Sur la série de photos « Correction historique » de Maxine Helfman
La photographe étasunienne Maxine Helfman a imaginé un passé différent pour les Africains : sans l’esclavage. Résultat ? Des portraits empruntés à des peintres flamands ou à la Cour des Médicis. L’écrivaine italienne Igiaba Scego les commente.
La photographe Maxine Helfman a grandi dans cette États-Unis de la lutte pour les droits civiques. Cette Amérique de Rosa Parks, Malcolm X, James Baldwin, Martin Luther King. Cette femme blanche, en regardant la lutte des Afro-Américains, a compris que ce système de privilèges blanc et anglo-saxon devait être détruit. Comme beaucoup, sa conscience n’acceptait pas ce monde où les blancs avaient tout et les autres, surtout les Afro-Américains, même pas des miettes. Un monde injuste qui a humilié, déchiré et détruit des corps.
Il a toujours été clair pour elle que son Amérique avait déclaré la guerre aux corps noirs. Pour un Afro-Américain, il était difficile de se former, de rêver, et souvent de rester en vie. Maintenant, nous avons tous sous les yeux les images de George Floyd avec un genou sur la nuque, nous l’avons tous vu mourir il y a quelques mois à peine. Mais George Floyd n’est pas le seul à avoir été brutalement tué par la police dans les années 20 de notre siècle. Les noms des nouveaux martyrs sont si nombreux, de Treyvon Martin à Tamir Rice, de Breonna Taylor à Eric Garner. C’est comme si le XXe siècle aux USA se répétait tel qu’en lui-même. C’est comme si on revenait à cette année 1968 où Martin Luther King a été tué.
Dans sa vie, Maxine Helfman, comme tous les Américains, a vu tout cela, mais au lieu de l’ignorer, de détourner le regard, d’agir comme si de rien n’était, elle a regardé sa société droit dans les yeux et a mis en image tout ce qui n’allait pas. La série (voir ci-dessous) Historical Correction (Correction historique) part de cette injustice, de cette histoire niée. Des hommes et des femmes qui ont souffert et souffrent encore d’un système d’oppression qui dure depuis 400 ans. Des femmes et des hommes qui, dans les photographies de Maxine Helfman, regardent dans nos cœurs et nous interrogent.
À première vue, les personnes représentées sur les photos, habillées comme des Flamands du XVIIe siècle, pourraient faire penser à un cosplay ou au carnaval. En regardant les élégantes photos de Maxine Helfman, qui ne sont qu’en apparence lisses, certains pourraient utiliser des mots comme irréel, inédit, impossible. Mais Maxine et ses « corrections » partent plutôt d’une perspective très réelle. Des photos qui, d’une certaine manière, nous montrent comment la grande Histoire aurait pu se dérouler si l’esclavage et le colonialisme n’avaient pas existé.
Et ici, ces personnages en fraise et à la peau noire nous semblent sortis d’un film de science-fiction, un passé alternatif qui aurait peut-être pu produire un présent alternatif. Mais ses « corrections » nous parlent aussi de la complexité de l’histoire. D’autre part, on oublie souvent que l’histoire de l’Afrique (et donc des Afrodescendants qui ont leurs racines anciennes dans cette Afrique) ne commence pas avec le colonialisme ou la traite transatlantique.
Pour le comprendre, il suffirait de feuilleter le beau volume publié en italien par Einaudi, L’Afrique ancienne, édité sous la direction de François-Xavier Fauvelle, qui nous emmène en balade à travers une histoire qui commence en Afrique il y a vingt mille ans, traverse de nombreux royaumes, et arrive au XVIIe siècle lorsqu’un nouvel ordre mondial envahit le continent. L’Afrique a plus d’une histoire et d’une géographie. Et les Afrodescendants participent également de cette multiplicité d’histoires. C’est là que l’Antiquité nous montre une variété que nous avons rarement étudiée à l’école. Et ici, les fraises, les armures, les bragues, les tuniques ne deviennent pas seulement des « corrections », mais des projections d’une réelle présence noire dans les rues d’Europe.
