Recovery Fund : la fourmi de dix-huit mètres

Par Dante Baron­ti­ni

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Contro­pia­no


Tra­duit par Vanes­sa De Pizzol

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Le 21 juillet 2020, les diri­geants de l’UE se sont mis d’ac­cord sur un ensemble com­plet de mesures d’un mon­tant de 1 824,3 mil­liards d’eu­ros asso­ciant le cadre finan­cier plu­ri­an­nuel (CFP) et un effort de relance extra­or­di­naire, Next Gene­ra­tion EU. Cet ensemble de mesures aide­ra l’UE à se recons­truire après la pan­dé­mie de COVID-19 et sou­tien­dra les inves­tis­se­ments dans les tran­si­tions verte et numérique.

Réunis en per­sonne à Bruxelles, les diri­geants de l’UE se sont mis d’accord sur un effort de relance de 750 mil­liards d’eu­ros des­ti­né à aider l’UE à faire face à la crise pro­vo­quée par la pan­dé­mie de COVID-19 et sur un bud­get à long terme de l’UE de 1 074 mil­liards d’eu­ros pour la période 2021 – 2027.

C’é­tait le pre­mier som­met réunis­sant phy­si­que­ment les diri­geants de l’UE depuis l’ap­pa­ri­tion de la pandémie.

Mots-clés

Le plan de relance pour l’Eu­rope et sur le bud­get 2021 – 2027

Égra­ti­gner le mur de men­songes qui s’est éle­vé à pro­pos du Reco­ve­ry Fund est dif­fi­cile, mais pas impos­sible. Il faut du temps, de la patience, de l’attention. Et le “risque” est fort que d’ici peu la réa­li­té réus­sisse à s’imposer, brû­lant le voile de bêtises répé­tées sur­tout par les ministres, les édi­to­ria­listes du dimanche, les pré­sen­ta­teurs de JT sans colonne ver­té­brale ni professionnalisme.

De notre côté, nous avons dès le départ indi­qué cer­tains points très cri­tiques, qui font dou­ter de l’applicabilité du méca­nisme déci­sion­nel pen­sé pour le seul Reco­ve­ry Fund (et le Bud­get euro­péen lui-même, auquel il est lié). Dans tous les cas, nous conti­nuons à démon­ter, seul ou en très bonne com­pa­gnie, le conte­nu finan­cier du “plan”.

Mais si c’est jus­te­ment Mario Mon­ti (ancien Com­mis­saire euro­péen, ancien pré­sident du conseil, ancien lea­der d’un petit par­ti per­son­nel qui n’a pas sur­vé­cu, membre de longue date du groupe Bil­de­berg, esta­blish­ment “euro­péiste” pur et dur, etc.) qui, dans le cadre d’un petit dis­cours édi­fiant et fal­la­cieux, émet les mêmes réserves, alors il doit bien y avoir un vrai problème.

La phrase sibyl­line qui lui a échap­pée dans un texte dont l’enthousiasme est miti­gé sur le Cor­riere, a été repé­rée par quelques-uns, avant d’être rapi­de­ment éta­lée au grand jour : « Le bud­get de l’UE 2021 – 27 et le Reco­ve­ry Fund, pour pro­duire leurs effets, exigent que la déci­sion sur les nou­velles res­sources propres soit rati­fiée par tous les États membres, comme s’il s’agissait d’une modi­fi­ca­tion des Trai­tés (et peut-être que cer­tains pays auront l’idée de recou­rir au référendum…) ».

Seule­ment quelques lignes pour évo­quer que ce qui a été “conclu” au Conseil euro­péen à pro­pos des mil­liards magiques qui devraient « pro­ve­nir de l’Europe » est en ins­tance. Il s’agit pour l’instant d’une pro­po­si­tion, rien de plus, que 27 Par­le­ments natio­naux au bas mot devront approu­ver. Et les popu­la­tions de cer­tains pays, c’est bien connu, ont été entraî­nées au cours des der­nières années à per­ce­voir les “Médi­ter­ra­néens” comme de nui­sibles cigales pique-sous. Même si dans la réa­li­té, c’est l’exact oppo­sé qui a lieu (il suf­fi­rait de rap­pe­ler les rebates – réduc­tions sur les contri­bu­tions à ver­ser au bud­get com­mu­nau­taire – ou le scan­da­leux dum­ping fis­cal effec­tué aux dépens des partenaires).

