Un outil de communication entre les pays du Sud serait une alternative pour remettre au devant de la scène les débats populaires qu’on ne veut pas entendre.
Il faut envisager le Sud-Sud, l’Afrique et l’Amérique Latine, car beaucoup de choses nous lient et aller dans le sens d’une construction globale, sans en écarter le tiers-mondisme du Nord-Sud qui nous a donné Aimé Césaire, Frantz Fanon, Jean-Paul Sartre, le Maréchal Tito et le non-alignement du tiers-mondisme à Bandung. Ce sont des choses qu’il faut reprendre dans le Sud-Sud. On constate aujourd’hui l’offensive de groupes super-organisés qui ont rendu l’argent présent dans tous les segments de la vie et imposant sa primauté même dans les relations : sur le plan agronomique, de la souveraineté alimentaire, de la santé, de l’éducation, du logement, la gestion des ressources, l’eau, les mines, la terre. Par exemple, “Véolia” ne respecte pas ses engagements à Bruxelles en matière d’épuration d’eau. Alors comment vont-ils les respecter au Maroc, au Mali ou en Afrique, puisqu’ils ne les respectent même pas dans la capitale de l’Europe ?
Aujourd’hui, certaines entreprises d’agro-alimentaire ont fait des alliances politiques avec des gouvernements africains irresponsables et ont inventé une forme de concession de la terre. Ces contrats, loin d’être transparents, ne visent pas la terre mais plutôt l’eau. L’eau qu’on utilise pour produire un gramme de riz permet de produire trois grammes de céréales. Ma communauté vit de céréales, on n’a pas besoin de vivre du riz. Seulement, le riz rapporte plus d’argent et donc il est exporté. L’Afrique de façon paradoxale s’est retrouvée dans une situation de pénurie d’eau comme aux États Unis, en Inde et en Chine.
En regardant tous ces aspects, nous avons besoin, d’aller vers une consolidation des relations Sud-Sud car des pays comme le Venezuela, la Bolivie, l’Équateur et même l’Argentine ont des nouvelles valeurs qui s’attaquent à ces segments. Ils essayent de socialiser la connaissance. Que doit-on faire de l’or que l’on extraie et qui appartient au pays ? Socialiser l’école ou la santé comme un droit humain est fondamental. Que faire de l’argent du trésor public provenant des ressources naturelle et des impôts ?
Essayons de renforcer les relations Sud-Sud afin de faire revivre ces valeurs qui ont toujours existé, car les communautés ont toujours su définir des mécanismes socialisants et capables d’éviter les exclusions.
Un type de littérature dépassé veut nous faire croire que les gens ne se sont jamais comportés de façon écologique et c’est faux. Les paysans au Sahel durant des siècles avaient des solutions face aux calamités. Chez nous, tout naturellement, il y a le chef de la terre, le chef de l’eau, le chef coutumier… et la nomination de cette chefferie ne se fait pas en conseil des ministres. C’est à partir de certains comportements que l’on peux arriver à être qualifié comme chef de la terre, chef de l’eau, ou chef coutumier et arriver à la pyramide, par contre le chef de village est une nomination familiale qui dépend de l’âge.
Il y a des gens qui sont exclus parce qu’ils ont eu des comportements qu’il ne fallait pas avoir, par exemple chez les Louzo, on dit qu’il ne faut pas toucher la femme de l’autre, si tu le fais tu t’exclus toi-même, ainsi de suite. Donc ceux qui montent dans la pyramide ont des comportements respectueux, des valeurs communautaires et le sens de la responsabilité.
En 2006, lors du forum social mondial à Bamako, j’avais évoqué au maire de la Martinique, Monsieur Garcin Malsa, qu’il était nécessaire de nous rencontrer afin de construire un pont entre les Caraïbes et l’Afrique. D’autres ont vite mis en relation la problématique de la traite négrière, souvent mal expliquée. On nous fait croire que c’est mon ancêtre qui a vendu l’ancien de Garcin. Chez nos frères et sœurs aux Etats-Unis, ce problème se complexifie beaucoup et aujourd’hui ils se battent encore pour leur identité, pour leur droit au travail, pour leur droit à la vie. Ils se disent que si un Américain authentique refuse de faire un travail, moi aussi. Donc, mon frère et ma sœur Africain qui va aux Etats Unis va souvent faire le travail que l’autre a refusé. Ça apprend à l’autre à prendre un fusil et à l’assassiner. Donc j’ai dit à Garcin qu’il faut travailler sur ces actes-là pour nous amener à renforcer d’autres faits d’affranchissements derrière lesquels nos ancêtres se sont battus.
Ma proposition est qu’il faut la participation des Donso, une forme d’organisation sociale au niveau de la région du Sahel. Ce sont des hommes engagés à partir de leurs connaissances de la forêt, de la flore et de la faune. Ils s’occupent de la défense du village, du royaume et de l’empire. Les Donso sont les garants de ce savoir, ils sont les gardiens de ces connaissances forgées dans la lumière des temps. Leurs luttes ont pour objet la construction d’une autonomie de penser, mais aussi d’exister. C’est eux qui avaient cette fonction dans l’empire du Mandé (1235 – 1670), c’est eux aussi qui avaient certains pouvoirs pour le faire. Ils allaient seulement vers certaines connaissances et c’est eux aussi qui ont défini entre le huitième et le dixième siècle la charte du Mandé. La charte du Mandé date d’avant la traite négrière (1222). Dans cette charte, il est écrit noir sur blanc qu’aucun homme n’a le droit d’opprimer l’autre, qu’aucun homme n’a le droit de tuer l’autre sans raison. C’est la libération de l’homme, c’est la revendication des droits humains. Dans la civilisation européenne, la Révolution Française se vante de constituer les peuples civilisés. La remise en cause de l’Afrique par rapport à son histoire n’est pas innocent.
