Backlash : l’inévitable retour de bâton

Publié avec l’ai­mable auto­ri­sa­tion de Caro­line, dont nous vous invi­tons à visi­ter son blog  trai­tant des inéga­li­tés femmes-hommes.

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“Antiracismes, féminismes… : les mots du contre-pouvoir.”

UZIN - La fabrique des idées
FR - 1 heure

A chaque avan­cée fémi­niste, cer­tains hommes sont affo­lés par la pers­pec­tive de devoir aban­don­ner leur posi­tion de domi­nants, leurs pri­vi­lèges indus, leurs fan­tasmes de puis­sance. C’est ce qu’on appelle le back­lash (ou retour de bâton en bon français).

Alors que les cou­tures du vieux monde cra­quellent de par­tout, et que ses habi­tants s’accrochent avec déses­poir à leur trône bran­lant (en décer­nant des Césars à un pédo­phile mul­ti­ré­ci­di­viste, par exemple), les femmes qui appellent de leurs vœux un monde plus éga­li­taire, plus res­pi­rable et plus ouvert ne peuvent consta­ter qu’une chose : leurs reven­di­ca­tions font peur. 

Plus que la domi­na­tion mas­cu­line, plus que le viol, plus que l’abus de pouvoir. 

A chaque avan­cée fémi­niste, puisque c’est de cela qu’il s’agit, cer­tains hommes (mais aus­si cer­taines femmes) ruent dans les bran­cards, affo­lés par la pers­pec­tive de devoir aban­don­ner leur posi­tion de domi­nants, leurs pri­vi­lèges indus, leurs fan­tasmes de puissance.

C’est ce qu’on appelle le back­lash (ou retour de bâton en bon fran­çais). Dans son ouvrage épo­nyme, paru en 1991, l’autrice Susan Falu­di écri­vait qu’il s’agit d’un phé­no­mène récur­rent, qui « revient à chaque fois que les femmes com­mencent à pro­gres­ser vers l’égalité, un gel appa­rem­ment inévi­table des brèves flo­rai­sons du fémi­nisme ». A cette époque, les droits des femmes subis­saient une contre-offen­sive visant à faire croire que l’égalité avait déjà été atteinte et que « le che­min qui conduit les femmes vers les som­mets ne fait que les pré­ci­pi­ter, en réa­li­té, au fond de l’abîme ».

Parce qu’ils ne sup­portent pas l’idée d’un monde non pola­ri­sé, non fon­dé sur des logiques de domi­na­tion (hommes/femmes, forts/faibles…), les tenant-es de l’ordre ancien n’hésitent pas à sor­tir les larmes de cro­co­dile et à dégai­ner une rhé­to­rique qui vise à muse­ler les ardeurs éga­li­taires des femmes. On le ver­ra, les argu­ments et élé­ments de lan­gage aux­quels ils recourent sont les mêmes depuis des décen­nies : consub­stan­tiels à l’émergence du fémi­nisme, ils n’ont jamais changé. 

« On est en train de détruire l’amour et les relations hommes/femmes ! 

C’est la famille qu’on assassine ! 

Les hommes sont perdus, dépossédés d’eux-mêmes ! 

On ne peut plus rien dire ! »

La rhé­to­rique anti-fémi­niste est soli­de­ment ancrée ; elle ne varie pas d’une époque à une autre. De tous temps, les femmes aspi­rant à l’égalité ont été accu­sées de vou­loir détruire les hommes, la famille, l’amour, le sexe, la paix  dans le monde (sacré pou­voir qu’on leur confie là). Qu’elles demandent le droit de vote ou le droit de pou­voir avor­ter, elles ont à chaque fois été accu­sées de nour­rir des vel­léi­tés de ven­geance et de destruction.

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Où l’on apprend que le patriar­cat est un « fan­tasme », que pré­fé­rer le foot fémi­nin est une tare, et où l’on res­sort l’argument made in 18e siècle de la folie.

La cita­tion de l’évangéliste amé­ri­cain Pat Robert­son, en 1992, est à cet égard deve­nue culte : « Le fémi­nisme est un mou­ve­ment poli­tique socia­liste et anti-famille, qui encou­rage les femmes à quit­ter leurs maris, à tuer leurs enfants, à pra­ti­quer la sor­cel­le­rie, à détruire le capi­ta­lisme et deve­nir lesbiennes ». 