Cette condi­tion poli­ti­que­ment instable ne sera tirée au clair que dans les pro­chains mois. Et seule­ment après un accord des 27 à l’unanimité, on pour­ra éven­tuel­le­ment com­men­cer à rai­son­ner sur la dis­tri­bu­tion des fonds réunis par l’endettement nor­mal sur les “mar­chés” ; bref, par les dettes publiques qui iront s’ajouter à celles qui sont déjà en cours.

Mon­ti écrit en fait : « Nous ne devons pas nous leur­rer sur le fait que le “super-frein” que Rutte, comme à son habi­tude, vou­lait (la pos­si­bi­li­té pour un pays pris indi­vi­duel­le­ment de blo­quer les ver­se­ments sur le Reco­ve­ry Fund aux pays qui ne res­pec­te­raient pas les condi­tions conve­nues), dans la mesure où il n’est pas adop­té par le Conseil euro­péen, ne fasse plus par­tie du débat ».

Nos ministres, édi­to­ria­listes, lea­ders d’opposition, etc. nous ont bom­bar­dés du mes­sage tota­le­ment oppo­sé (« Coup por­té aux popu­listes : c’est un nou­veau départ pour l’Europe »), alors que tout le débat public repose sur « que ferons-nous de tout cet argent ».

En réa­li­té, la situa­tion est tout autre. Ce méca­nisme de gover­nance inven­té pour le Reco­ve­ry Fund — Com­mis­sion euro­péenne (“gou­ver­ne­ment”) plus « majo­ri­té qua­li­fiée du Conseil euro­péen » (som­met des 27 chefs d’État et de gou­ver­ne­ment) – n’est pré­vu par aucun trai­té de l’UE.

Il équi­vaut donc, léga­le­ment, à un nou­veau trai­té, qui doit être approu­vé au niveau natio­nal. Tant qu’il n’y a pas de vote par­le­men­taire de tous les pays, ce dis­po­si­tif baroque n’a, tout sim­ple­ment, aucune exis­tence.

Mais si ce dis­po­si­tif n’existe pas, les 750 mil­liards dont on parle à tort et à tra­vers n’existent pas non plus. « Il suf­fit qu’un seul Par­le­ment vote “non” , explique Mon­ti lui-même, Pas de res­sources propres. Pas de pos­si­bi­li­tés pour l’UE de s’endetter sur le mar­ché. Pas de bud­get sep­ten­nal. Pas de Reco­ve­ry Fund ».

Bref, nos fai­seurs d’opinions devraient s’équiper d’un rosaire et allu­mer un cer­tain nombre de cierges pour que la Vierge Marie inter­vienne sur les cer­veaux des dépu­tés – ou, irais-je même jusqu’à dire, de l’électorat – d’un pays « fru­gal » pour les convaincre de pro­non­cer le « oui » tant attendu.

Mon­ti, chien de garde féroce de l’establishment conti­nen­tal, nous conseille en fait de ne pas suivre les « par­le­men­taires sou­ve­rai­nistes hol­lan­dais », dont l’insupportable Rutte est le repré­sen­tant le moins fruste, « de démon­trer qu’eux, oui, savent être intran­si­geants envers les pays qui ne maî­trisent pas leur éco­no­mie, contrai­re­ment à ce mol­las­son de Rutte… »

Com­ment faire pour les convaincre ? C’est simple : faire en vitesse ce qu’eux, avec tout l’establishment euro­péen, exigent de nous et des autres “Médi­ter­ra­néens” : « Il est essen­tiel que notre pays donne des signes concrets et rapides de sa volon­té et sa capa­ci­té à réa­li­ser sérieu­se­ment ce qui est béné­fique pour notre éco­no­mie et que l’UE nous demande de faire, parce que nous sommes une pièce impor­tante de l’Europe ».

Pour par­ler sans équi­voque : faire des coupes bud­gé­taires dans les dépenses pour les retraites, l’éducation, la san­té, l’administration publique (comme cela est expli­ci­te­ment men­tion­né dans le texte de l’“accord” concer­nant le Reco­ve­ry Fund).

