Comment chanteras-tu à Tel-Aviv au son des gémissements des victimes de l’apartheid israélien ?
Face à l’inaction de la communauté internationale, la campagne BDS (Boycott — Désinvestissements — Sanctions) s’est mise en place suite à un appel de la société civile palestinienne en 2005. Le peuple palestinien appelle en effet les artistes de conscience au boycott des évènements artistiques en Israël, jusqu’à ce que cet État se conforme au droit international et aux principes universels des droits humains, c’est-à-dire jusqu’à la fin de la colonisation, de l’occupation, du blocus de Gaza et au démantèlement du Mur ; jusqu’à la fin de l’apartheid pour les Palestiniens de 1948 (dits « Arabes israéliens ») ; jusqu’au retour de tous les réfugiés qui le souhaitent.
Aujourd’hui cet appel est largement suivi par de nombreuses personnalités comme Natacha Atlas, Vanessa Paradis, Roger Waters, Annie Lennox, Carlos Santana, Elvis Costello, Gil Scott-Heron, les Pixies ou Massive Attack, qui ont tous annulé leurs concerts prévus en Israël.
Lettre ouverte à la chanteuse marocaine Amazighz Zohra Hindi
Palestine occupée – le 29 Octobre 2011
C’est la Campagne Palestinienne pour le Boycott Académique et Culturel d’Israël qui t’écrit aujourd’hui pour te dire le choc que nous avons ressenti en apprenant ta décision de chanter à Tel Aviv le 12 Novembre 2011 alors que tu n’ignores pas l’étranglement auquel les autorités de l’occupation israélienne soumettent les artistes de Palestine, sans parler de ce que subit notre peuple dans son ensemble du fait de l’occupation – et plus particulièrement à Ghaza.
Nous sommes étonnés que tu acceptes d’offrir un divertissement à une société qui pratique l’occupation, la discrimination raciale, la purification ethnique systématique, en particulier à Jerusalem-Al Qods et dans le Néguev, et alors que nos réfugiés – la majorité de notre peuple ! – continue à être privée de son droit imprescriptible de retour à leurs foyers dont ils ont été chassés au moment de la création, sur les ruines de notre société, de l’État d’Israël.
Nous nous adressons à toi comme artiste, comme être humain, comme Marocaine, comme Amazighe, dans l’espoir que tu renonces à ton concert à Tel Aviv, pour que tu ne retrouves pas embarquée – comme d’autres l’ont été avant toi — dans l’entreprise de couverture des violations de la législation internationale et des droits humains, pour que tu ne deviennes pas complice, en conséquence, du maquillage des crimes de l’État occupant.
A une période où la campagne Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS) lancée par la quasi-totalité des associations de la société civile palestinienne prend son essor à travers le monde, et plus précisément en l’occurrence dans sa dimension de boycott culturel, au moment où des vedettes et des groupes artistiques très connus en Occident s’engagent dans le boycott culturel d’Israël, est-il concevable qu’une artiste marocaine amazighe marquante comme toi viole notre boycott d’Israël ? Libre à toi de ne pas participer de manière effective au combat pacifique de notre peuple pour la justice et pour sa liberté à déterminer son sort.
Néanmoins nous nous considérons en droit de te demander qu’au minimum tu ne viennes pas gâcher notre lutte en brisant notre entreprise de boycott culturel d’Israël. Comme l’a dit le chanteur britannique bien connu Roger Waters (fondateur des Pink Floyd) : « quand nos gouvernements refusent de bouger, c’est aux gens d’agir par tous les moyens pacifiques possibles. Pour moi, cela signifie tenir une posture solidaire, non seulement avec le peuple palestinien mais avec les milliers d’Israéliens qui refusent les politiques de leur gouvernement, et de m’engager dans la campagne de Boycott d’Israël, de Désinvestissement et de Sanctions. »
Nos revendications principales sont dans le droit fil du droit international et de la Déclaration Universelle des Droits Humains, qui refusent la ségrégation des êtres humains selon leurs religions, la couleur de leur peau ou leur genre. Nous condamnons toute forme de racisme, sans considération de l’identité de l’oppresseur ou de celle de l’opprimé.
Tu pourrais nous répondre que « l’art est au-dessus de la politique » ou que tu ne viens pas pour soutenir la politique d’Israël mais seulement pour chanter pour ton public « pour la paix et l’amour ». Nous t’invitons à méditer sur cette parole de l’archevêque sud-africain, Desmond Tutu, qui a joué un rôle essentiel au siècle dernier dans la lutte contre le régime d’apartheid dans son pays, comme tu le sais, et qui soutient aujourd’hui notre campagne de boycott d’Israël : « Si tu es neutre dans une situation d’oppression, c’est que tu as choisi le camp des oppresseurs ».
La neutralité n’existe donc pas lorsque tu chantes dans un État qui pratique l’oppression coloniale et raciale contre un peuple qui attend de toi une position de solidarité avec lui, toi l’artiste, toi, l’être humain. N’as-tu rien su du boycott de l’Afrique du Sud par la grande majorité des chanteurs et des chanteuses au moment de l’apartheid ? Pourquoi l’art aurait été, dans ce cas là, au dessus de la politique ?
Et si tu nous objectais que toi aussi, en tant qu’Amazighe, tu subis l’oppression arabe, nous te répondrions que nous sommes contre toutes les formes d’oppression, et nous voyons dans les révoltes populaires qui déferlent aujourd’hui dans notre région arabe non pas un printemps arabe – compris de manière ethnocentriste ou nationaliste — mais un printemps contre toute injustice, toute ségrégation raciale, contre toute répression, et pour la liberté, la dignité et l’égalité entre tous dans nos régions, sans distinction de couleur, de genre, d’ethnie ou de religion.
Sais-tu que les forces d’occupation israéliennes refusent aux artistes de Ghazza de pouvoir quitter le territoire pour participer aux événements artistiques ? qu’elles limitent le droit de déplacement des chanteuses et des chanteurs de Cisjordanie ? Qu’elles interdisent même l’entrée des instruments de musique à Ghazza !?
Cette politique systématique et continue contre les Palestiniens dans leur ensemble a fini par réduire considérablement la participation des artistes palestiniens dans les festivals internationaux. Ceci sans parler des artistes emprisonnés dans les geôles israéliennes parce qu’ils se sont engagés dans la résistance culturelle, en défendant notre patrimoine culturel et en participant à forger notre identité contemporaine.
Comme tu le sais, le peuple palestinien est toujours sous le coup de la perte de 430 de ses enfants, parmi les 1443 Palestiniens qui ont été massacrés par les forces d’occupation israéliennes au cours de la boucherie de l’hiver 2009 à Ghazza. Dans la même période, il n’y a pas eu moins de 5300 blessés, qui ont dans leur majorité dû subir des amputations des membres. Et parmi eux des artistes, femmes et hommes.
Comme l’a dit le grand artiste Elvis Costello lorsqu’il s’est engagé dans la campagne de boycott culturel , et qu’il a annulé sa prestation à Tel Aviv, dans un contexte d’oppression, la simple organisation d’un concert dans un pays oppresseur est « un acte politique qui a des effets beaucoup plus profonds que ceux qu’aurait un artiste sur scène, car cela constitue une totale ignorance des souffrances d’innocents »
Malgré tout cela, tu chanterais à Tel Aviv ?