N’oublions pas que les droits qui nous paraissent « nor­maux », voire évi­dents aujourd’hui – voter, dis­po­ser de son propre compte en banque, pou­voir tra­vailler sans l’accord d’un quel­conque cha­pe­ron, avoir libre­ment accès à la contra­cep­tion – étaient consi­dé­rés il y a quelques décen­nies comme une mons­truo­si­té, une défiance à l’ordre (sup­po­sé­ment) natu­rel, une menace pour la socié­té tout entière. Les affiches de pro­pa­gande qui émaillent l’article en sont le dou­lou­reux témoin. 

Les droits que les femmes s’acharnent désor­mais à conqué­rir – le droit de ne pas subir de vio­lences sexistes et sexuelles, de ne pas être har­ce­lée au tra­vail, d’être payée autant que les hommes, d’avoir accès aux mêmes postes que les hommes, etc – se voient oppo­ser la même résis­tance que celle qui avait cours autre­fois pour le droit de vote, le droit d’avorter, le droit de tra­vailler, etc.

L’Histoire se répète inlas­sa­ble­ment ; le retour de bâton est tou­jours fidèle au rendez-vous.

Voyons alors, au tra­vers des « argu­ments » les plus cou­ram­ment usi­tés, com­ment les femmes (et le fémi­nisme en géné­ral) deviennent des boucs émis­saires dès lors qu’elles com­mencent à reven­di­quer leurs droits.

1) LE FÉMINISME DÉTRUIT LA FAMILLE

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Selon cette affiche de pro­pa­gande amé­ri­caine contre le suf­frage fémi­nin, le droit de vote des femmes serait un « dan­ger » pour le foyer, le com­merce et l’emploi des hommes. Pire qu’une épi­dé­mie mon­diale, en somme. Les anti­fé­mi­nistes ont déci­dé­ment le sens de la mesure

Néan­moins, il est cer­tain que les idéaux patriar­caux d’une famille cen­trée sur un chef qui détient les cor­dons de la bourse et l’autorité (ce qui va géné­ra­le­ment de pair), et dans laquelle la femme est assi­mi­lée aux enfants qu’elle met au monde avec la régu­la­ri­té d’un métro­nome, est plus que mena­cée par les reven­di­ca­tions fémi­nistes. Mais peut-on vrai­ment regret­ter la dis­pa­ri­tion pro­gres­sive de cette configuration… ?

(Ques­tion pure­ment rhé­to­rique. Enfin, j’espère).

Dans « The femi­nine mys­tique », paru en 1963, l’autrice amé­ri­caine Bet­ty Frie­dan évo­quait ces foyers de ban­lieue que la publi­ci­té et la pro­pa­gande post-Seconde Guerre Mon­diale cher­chaient à faire appa­raître comme émi­nem­ment dési­rables, et dans les­quels se mou­raient des mil­lions de mères au foyer dés­œu­vrées, shoo­tées aux médi­ca­ments et à l’ennui. La des­truc­tion de ces poches de déses­poir, où l’épouse n’était dans la plu­part des cas qu’une ména­gère inter­chan­geable, me paraît être l’une des meilleures choses qui soit arri­vée au 20 siècle.

A titre per­son­nel, je remer­cie les com­bats fémi­nistes sans les­quels j’aurais pro­ba­ble­ment été condam­née à la même vie que ma grand-mère – mariée à 19 ans, mère de trois enfants à 21 ans, un avor­te­ment illé­gal qui a failli la tuer, et les murs de la cui­sine pour seul horizon.

Et rap­pe­lons à tous ceux qui geignent que le fémi­nisme « éloigne les femmes de leur famille et/ou de leurs enfants », qu’il leur per­met sim­ple­ment de pou­voir choi­sir la vie qu’elles veulent mener. Le pack « mari et enfants » n’étant aucu­ne­ment indis­pen­sable au bon­heur, il se peut que par­fois celui-ci passe à la trappe (encore plus fou : il se peut que cer­taines femmes ne soient pas hété­ro­sexuelles). De plus, une famille se construit à deux et la démis­sion des hommes en matière domes­tique et paren­tale n’est désor­mais plus consi­dé­rée comme « natu­relle », mais comme une carence. On ne peut que se réjouir que les conjoints et pères fic­tifs reçoivent de moins en moins d’indulgence.