Il suffirait de regarder un tableau d’un peintre anonyme, Chafariz d’el-Rei (La Fontaine-au-Roi de Lisbonne), daté de 1570 – 80, pour le comprendre. Le tableau, qui se trouve actuellement au Museu Coleção Berardo de Lisbonne, compte plus de 100 personnages, la plupart d’entre eux étant d’origine africaine. Et il y a des gens de toutes sortes et, pour le dire avec un mot moderne, de toutes les classes. Il y a le voleur emmené par les gendarmes, mais il y a aussi le chevalier vêtu d’une riche cape qui se promène en ignorant la foule qui l’entoure. Certaines personnes travaillent dur, d’autres s’adonnent à des tâches domestiques, il y a celles qui dansent, celles qui s’effleurent d’ un baiser, celles qui se ridiculisent. Et ils sont tous là, tous noirs et tous de la Renaissance. Lisbonne était à l’époque une ville où la présence noire était visible, à tel point qu’elle avait un quartier appelé Mocambo où une population d’origine africaine vivait en liberté. Et c’est la grande révélation du tableau conservé à la Coleção Berardo, tous lesAafrodescendants d’Europe n’étaient pas des esclaves, mais il y avait aussi une population de Noirs libres.
Et l’histoire de l’art de la Renaissance et du Baroque apparaît dans ce dialogue avec les photographies de Maxine Helfman. Et ici, dans ces Flamands à la peau noire d’Helfman, il est facile de voir Rubens et Rembrandt, qui ont représenté des personnes d’origine africaine dans leurs peintures. Et ce ne sont pas les seuls noms qui viennent à l’esprit. Il faut citer la digne esclave africaine à la lampe d’Annibale Carracci ; les portraits (de Bronzino à Vasari) du duc de Florence Alessandro de Médicis fils d’une esclave, Simonetta Collevecchio, et d’un pape, puis, pour rester chez les Médicis, le portrait par Pntormo de Maria Salviati et de la petite Giulia de Médicis, la fille d’Alessandro, avec son petit visage rond, qui portait déjà l’Italie et l’Afrique dans cette peau ambrée.
Et puis comment ne pas rappeler Véronèse, Tiepolo, Carpaccio. Un tableau majestueux de ce dernier est conservé aux Galeries de l’Académie de Venise, Miracle de la relique de la Croix au pont du Rialto (ou Guérison du fou) de 1494. Le miracle du titre est confiné dans une petite loggia latérale, au centre au contraire, outre la vie trépidante de Venise, avec ses commerces et ses bavardages, il y a un garçon noir, un gondolier, vêtu de rouge et portant des bas à motifs géométriques. Un gondolier qui domine la scène avec son élégance et qui, rien qu’en étant là, au centre de l’image, nous fait comprendre à quel point Venise était internationale même dans ces siècles anciens.
Dans la même salle de la galerie se trouve un tableau de Gentile Bellini, Le Miracle de la Croix tombée dans le canal de San Lorenzo, qui semble presque dialoguer avec ce gondolier. En fait, parmi les nombreux plongeurs qui plongent pour récupérer la relique, il y a aussi un garçon africain, que Bellini peint torse nu avec une femme à ses côtés, peut-être une domestique comme lui ou qui sait, sa maîtresse, qui lui tient la main. Une scène qui nous montre en deux temps trois mouvements comment non seulement Venise, mais aussi toute l’Europe, était plus multiethnique que nous ne l’avions jamais imaginé.
Pour combler cette lacune sur les présences noires sur le continent, le livre d’Olivette Otele, première historienne d’origine africaine titulaire d’une chaire de Grande-Bretagne, African Europeans, the untold history. Un livre très attendu qui, comme les photos de Maxine Helfman, promet de corriger le regard de l’Occident.
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