Tout cela pue les “condi­tions à res­pec­ter” , direz-vous ? Même si tout le monde affirme qu’il n’y en a pas ici, alors que dans le MES oui (quelques-uns, plus men­teurs que la moyenne, seraient même capables de dire que même dans le deuxième cas il n’y en a pas…) ?

Eh bien, Mon­ti vous le rap­pelle, du ton sar­do­nique qui est le sien : « Qu’ils com­portent ou non des formes expli­cites de condi­tions à res­pec­ter, les aides des autres se trouvent cepen­dant en posi­tion subalterne ».

Jusqu’à citer expli­ci­te­ment le pauvre Dante Ali­ghie­ri et son « come sa di sale lo pane altrui, e come è duro calle lo scen­dere e’l salir per l’altrui scale » [« Et tu feras l’essai du goût amer du sel sur le pain étran­ger ; tu sau­ras s’il est dur de mon­ter et des­cendre les esca­liers d’autrui ».]

Le dis­cours est clair : il n’y a pas de “contri­bu­tions à fonds per­du”, il n’y a aucune soli­da­ri­té euro­péenne, mais uni­que­ment des prêts sous condi­tions et très, mais très “salés”. Non pas en termes d’intérêts à payer, peut-être, mais cer­tai­ne­ment en termes d’autonomie déci­sion­nelle et de “rai­son sociale”.

Pire. Il n’est même pas dit que cet argent sera dis­po­nible. Car, jus­te­ment, « le non d’un Par­le­ment suf­fi­rait ».

Ce que ne disent ni Mon­ti ni les autres – car ils devraient enta­mer une lourde réflexion sur le pas en arrière fait en direc­tion d’une “approche inter­gou­ver­ne­men­tale” ouver­te­ment conflic­tuelle – c’est que cette incer­ti­tude pro­cé­du­rale construite comme un « cau­tère sur une jambe de bois », repo­sant sur un désac­cord incon­ci­liable entre des groupes de pays ayant des inté­rêts et une situa­tion de dette (publique) dif­fé­rents, sera un très sérieux pro­blème pour l’architecture euro­péenne. Même si l’approbation l’emportait.

Avec une “inno­va­tion” digne d’une cause plus impor­tante, c’est en fait un “gou­ver­ne­ment de mino­ri­té” qui a été ébau­ché, selon lequel il suf­fit de créer un groupe de pays repré­sen­tant 35% de la popu­la­tion conti­nen­tale pour blo­quer tout ver­se­ment des fonds à un pays consi­dé­ré (à tort ou à rai­son peu importe) “défaillant” dans la réa­li­sa­tion de cer­taines “réformes”.

En ce moment, cette mino­ri­té ayant un pou­voir de veto poten­tiel est repré­sen­tée par les cinq “fru­gaux” (Pays-Bas, Autriche, Dane­mark, Suède, Fin­lande) qui ne dis­posent cepen­dant pas du poids démo­gra­phique suf­fi­sant. Il suf­fi­rait tou­te­fois que l’Allemagne (avec un autre pays, même de petite dimen­sion) s’aligne sur un de leurs “niet” pour que les jeux soient faits.

Ber­lin se retrouve de la sorte avec le joys­tick déci­sif entre les mains, tan­dis que dans la chro­nique elle passe pour un “média­teur solidaire”…

Le soup­çon que toute cette esbroufe de quatre jours soit conve­nue est en somme bien plus qu’un soup­çon malveillant.

Mais au moment où l’on aurait déclen­ché ce piège à la gorge d’un des mal­heu­reux “Médi­ter­ra­néens” – et l’Italie est le pre­mier sus­pect, pour l’instant – on peut faci­le­ment ima­gi­ner une évo­lu­tion future des ins­ti­tu­tions euro­péennes carac­té­ri­sée  par des « mino­ri­tés de blo­cage variables » sur tel ou tel sujet, par rétor­sion ou jeu d’usure.

Manœu­vrer un conti­nent avec ces pré­mices, en plein cœur de la crise la plus grave depuis l’après-guerre, ne semble pas très facile. Il ne suf­fit pas d’être féroce, pour gagner les guerres. On devrait pour­tant bien s’en sou­ve­nir à Ber­lin, et du côté des Boers comme Rutte…