Et pour cause : on sait désor­mais que l’absence des pères pro­duit des effets néga­tifs sur le déve­lop­pe­ment des enfants, mais aus­si que les enfants dont les parents sont tous deux actifs sont plus heu­reux et réus­sissent mieux que les enfants dont la mère ne tra­vaille pas. 

Oh, et les couples dans les­quels les deux membres se par­tagent équi­ta­ble­ment les tâches sont les plus heu­reux – bonus non négli­geable, ils ont aus­si la vie sexuelle la plus épanouie. 

Bref : si quelque chose détruit les familles (et l’amour en géné­ral), c’est sur­tout le sys­tème patriarcal.

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Le 6 mars 1960, il y a donc soixante ans, les hommes gene­vois accor­daient aux femmes du can­ton, par 55,4% des voix, le droit de vote et d’éligibilité.

2) LE FÉMINISME DÉTRUIT LES RELATIONS ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES 

C’est l’argument clas­sique par excel­lence, qui revient dans la bouche des anti­fé­mi­nistes avec la même constance que la gas­tro-enté­rite au mois de décembre. Est géné­ra­le­ment sui­vi par : « aux États-Unis, on ne peut plus prendre l’ascenseur avec une femme ! » (spoi­ler : c’est un mythe. Lais­sez les ascen­seurs en dehors de tout ça). 

Cet argu­ment est d’autant plus énig­ma­tique qu’il est sou­vent employé lors des dis­cus­sions sur les vio­lences faites aux femmes, comme si l’amour et la vio­lence avaient quelque chose à voir l’un avec l’autre.

Ne nous leur­rons pas : il ne s’agit ni plus ni moins que d’une ten­ta­tive de faire taire les femmes, parce qu’on se sent concer­né et/ou parce qu’on craint de perdre d’antiques pri­vi­lèges fon­da­teurs de la mas­cu­li­ni­té traditionnelle.

On peut s’interroger sur le fait que beau­coup d’hommes ne se sentent pleins et entiers que par l’exercice de leur domi­na­tion, envi­sa­gée comme une démons­tra­tion de viri­li­té. Je vous ren­voie vers cet article sur la mas­cu­li­ni­té toxique, qui explique com­ment la mas­cu­li­ni­té s’appréhende et se construit en tant qu’outil de pouvoir. 

Quoi qu’il en soit, les rap­ports femmes-hommes sont bien plus mena­cés par les vio­lences que com­mettent les hommes sur les femmes que par la dénon­cia­tion de celles-ci. Notre indi­gna­tion devrait plu­tôt se diri­ger vers l’incurie de la jus­tice, qui trans­forme les vic­times en cou­pables et punit un seul vio­leur (dénon­cé) sur dix.

Je ne sais pas vous, mais un monde sans domi­na­tion ni vio­lences me paraît bien plus pro­pice à l’amour et au sexe, et plus lar­ge­ment aux rap­ports (fra­ter­nels, ami­caux…) entre les femmes et les hommes.

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3) LES HOMMES SONT EN CRISE A CAUSE DES REVENDICATIONS DES FEMMES

Pour les anti­fé­mi­nistes, les femmes ne reven­di­que­raient pas seule­ment l’égalité et la pos­si­bi­li­té de choi­sir pour elles-mêmes : elles vou­draient aus­si prendre la place des hommes. Ce rai­son­ne­ment sous-entend que les hommes et les femmes dis­posent d’une essence propre, d’une place spé­ci­fique et immuable qui ren­drait impos­sible le « mélange » des genres tels qu’ils sont codifiés. 

Parce que les hommes repré­sentent la norme dans l’inconscient col­lec­tif, le fait que les femmes mani­festent le désir d’obtenir les mêmes droits – et donc de se pla­cer au centre à leur tour – appa­raît comme une défiance. Cela entraî­ne­rait de fac­to un brouillage des fron­tières qui remet en ques­tion l’ordre social tel qu’ils le conçoivent : un chan­ge­ment de para­digme insupportable. 