Il est nécessaire de créer des relation avec ces frères et sœurs qui sont dans les Caraïbes, et en Amérique latine, pour qu’ensemble on puisse être regardant sur un certain nombre d’offensives, notamment culturelle. Par exemple, les Etats-Unis refusent de financer l’Unesco depuis 1972. Cette organisation est soumise au Royaume-Uni et la France s’impose de plus en plus. Le monde Arabe se retrouvera étouffé. Le choc des civilisations qui s’annonce sera assimilé à la question raciale. Et les perdants en seront toutes ces cultures qualifiées d’indigène, c’est-à-dire toutes ces cultures liées à la vie.
Un outil de communication entre les pays du Sud serait une alternative pour remettre au devant de la scène les débats populaires qu’on ne veut pas entendre. Les journalistes sont les communicateurs dans la culture occidentale. Chez nous les spécialistes de la narration, ce sont les griots. Ces hommes et ces femmes ont appris l’art de la parole, ils ont suivi leur apprentissage au village de Kéla à 100 Km de Bamako. C’est un endroit où l’on apprends aux gens à parler, et non à parler pour ne rien dire. Par exemple, lorsqu’on dit Djoliba, c’est le nom en Bambara du fleuve Niger et cela veut dire le sang qui traverse neuf pays. Ces communicateurs sont aussi pêcheurs, agriculteurs ou éleveurs capables d’expliquer la symbolique de Djoliba, du Faro, la grande divinité du fleuve Niger, qui va de la Guinée jusqu’au Nigeria. C’est le contenu de la symbolique de nos luttes culturelles, de nos luttes sociales qu’on enseigne à Kéla. Cette expérience est menacée par une offensive cherchant à la dégrader afin d’empêcher les détenteurs de cette connaissance à la transmettre. Simplement parce qu’aucun soutien ne nous est accordé. Dans un pays développé les écoles conventionnelles sont protégées pour leur apport dans la politique du développement.
Aujourd’hui la télévision classique conventionnelle est censurée. Comme j’enseigne aussi, lors d’un test, j’ai interrogé mes étudiant à propos d’un feuilleton qui passe à la télévision. Tous ont très bien répondu à la question du feuilleton, mais malheureusement cette question a été notée d’un point et le reste 19. Cela signifie que tout le monde regarde la télévision. C’est une offensive servant à détourner notre culture et à introduire celle de la mondialisation. La création d’un comportement importé cherche à détruire notre espace publique et le dialogue entre nous. Après un feuilleton chacun va dormir et le lendemain on va au travail et on revient fatigué, puis on va encore regarder le feuilleton… Le feuilleton est là pour nous dire de manger comme aux États-Unis, comment créer des liens sociaux…
Il faut donc un outil de communication participatif qui donne un sens à l’intégration de l’esprit et aux valeurs qui contribuent au vivre ensemble. Il me semble que c’est un moyen de participer à cette définition de la démocratie, la démocratie du peuple par le peuple et pour le peuple. Nous, nous n’avons pas accès à la télévision. Même le jour ou l’on est passé à la télé, beaucoup de gens nous ont appelé pour dire qu’on nous a vu à la télévision, comme si c’était extraordinaire de passer à la télévision. La télévision se résume en trois choses : l’avoir, le pouvoir et le savoir. Le savoir est au service de l’avoir et du pouvoir.
Donc, ça pose la question de quelle télévision alternative ? C’est un débat nouveau chez nous. Au courant de l’année, on nous dit qu’il faut libéraliser la télévision. Chez nous, la télévision publique est sous contrôle politique et policier. Même leurs journalistes ne peuvent pas diffuser ce que je dis ici. Ils ne garderaient que la partie qui les arrange et comme c’est eux qui savent… Le débat n’est pas public et la censure est là, elle appartient à ceux qui ont les moyens de la faire.
Un réseau ne peut pas se construire à main levé, une télévision alternative veut dire un terrain engagé, construit avec des actes engagés, avec toute la visibilité de l’instrumentalisation et de la récupération. Il faut construire ce réseau et l’Afrique doit aller dans ce réseau par la porte du Mali ou bien par n’importe quelle porte. Mais on doit faire attention à qui on met dans ce réseau et à qui nous formons. L’impérialisme sera le premier à infiltrer cet espace. Il aura tout le temps pour saboter, manipuler les messages parce qu’il a déjà toute l’expérience de la télévision. La construction du réseau doit se faire dans une certaine base organisationnelle.
C’est les États-Unis aujourd’hui qui dirigent le nouveau capitalisme mondial et la société universitaire. L’organisation dont nous parlons doit être solide parce qu’elle devra faire face aux attaques. Radio Kayira à été sabotée plusieurs fois et des systèmes interférant on été développés pour que les gens n’y comprennent rien.
Quand nous disons des choses aujourd’hui, ils attendent deux ou trois mois pour contre-attaquer, ils essayent de trouver un élément pour construire un auditoire de paysans favorables à leur discours. L’outil permettant de donner la voix aux autres couches sociales est intéressant et on doit pouvoir se mettre ensemble. Rejoignons les communautés des pays considérés comme marginalisés.