduit par une ouver­ture de la nasse. Le nombre res­tant est fouillé, numé­ro­té, col­son­né et embar­qué — au bout d’une demi-heure d’attente et sans aucune infor­ma­tion sur la nature de l’arrestation — dans les bus de police. Arrivé.e.s à la caserne d’Etterbeek (le lieu n’étant connu qu’à ce moment-là), les per­sonnes embar­quées sont emme­nées dans les cel­lules. Sur place, les condi­tions de déten­tion sont indignes : la plu­part des cel­lules sont trop rem­plies ; celle de gar­çons mineurs contient une grosse tren­taine de per­sonnes, alors que la capa­ci­té de base est offi­ciel­le­ment pré­vue pour une quin­zaine. Au point que cer­tains se voient for­cés de res­ter debout. De plus, les chauf­fe­rettes sont déli­bé­ré­ment éteintes et seule­ment dix gaufres sont dis­tri­buées pour l’ensemble de ce groupe. Dans les cel­lules pour adultes, pas de nour­ri­ture, pas d’eau don­née et pas non plus la per­mis­sion d’aller aux toi­lettes, donc pas d’autre choix que d’uriner devant tout le monde dans le cachot.

Les com­por­te­ments de la police sont déshu­ma­ni­sants : insultes à répé­ti­tion, aucune indi­ca­tion don­née sur l’heure, dia­logue impos­sible et refu­sé par des « ta gueule », etc.

Sou­dain, une ving­taine de poli­ciers anti-émeute [cagou­lés, matri­cules et insignes reti­rés] entrent dans la cel­lule des mineurs, matraques en main, en com­men­çant par hur­ler : « C’est nous, les assas­sins, bande de fils de p*tes ». Une par­tie des agents intiment aux jeunes de bais­ser la tête à coups de gifles, pen­dant que l’autre moi­tié traîne un jeune de 15 ans hors de la cel­lule en le rouant de coups. Un exemple d’une rare vio­lence, répé­té dans d’autres cel­lules. La grande majo­ri­té des per­sonnes pré­sentes en ville et dans la caserne confirme le bas­cu­le­ment vers une bar­ba­rie sans nom, dans les cachots, là où il n’y a aucune caméra.

 

En consé­quence

Ce qui est frap­pant dans les évé­ne­ments de ce dimanche 24 jan­vier, c’est l’aberration totale qui consiste à « tolé­rer » une mani­fes­ta­tion paci­fique et sta­tique pour, fina­le­ment, la dés­in­té­grer à coups d’intimidations, d’insultes, de vio­lences phy­siques et psy­cho­lo­giques, de démons­tra­tion de force géné­ra­li­sée, d’arrestations stric­te­ment aléa­toires et de mises en cel­lules dans des condi­tions inhu­maines et trau­ma­ti­santes pour beau­coup de per­sonnes. Le déploie­ment de cette vio­lence [phy­sique et sym­bo­lique] de la part de la police dévoile un mes­sage fort et clair qui est loin d’être nou­veau : « épou­mo­nez-vous à mani­fes­ter, mais payez le prix de votre ‘déso­béis­sance’ ». Par cette action, l’État réaf­firme à la popu­la­tion la toute-puis­sance d’un appa­reil répres­sif qu’aucune foi ni loi ne semble condamner.

Qui assume la res­pon­sa­bi­li­té poli­tique de cette ter­reur d’État qui s’installe pro­gres­si­ve­ment depuis que le minis­tère de l’intérieur a été entre les mains d’un ministre d’extrême droite ? Jusqu’où doit-on tolé­rer cette vio­lence phy­sique, ver­bale et sur­tout psy­cho­lo­gique d’une ins­ti­tu­tion qui semble agir avec une carte blanche ? Les fonc­tion­naires qui repré­sentent une ins­ti­tu­tion d’État au voca­bu­laire sexiste, raciste et gros­sier semblent agir en toute impu­ni­té. Ce cau­che­mar est étouf­fé quo­ti­dien­ne­ment par la com­pli­ci­té d’une presse et d’une jus­tice complaisantes.

Nous ne pou­vons taire ni subir ces abus. Des actions légales et juri­diques, ain­si que des actions col­lec­tives doivent se mettre en place, sans tarder.