Selon cette grille de lec­ture, les femmes ne réclament donc pas la pos­si­bi­li­té d’être des sujets de droit : elles veulent deve­nir des hommes. 

Les hommes se féminisent ! 

Les femmes se trans­forment en hommes ! 

Éjec­tés de leur trône, désor­mais inaptes à domi­ner, les hommes perdent leur rai­son d’être. L’égalité devient une menace parce qu’elle attente aux fon­da­tions mêmes de leur iden­ti­té. S’ils ne peuvent plus se pré­va­loir d’une quel­conque supé­rio­ri­té, qui sont-ils réel­le­ment, et à quoi servent-ils ? S’il n’y a pas de « place » atti­trée pour chaque sexe, alors les fon­da­tions sur les­quelles leur vie s’est construite ne seraient-elles fina­le­ment que des mensonges ?

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Au début du XXe siècle, la pro­pa­gande anti-suf­frage sug­gé­rait que si les femmes obte­naient le droit de vote, elles ne s’ar­rê­te­raient pas là ; bien­tôt, elles sup­plan­te­raient les hommes dans la socié­té et devien­draient le sexe domi­nant relé­guant les hommes à un sta­tut secon­daire dans la socié­té, c’est-à-dire au rôle ser­vile occu­pé aupa­ra­vant par les femmes.

Comme le démontre brillam­ment l’autrice Oli­via Gaza­lé dans son ouvrage « Le mythe de la viri­li­té », l’argument de la crise de la mas­cu­li­ni­té existe depuis des siècles. C’est une antienne bien connue, qu’on entend depuis l’époque de la Rome antique et qui a fait entendre son chant plain­tif aus­si bien à l’époque de la Révo­lu­tion de 1789 que dans l’entre-deux guerres et les États-Unis des années 1950 – et dans le monde occi­den­tal au XXIe siècle, donc.

Si le malaise mas­cu­lin existe, il est sur­tout l’illustration d’une impos­si­bi­li­té, pour cer­tains hommes de décor­ré­ler la mas­cu­li­ni­té de la domi­na­tion sur les femmes. Main­te­nant que la viri­li­té n’est plus (sys­té­ma­ti­que­ment) syno­nyme de supé­rio­ri­té ni de pri­vi­lèges, quelle place les hommes doivent-ils occuper ?

La réponse devrait être simple (celles qu’ils veulent), mais dans un monde où tout est nor­mé, struc­tu­ré, hié­rar­chi­sé, elle se heurte à de nom­breuses résistances.

 

4) L’AVORTEMENT VA ÊTRE UTILISÉ COMME UN MOYEN DE CONTRACEPTION (OU : LES FEMMES SONT TROP STUPIDES POUR FAIRE UNE UTILISATION RATIONNELLE DE LEURS DROITS)

Irra­tion­nelles, irres­pon­sables (ose­rais-je ajou­ter le désor­mais célèbre hys­té­riques ?), les femmes ont long­temps été affu­blées des pires maux, cen­sés jus­ti­fier leur mise à l’écart de la vie publique. 

A cet égard, la léga­li­sa­tion de l’avortement mena­ce­rait direc­te­ment la socié­té, puisque les femmes se trans­for­me­raient sou­dain en « tueuses d’enfants » (une acti­vi­té sym­pa à caler le week-end, entre la pis­cine et le ciné) et uti­li­se­raient la pilule abor­tive comme on gobe des Smarties. 

Cet argu­ment labo­rieux ne cache en réa­li­té que la volon­té de ceux qui l’emploient de contrô­ler la sexua­li­té des femmes, et donc d’entraver l’autonomie de ces dernières. 

Le corps fémi­nin a en effet de tous temps été uti­li­sé comme un outil d’asservissement par les mater­ni­tés consé­cu­tives, le viol comme arme de guerre, ou encore l’impossibilité d’avorter dans de bonnes condi­tions sanitaires.

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“Elles vont uti­li­ser l’a­vor­te­ment comme méthode de contra­cep­tion”… Pro­pa­gande du mou­ve­ment Pro Vida a pour objec­tif de stig­ma­ti­ser, de trai­ter les femmes d’i­gno­rants, afin de conti­nuer à gar­der la tutelle elles.

Si l’on regarde les chiffres, on constate que la ten­dance du nombre d’avortements est tou­jours la même, quel que soit le seuil rete­nu après une baisse de la fré­quence des avor­te­ments au début des années 1980, les chiffres sont désor­mais stables. 

En France, depuis le début des années 2000, le nombre d’IVG est com­pris entre 215 000 et 230 000 chaque année. Avant la loi Veil de 1975, le nombre d’IVG était esti­mé à plus de 200 000 chaque année (dif­fi­cile néan­moins d’en faire une esti­ma­tion exacte, faute de don­nées offi­cielles). Il a donc peu varié. Mais une chose est sûre : que l’IVG soit illé­gale ou auto­ri­sée, les femmes ne cessent jamais d’avorter – parce qu’un acci­dent est vite arri­vé, parce que le risque 0 n’existe pas, parce qu’aucun moyen de contra­cep­tion n’est entiè­re­ment fiable. Péna­li­ser l’avortement n’a donc aucun effet, si ce n’est celui de mettre les femmes en danger. 

Par ailleurs, c’est avoir une vision bien fan­tas­mée de l’avortement que de croire qu’il peut être uti­li­sé comme un « moyen de contra­cep­tion ». D’abord, la contra­cep­tion vise à rendre les rap­ports sexuels infé­conds, et non à inter­rompre une gros­sesse déjà enga­gée. Ensuite, subir une IVG n’a rien d’une balade de san­té : c’est une pro­cé­dure qui néces­site de se rendre à l’hôpital, et qui est sou­vent dou­lou­reuse. A moins d’être com­plè­te­ment maso, aucune rai­son, donc, d’utiliser l’avortement comme un « moyen de contraception »… 

Il est inté­res­sant de noter que les oppo­sants à la léga­li­sa­tion de la contra­cep­tion (eh oui : la contra­cep­tion a été inter­dite jusqu’en 1967) uti­li­saient les mêmes argu­ments, arguant qu’une contra­cep­tion en libre accès trans­for­me­rait le pays en bai­so­drome géant. « Nous n’allons pas sacri­fier la France à la baga­telle », ton­nait alors le géné­ral de Gaulle. Plus de 50 ans plus tard, force est de consta­ter que le pays n’a pas irré­mé­dia­ble­ment som­bré dans la luxure et la débauche, mais que la léga­li­sa­tion de la contra­cep­tion a per­mis aux femmes – et aux couples en géné­ral – de choi­sir si et quand elles auraient des enfants. Et ça, c’est un progrès.

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Des femmes libé­rées… mais à quel prix ?

5 ) LE FÉMINISME REND LES FEMMES MALHEUREUSES (ET MOCHES, ET SEULES, ET STÉRILES)

C’est l’antienne pré­fé­rée des médias conser­va­teurs, qui s’entêtent à nous faire croire qu’il est impos­sible d’être à la fois indé­pen­dante, épa­nouie dans son tra­vail et heu­reuse dans son couple (si on l’est en couple, ce qui n’est pas un gage de bien-être pour les femmes hétérosexuelles). 

Comme si le fait d’être une femme « libre » venait néces­sai­re­ment avec un prix à payer – une sorte de puni­tion, ver­sion soft du bûcher des sorcières. 

Dans les années 1980, le back­lash anti­fé­mi­niste s’est cris­tal­li­sé sur le céli­bat des femmes, consé­quence sup­po­sée de leur quête d’indépendance. De nom­breux médias se sont empa­ré du sujet, titrant en cou­ver­ture : « La plu­part des femmes céli­ba­taires de plus de 35 ans peuvent oublier le mariage » (People Maga­zine) ou encore « Les femmes de 40 ans ont plus de chances de mou­rir dans une attaque ter­ro­riste que de se marier » (News­week). Bien enten­du, ce céli­bat serait source d’infinies souf­frances, puisque le mariage est la seule et unique aspi­ra­tion des femmes. 

Depuis, les réacs ont refour­bi leurs armes, pro­ba­ble­ment conscients du ridi­cule de leurs allé­ga­tions. Mais les articles sur les femmes « sur­di­plô­mées et céli­ba­taires » ou sur les « dif­fi­cul­tés d’être une femme indé­pen­dante » conti­nuent de fleu­rir, semant l’air de rien un déli­cat vent de panique dans la popu­la­tion fémi­nine. Le mes­sage sous-jacent est tou­jours le même : sur­tout, ne faites pas trop d’études et ne soyez pas trop intel­li­gente, ou vous ris­que­riez de pas­ser à côté de votre des­tin natu­rel. Sur­tout, assu­rez-vous de ne pas trop repous­ser vos pro­jets de mariage et de mater­ni­té (et c’est là que l’horloge bio­lo­gique, concept inven­té dans les années 1980, entre en scène). 

Il y a quelques décen­nies, de nom­breuses affiches de pro­pa­gande dépei­gnaient les suf­fra­gettes comme des monstres ambu­lants. « Vou­lez-vous que les femmes deviennent comme ça ? » inter­roge cette affiche alle­mande contre le vote fémi­nin, sur laquelle on peut voir une sorte de créa­ture mi-femme mi-épou­van­tail. Le fémi­nisme n’aurait pas seule­ment la facul­té de détruire les foyers et d’affaiblir les hommes : il ren­drait éga­le­ment les femmes par­ti­cu­liè­re­ment repoussantes.

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Au début du 20e siècle, les théo­ries en vogue affir­maient qu’un effort men­tal trop intense repré­sen­tait un dan­ger pour la fer­ti­li­té des femmes. Le vote ris­quait donc d’atrophier leurs ovaires… et de les rendre stériles.

De nos jours, on ne peut que rire de cette théo­rie conster­nante ; cepen­dant, l’idée que le fémi­nisme serait nocif pour les femmes, qu’il ren­drait au choix infer­tiles, laides, mal­heu­reuses ou céli­ba­taires à vie – voire tout ça en même temps – infuse encore notre incons­cient collectif.

L’assimilation des femmes indé­pen­dantes aux sor­cières ne date évi­dem­ment pas d’hier. On sait que des mil­liers de femmes ont été brû­lées à la Renais­sance pour avoir mani­fes­té des vel­léi­tés d’indépendance, qu’il s’agisse de s’affranchir du mariage et de la mater­ni­té, ou d’empiéter sur le ter­ri­toire pro­fes­sion­nel des hommes.

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Qu’on les accuse de man­ger leurs enfants, de pra­ti­quer la sor­cel­le­rie, de détruire la cel­lule fami­liale, de fra­gi­li­ser les hommes ou n’importe quelle autre allé­ga­tion fan­tai­siste, les fémi­nistes portent en tout cas de lourdes res­pon­sa­bi­li­tés sur leurs épaules. 

Dom­mage, car l’autonomie des femmes a de réelles ver­tus (ah, écrire cette phrase en 2020...). On peut notam­ment évo­quer le fait que plus les entre­prises comptent de femmes dans leurs ins­tances de direc­tion, et plus elles sont per­for­mantes, que les femmes non mariées et sans enfants sont les plus heu­reuses, et que les femmes diplô­mées divorcent moins que les autres. 

Si les créa­teurs de ces jolies affiches avaient su tout ça...

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La jour­na­liste et autrice Benoîte Groult le rap­pe­lait très jus­te­ment : le fémi­nisme n’existe qu’en réac­tion à la miso­gy­nie. Il n’existe pas en soi ; il n’est ni hors sol, ni décor­ré­lé de tout contexte. La « folie » et l’agressivité qu’on prête aux fémi­nistes n’est que l’expression d’une peur, celle des hommes de devoir aban­don­ner leurs pri­vi­lèges. Cela a tou­jours été ain­si, en 1890 comme en 2020.

A nous, alors, de nous sou­ve­nir de cette phrase de Simone de Beau­voir : « N’oubliez jamais qu’il suf­fi­ra d’une crise poli­tique, éco­no­mique ou reli­gieuse pour que les droits des femmes soient remis en ques­tion. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez res­ter vigi­lantes votre vie durant ». 

Elle est plus que jamais d’actualité.